L’Italie est célèbre pour la beauté de ses paysages, ses problèmes de corruption, sa cuisine, ses hommes politiques, son passé historique, son art, son trafic et la dolce vita. Moins pour ses emblèmes fascistes. La péninsule en regorge, pourtant. Et à découvert. Sans vergogne.
Dès 1921, le Parti national fasciste a tenté de se présenter comme un descendant direct de l’impérialisme romain, et de faire de son chef, Benito Mussolini, un nouveau César. Sous les ailes de l’aigle impérial, l’Italie est alors devenue le vivier de slogans hallucinants, scandés par les faisceaux qui glorifiaient la guerre tel un moyen d’élargir les frontières d’un régime dont la devise était » Croire, obéir, combattre « . Mussolini a pris le pouvoir et conduit le pays à entrer dans la Seconde Guerre mondiale, aux côtés de l’Allemagne nazie. L’Italie est sortie du conflit à la fois vaincue et victorieuse. Vaincue, parce qu’elle a commencé la guerre dans les rangs d’Hitler. Victorieuse, car elle s’est ensuite détachée de son allié allemand, qui n’a pas tardé à l’envahir après l’armistice signé par le général Badoglio, le 8 septembre 1943. L’Italie avait ainsi rejoint la coalition alliée dans sa lutte contre les nazis.
Ceux qui ont visité le pays n’auront guère relevé les nombreux slogans ou emblèmes fascistes qui ont survécu au régime mussolinien. Trois raisons : les louanges au Duce sont inscrites en italien ou en latin, les symboles fascistes sont bien moins connus que leurs homologues nazis ou communistes, les Italiens eux-mêmes ne les voient pas !
Tout cela peut donner lieu à des situations ubuesques : ainsi, dans la gare de Milan-Centrale, deux plaques commémoratives sont installées côte à côte. La première est un hommage aux victimes déportées par les fascistes vers les camps de la mort, la seconde évoque la chute du régime colonial. La situation témoigne de l’énorme fossé qui sépare les nostalgiques du régime et les antifascistes invétérés en Italie. Ce subtil équilibre est probablement la raison pour laquelle le pays ne s’est jamais vraiment remis de son passé et ne semble toujours pas enclin à le faire.
Mais il y a des exceptions, donc de l’espoir : à Bolzano (deux tiers de la population sont italophones, l’autre tiers est germanophone), des historiens se sont insurgés contre une proposition de loi visant à détruire l’un des monuments les plus emblématiques du régime. Et dans un appel publié en janvier 2013 et appuyé par des confrères d’ailleurs en Italie, d’Autriche, d’Allemagne, de Suisse et des Etats-Unis, ils plaidaient pour qu’on explique clairement » cet esprit totalitaire et contraire à tout sentiment d’humanité : quiconque se trouve face au monument, qu’il soit riverain ou touriste, aussi jeune soit-il, devrait percevoir d’emblée et pouvoir comprendre que de tels monuments ont vu le jour sous un régime prônant la violence, le racisme et la guerre, qu’il considérait comme des instruments du pouvoir. De telles constructions visaient à renforcer davantage des objectifs pourtant intolérables. » En écho, un musée a été créé pour raconter l’histoire du fascisme au coeur même du monument incriminé à Bolzano.
Milan, de son côté, a choisi l’art, notamment avec le célèbre doigt de Cattelan, sur la place de la Bourse : une main tendue tel un salut fasciste et dont tous les doigts ont été coupés à l’exception du majeur.
Par Alessandro Vecchi (texte et photos)