Le palmarès du bien-vivre en Wallonie et à Bruxelles

Où vit-on le mieux en Belgique francophone ? Ou le moins bien ? Si ces questions peuvent paraître subjectives, les classements que nous livrons dans ce dossier y répondent néanmoins de manière scientifique. Le niveau de vie mais aussi le bien-être se jaugent selon des critères objectifs. Les indices relevés reflètent d’énormes contrastes entre les 281 villes et villages de la Belgique francophone. Le bonheur se décline différemment selon que vous habitez Lasne ou Saint -Josse, la campagne ou la périphérie urbaine. Le Vif/L’Express situe votre commune dans un classement établi par l’ULg et l’UCL Les francophones sont de plus en plus nombreux à préférer les charmes des campagnes et des villages aux embouteillages quotidiens à Bruxelles ou à Liège. Au hit-parade du bonheur champêtre, Lasne et Beauvechain se disputent la première place. Mais l’est et le sud de la Wallonie se montrent aussi particulièrement attractifs

Au début du mariage, j’ai habité en appartement dans une belle maison de maître au centre de Namur. Mais, l’été, ça me rendait malade de n’avoir même pas un petit coin de jardin pour prendre un bain de soleil, se souvient, en riant, Dominique. Quand mon mari et moi, nous avons voulu avoir des enfants, nous avons décidé de déménager à Suarlée, un ancien village qui constitue aujourd’hui un quartier périphérique de la ville. La maison dispose d’un terrain de dix ares et d’une vue sur les champs ! Entre-temps, mon mari a dû aller travailler à Bruxelles. Puis ça a été mon tour. Mais on n’a jamais souhaité vivre dans la capitale, imposer un environnement stressant et pollué à nos enfants. D’ailleurs, la gare de Namur ne se trouve qu’à dix minutes en bus de chez nous. Même si, en dehors des heures de pointe, les transports en commun sont trop rares. Par l’autoroute, on peut aussi rejoindre Bruxelles en cinquante minutes. Du moins, s’il n’y a pas trop d’embouteillages…  »

C’est un peu la revanche du rat des champs sur le rat des villes. Au xixe siècle, la  » cité bourgeoise  » narguait la  » périphérie ouvrière « . Jusqu’au début du xxe, la population des campagnes n’a d’ailleurs cessé de décliner au profit des agglomérations. Mais, aujourd’hui,  » pour la première fois depuis la chute de l’Empire romain, les villes sont trop grandes pour le nombre de gens qui veulent y vivre !  » peut-on lire dans Démographie et développement durable (1).

Depuis quelques décennies, les Belges en sont convaincus :  » Le bonheur est dans le pré.  » Les jeunes parents sont les plus nombreux à fuir des centres urbains, dégradés et paupérisés. Les communes les plus proches de Bruxelles, dans le Brabant wallon et flamand ( lire également en page 36 ), ont été les premières à profiter de cet exode. Mais le phénomène touche désormais aussi des villages typiquement ruraux qui se sont dépeuplés jusque dans les années 1960. Sur la base de critères socio-économiques (revenus, chômage, espérance de vie, etc.), Lasne la riche, dans la banlieue dorée de la capitale, décroche la première place au palmarès du niveau de vie (première série de tableaux, avec couleur orange). Mais, si l’on tient compte de la qualité de l’environnement, Beauvechain la campagnarde, entre Wavre et Tirlemont, remporte la palme du bien-être ( deuxième série de tableaux, avec couleur bleue). .

C’est du moins ce qui ressort du premier classement scientifique des 281 villes et villages de Belgique francophone où il fait bon vivre. A la demande d’autorités publiques, le laboratoire de démographie (Labdem) de l’université de Liège (ULg) et le Centre d’étude de gestion démographique pour les administrations publiques (Gédap) de l’Université catholique de Louvain (UCL) ont été chargés d’étudier comment favoriser le développement durable en Wallonie. Dans ce but, ils ont élaboré un baromètre du  » niveau de vie « , à partir d’une douzaine d’indicateurs collectés à l’Institut national de statistique (INS) et au Registre national. A la demande du Vif/L’Express, ils ont réalisé une démarche similaire pour les 19 communes bruxelloises.

