Au-delà du constat de l’état désastreux du palais Poelaert, quel sort réserve-t-on à ce bâtiment emblématique de la capitale ? Le dossier aura valeur de test pour la coopération fédérale entre Flamands et francophones.
Majestueux symbole de la puissance de la Justice et du pouvoir judiciaire, le palais dessiné par Joseph Poelaert est devenu un autre symbole, celui du dénuement de cette même Justice. Que faire aujourd’hui de ce vaisseau-fantôme, conçu sous Léopold Ier et inauguré le 15 octobre 1883 ? Quels réparations et aménagements ont été décidés ou sont envisagés par le fédéral ? Le monument, plus vaste que la basilique Saint-Pierre de Rome, restera-t-il entièrement dédié à la Justice, ou son socle abritera-t-il un jour des surfaces commerciales, de l’Horeca, des salles d’exposition et des bureaux d’avocats, pistes évoquées ces temps-ci par les gestionnaires du bâtiment ?
Fleuron du patrimoine architectural bruxellois et signature dans le paysage urbain de la capitale, le mastodonte est recouvert d’une gangue d’échafaudages depuis des lustres. A plusieurs reprises, la presse flamande a qualifié les travaux d’entretien et de rénovation du bâtiment de » gouffre financier pour l’Etat « , tandis que des voix, à Bruxelles, estiment que le palais de Justice est victime du désintérêt des pouvoirs publics. » L’état de pourrissement du palais est à l’image du peu de considération dont jouit le troisième pouvoir, assure l’échevin MR de la Ville, Alain Courtois. Surtout, les décideurs dans ce dossier ont presque toujours été des non-Bruxellois, peu sensibles au caractère emblématique du palais Poelaert. La façon dont le prochain gouvernement va trancher ce dossier et mener la rénovation aura valeur de test en matière de coopération entre francophones et Flamands au niveau fédéral. A titre personnel, je suis inquiet. »
La deuxième phase d’ici 2018
Le 7 février 2013, le gouvernement Di Rupo a pris une décision lourde de conséquences : les juridictions pénales devront quitter le palais Poelaert. Une étude considère qu’il n’est pas possible de sécuriser les 24 salles d’audience correctionnelles. » Au plus tard au début 2015, nous chercherons un bâtiment de quelque 35 000 m2 dans l’environnement proche du palais pour reloger la chaîne pénale, indique Laurent Vrijdaghs, administrateur général de la Régie des bâtiments. Il comprendra un bloc de 120 cellules qui répondront aux conditions de détention modernes. Dans trois ou quatre ans, nous disposerons de ce bâtiment et pourrons alors nous concentrer sur la rénovation du palais, deuxième phase du master plan adopté par le gouvernement. »
Les occupants du palais de Justice ne cachent pas leur colère : ils plaident à l’envi pour un maintien des juridictions pénales dans le bâtiment. Toutefois, seuls resteront à bord du paquebot la cour de cassation, la cour d’appel section civile, la cour d’assises – appelée à être dédoublée -, le barreau et le restaurant (actuellement dépourvu de permis d’environnement). On prévoit, en outre, le retour » au bercail » du collège des procureurs généraux, de deux justices de paix et du tribunal de police, naguère exilés. Tous ces services occuperont le rez-de-chaussée, les 1er et 2e étages, soit 15 000 m2. Les locaux des 3e et 4e étages, non conformes à l’oeuvre de Poelaert, seront démolis. Quant aux étages situés sous la salle des pas perdus, ils devront être libérés d’ici dix ans et recevront une nouvelle affectation. Il faudra en retirer, outre les juridictions pénales, les pièces à conviction, actuellement stockées dans des conditions inadaptées.
Quelles activités pour le socle ?