Les résultats ? La Belgique francophone présente des contrastes importants entre des zones en crise et des entités privilégiées. Ainsi, les communes de l’ancien axe industriel wallon détiennent les dernières places au classement du niveau de vie : Charleroi est 271e sur les 281 communes wallonnes ; Liège, 261e ; La Louvière, 225e, etc. Mais les villages les plus ruraux et les plus décentrés de l’Entre-Sambre- et-Meuse et du Hainaut occidental apparaissent aussi comme particulièrement déshérités.

Il y a évidemment un lien entre le degré de bien-être d’une entité et les flux de population. Ainsi, 110 communes wallonnes ont perdu près d’un dixième de leurs habitants au cours des cinquante dernières années. Il s’agit essentiellement de municipalités de l’ancien axe industriel – à l’exception de Mons (229e au palmarès du niveau de vie) et de Namur (124e) -, du Hainaut occidental, de l’Ardenne centrale, ainsi que de villes et de villages longeant la frontière française. Liège est, de loin, celle qui se dépeuple le plus.

En revanche, au cours de la même période, quatre communes ont vu leur population tripler. Bénéficiant d’un cadre champêtre, Ottignies-Louvain-la-Neuve (8e au classement du niveau de vie), Lasne (1re) et Chaumont-Gistoux (5e) ont l’avantage d’être situées près de Bruxelles et d’une très jeune ville universitaire. Quant à Raeren (49e), dans les cantons de l’Est, elle profite pleinement de sa proximité avec la métropole allemande Aix-la-Chapelle.

 » Depuis les années 1950, la Belgique est le théâtre d’un processus de redistribution spatiale de sa population, explique Thierry Eggerickx, professeur au Gédap, à l’UCL. Les urbains se répandent dans les campagnes environnantes, tout en restant attachés à la ville par leur travail.  » Ils expriment ainsi le souhait de disposer d’un environnement plus vaste, plus sain et d’une maison individuelle. Ils veulent dissocier le lieu de travail de l’espace résidentiel. Ce phénomène de  » périurbanisation « , comme disent les spécialistes, a été observé aux Etats-Unis dès la fin du xixe siècle, à Chicago, notamment.

Avec la multiplication des lotissements, les limites entre l’urbain et le rural tendent toutefois à disparaître. Des  » morceaux de périphérie urbaine  » encerclent les villages traditionnels. Cet éparpillement résidentiel s’est accompagné d’un développement d’industries, de commerces… La plupart des communes disposent actuellement d’un centre commercial, voire d’un zoning industriel. Ce nouveau mode de vie a conduit à une  » ville éclatée  » qui entre en contradiction avec l’intérêt général et les regroupements d’habitat prônés par les urbanistes et les pouvoirs publics. Cette dispersion a en effet un coût : elle grignote les espaces verts, multiplie et allonge les déplacements, augmente le trafic routier, la consommation d’eau, d’électricité, etc. Tout cela est peu écologique. D’ailleurs, les  » prés dorés  » du Brabant wallon, classés en tête du palmarès du niveau de vie, reculent souvent dans le hit-parade du bien-être, qui tient compte des indicateurs de qualité de l’air, par exemple : l’urbanisation croissante n’est pas sans dommages pour l’environnement. Ainsi, d’un palmarès à l’autre, Waterloo descend par exemple de la 3e à la 66e position ; La Hulpe, de la 6e à la 50e, etc.

A l’inverse, grâce à leur cadre de vie préservé, une grande partie des communes namuroises et luxembourgeoises, au niveau de vie assez comparable à celui de municipalités hennuyères, remontent dans le classement du bien-être.

Les migrations des ménages aisés en périphérie verte tranchent avec l’immobilisme involontaire de populations moins favorisées dans les cités. Ainsi, à Liège, la part relative des plus de 75 ans habitant seuls atteint 50 %, pour 36 % dans le cossu Brabant wallon. Autre exemple :  » A Mons, un tiers des jeunes de moins de 18 ans vivent dans une famille monoparentale, poursuit Eggerickx. Alors que cette situation ne concerne que 8 ou 9 % des enfants en milieu périurbain.  » Ces publics précarisés occupent des logements dont ils ne parviennent plus toujours à assurer l’entretien.

Mais il faut toutefois nuancer. Chaque ville a ses quartiers pauvres et ses ghettos de riches, comme on le voit à Bruxelles ( lire aussi en page 36), où Woluwe-Saint-Pierre décroche la 2e position au palmarès du niveau de vie et Saint-Gilles, la 276e. Le plus souvent, c’est le c£ur historique de la ville, à la densité de population élevée, qui cumule les difficultés, alors que les habitants les plus privilégiés se retrouvent sur les hauteurs et dans les quartiers les plus éloignés du centre. Mais il y a des exceptions. Dans la Cité ardente, le bloc de HLM de Droixhe se situe aussi en périphérie. En outre, à l’intérieur d’un même quartier, des zones de fracture peuvent coexister : à Liège, le Mont-Saint-Martin possède des édifices exceptionnels, des hôtels aux styles riches et variés, à côté d’un habitat serré, étroit et sombre, dépourvu parfois des commodités les plus élémentaires.

Enfin, à chaque âge, son quartier. Les jeunes sont nombreux à quitter le foyer parental pour aller vivre en ville dans un  » kot  » au confort limité. Les centres urbains leur offrent des possibilités d’enseignement, de culture et de loisirs qui répondent à leurs attentes. Si la trentaine correspond souvent à une phase de  » cocooning  » à la campagne, à la fin de la vie, les gens ont tendance à revenir en ville, à proximité des services. Il existe ainsi une complémentarité entre les espaces urbains et ruraux.

Mieux :  » Les agglomérations observent un processus de ôgentrification », poursuit Eggerickx. Ce terme de spécialiste désigne l’établissement ou le maintien en ville de jeunes adultes disposant d’un certain niveau de vie. A Liège, ce phénomène est apparu dans les quartiers des Coteaux et de la citadelle, havres de verdure qui dominent la cité. Pour certains jeunes ménages, la périphérie verte est en effet hors de prix. Leur stabilisation en ville revêt de multiples aspects positifs, particulièrement en matière de réhabilitation et d’amélioration du patrimoine. Mais le mouvement reste relativement marginal.  »

Chaque grande agglomération dispose en réalité d’un bassin de migration qui s’est étendu au fil du temps. Au sud de Liège, on trouve, principalement, Neupré (4e au palmarès du niveau de vie), Chaudfontaine (11e) et Nandrin (21e) ; au sud de Charleroi, Gerpinnes (24e) et Ham-sur-Heure-Nalinnes (25e).

Le phénomène est ancien : ce sont les enfants du baby-boom qui ont amorcé le retour à la campagne et provoqué la  » bruxellisation  » (terme apparu au début des années 1970) du Brabant wallon, qui a d’abord touché Waterloo (3e au palmarès du niveau de vie), La Hulpe (6e), Rixensart (7e), Braine-l’Alleud (10e). Ces communes, dites de première périurbanisation, connaissent une forte croissance du nombre d’habitants dès 1950, puis une relative stagnation depuis 1975. Dans un deuxième temps ont aussi été concernées des entités plus éloignées du centre-ville comme Beauvechain (9e au palmarès du niveau de vie), Chaumont-Gistoux (5e), Grez-Doiceau (20e), Lasne (1re), Mont-Saint-Guibert (30e) et Walhain (12e), qui connaissent une progression démographique ininterrompue à partir de 1970. A la fin des années 1980, la population a fortement crû dans les communes de  » troisième périurbanisation « , les plus distantes de la capitale : Hélécine (155e), Jodoigne (94e), Orp-Jauche (88e), Perwez (76e), Ramillies (62e), etc.

En effet, les zones de première périurbanisation ont un marché foncier saturé et affichent désormais des prix inabordables pour une grande partie de la population. Ainsi, en Brabant wallon, les logements sont 82 % plus chers en moyenne que dans la ville de Charleroi. Certaines de ces communes ont aussi développé des pratiques élitistes pour contenter un électorat soucieux de la dimension  » humaine  » ou  » villageoise  » de leur environnement.  » Citons, à titre d’exemple, le cas de Lasne où les nouvelles constructions, rares, sont dans l’obligation de répondre à des critères de taille minimale… très imposante !  » peut-on lire dans l’étude de l’ULg et de l’UCL.