Que fera-t-on de ces 45 000 m² progressivement désertés ? Un complexe commercial, qui financerait la rénovation du palais ? Avec musée, snack, restaurant, magasins de bibelots pour touristes… ? La piste a été évoquée dès juin 2013 par le secrétaire d’Etat CD&V à la Régie des bâtiments, Servais Verherstraeten. » Le principe d’une mixité d’occupation au sein du palais est retenu, mais on ne sait pas encore quelles activités seront hébergées en sous-sol, corrige Laurent Vrijdaghs. Un consultant va accompagner la réflexion menée par la Régie, la Justice, la Région et la Ville. L’idée est de rétablir une circulation entre le haut et le bas de la ville, actuellement assurée par un simple ascenseur. L’architecte Poelaert voulait lui-même cette accessibilité. »
Mais où trouver le budget pour un tel réaménagement ? » Pour intéresser le privé, il faudra déterminer une affectation au socle « , se contente de répondre le patron de la Régie. » Des moyens complémentaires ? Je n’y crois pas, s’exclame Alain Courtois. Un partenariat public-privé ne se conçoit que si le privé est demandeur. Dans le cas du palais Poelaert, les investisseurs ne seront pas intéressés, à moins que le bâtiment soit privé de sa vocation judiciaire. Je plaide pour qu’un project manager soit nommé à la tête d’une direction générale spécifique. Elle disposerait de moyens supplémentaires du fédéral et serait chargée de gérer, à la place de la Régie, l’ensemble des 300 bâtiments judiciaires belges, dont beaucoup sont en piteux état. »
Cherche architecte capable
Et les échafaudages ? On ne voit qu’eux depuis plus d’un quart de siècle. La Régie des bâtiments en arrive à devoir rénover les échafaudages eux-mêmes posés pour rénover les façades ! » Il serait dangereux de retirer ces échafaudages, admet l’administrateur général de la Régie. En revanche, on peut alléger la structure pour pouvoir mieux apercevoir la façade. Le bureau d’architectes choisi pour les études et plans de rénovation de l’extérieur du bâtiment n’était pas à la hauteur de la tâche. Nous avons mis fin au contrat. On cherche désormais un autre bureau qui sera chargé d’effectuer la rénovation dans les règles de l’art. » Les travaux aux façades et sous la coupole doivent débuter en 2017 pour se terminer en 2027, selon Laurent Vrijdaghs. » Les façades sont classées et doivent être respectées. Chaque pierre est numérotée. »
Reste que le palais de Justice est un bâtiment hors normes : 60 000 m2 de pierre blanche du Jura et de petit granit, 245 locaux, 8 cours intérieures, près de 5 000 marches d’escalier, une dizaine de bibliothèques, un dôme culminant à plus de cent mètres au-dessus de la salle des pas perdus, un portique d’entrée où l’on pourrait faire passer une maison haute de quinze mètres. » Des arbres et autres végétaux ont poussé sur les toitures et des pierres menacent de tomber sur la place, constate Alain Courtois. Or, des Bruxellois s’y garent pour aller se promener le dimanche au marché aux puces. En cas d’accident, la responsabilité de la Ville serait engagée. »
Pas de pilote dans l’avion ?
Compte tenu du budget alloué à l’entretien des lieux, il s’avère difficile de remettre en état deux salles d’audience de la cour d’appel, non utilisables depuis juillet à cause des intempéries. » Plusieurs semaines se sont écoulées avant que des déshumidificateurs soient installés dans l’une de ces salles, déplore Luc Maes, premier président de la cour d’appel de Bruxelles. Rien n’a été fait pour traiter les moisissures. Dans l’autre salle, le plafond menace de s’effondrer. » De même, les dégâts d’eau de l’été dernier dans la salle des audiences solennelles de la cour de cassation ne sont que partiellement réparés. La sécurité du millier d’occupants et des visiteurs est également un point noir. Un plan d’évacuation a été bricolé en interne.
Pour autant, le patron de la Régie des bâtiments s’inscrit en faux contre ceux qui répètent qu’ » on ne sait pas où on va « , qu’ » il n’y a pas de pilote dans l’avion « . » Ils perdent de vue que la Régie a de nombreux fers au feu, souligne Laurent Vrijdaghs. Elle exécute les décisions prises par quatre gouvernements différents. Espérons que le cinquième adhère à la cause. »
Par Olivier Rogeau