Les revenus plus modestes en mal de verdure doivent donc  » s’exiler  » dans des communes de l’axe hesbignon, autour d’Hannut (115e) et de Waremme (105e), où les influences de Bruxelles et de Liège se conjuguent. Mais, à l’ouest de Bruxelles, les abords de Soignies (151e) commencent aussi à profiter de ce phénomène. Enfin, ceux qui veulent quitter Liège s’enfoncent toujours plus loin dans le Condroz, le pays de Herve et les cantons de l’Est.

Le développement de l’infrastructure autoroutière favorise cet exode de plus en plus décentré. Exemple concret : Bertogne (197e), près de Bastogne, a longtemps souffert de son enclavement au c£ur des Ardennes. L’entité a perdu plus de la moitié de ses habitants en un siècle. Mais, au tournant des années 1990, le flux migratoire s’est inversé. En 1997, les prix de l’immobilier ont même dépassé la moyenne wallonne. Ce mouvement s’est produit à la suite de l’achèvement de l’autoroute Liège-Bastogne-Luxembourg. Plus on approche de la capitale grand-ducale, plus son influence se fait sentir : Arlon, par exemple, décroche la 41e place au classement du niveau de vie.

 » Longtemps marginalisées dans le cadre national, les communes frontalières retrouvent en effet une nouvelle vocation dans leurs fonctions européennes d’espaces de rencontres et d’interactions, explique Eggerickx. Leur revitalisation récente doit beaucoup à l’Acte unique (1986) qui a transformé les espaces frontaliers en espaces transfrontaliers et au traité d’Amsterdam qui, depuis 1993, met en application la libre circulation des personnes et des biens.  » La frontière n’est plus une barrière mais une ouverture. En réalité, le Hainaut est l’exception qui confirme la règle : la France n’a pas été en mesure de stimuler la province belge. L’affirmation de Lille comme métropole et le développement d’une nouvelle industrie textile à Mouscron-Comines n’ont pas contribué au redressement du vieux bassin industriel hennuyer, toujours à la recherche d’un second souffle.

En revanche, dans l’extrême sud de la Wallonie, les zones enclavées et peu peuplées de la province de Luxembourg s’inscrivent désormais pleinement dans l’axe  » lotharingien  » qui s’étend de La Haye (Pays-Bas) à Strasbourg (France), en passant par le tronçon autoroutier Namur-Arlon-Luxembourg. Leur dynamisme doit beaucoup à une population belge toujours plus nombreuse à travailler au Grand-Duché, mais qui préfère continuer à vivre en Belgique, ce qui génère des activités professionnelles nouvelles, entre autres, à Attert (23e au classement du niveau de vie), à Messancy (56e), à Aubange (89e).

A l’est de la Wallonie, l’espace frontalier avec l’Allemagne connaît un redéploiement de son tissu économique, en partie grâce à l’Euregio (Liège, Maastricht et Aix-la-Chapelle). Ce sont surtout les Allemands qui traversent la frontière et s’installent à La Calamine (93e au palmarès du niveau de vie), à Lontzen (45e), à Raeren (49e)… Pour certains d’entre eux, le déménagement vers la Belgique a signifié le passage d’un appartement exigu à Aix-la-Chapelle à une maison unifamiliale à la campagne. Ils voient dans les communes frontalières de mini-paradis fiscaux. Leur arrivée massive dope le marché foncier et génère une ségrégation sociale de l’espace, comme dans le Brabant wallon.

Toutefois, dans ces eldorados wallons, la proportion de petits revenus et de minimexés reste généralement aussi importante qu’ailleurs, en raison des politiques sociales. En revanche, les personnes natives de l’endroit sont plus souvent touchées par une certaine exclusion : trop pauvres pour se payer quelques mètres carrés dans les  » prés dorés  » et trop riches pour bénéficier d’un logement social, les classes moyennes sont contraintes d’aller voir ailleurs. Et, dans les villages, la villa supplante la ferme, les sentiers se couvrent de macadam et, à côté des champs, pousse désormais du gazon anglais.

Dorothée Klein

Les enfants du baby-boom ont amorcé le retour à la campagne

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