Le même ?

Les Français s’interrogent à son sujet, la droite hésite entre plébiscite et réserve, des juges le guettent. Nicolas Sarkozy est parti sur une défaite, il veut par la mise en scène de son retour réussir à montrer qu’une nouvelle page s’écrit maintenant. Etre et avoir été, c’est son défi.

« Tu sais où ils m’ont mis, les Français ? Ils m’ont mis sur le coin de la cheminée. Je suis sur la cheminée, j’ai la main tendue et, à un moment, ils vont me dire : « Viens, Nicolas ! »  » Michel Denisot connaît Nicolas Sarkozy depuis le début des années 1990. Dans Brèves de vie, à paraître en octobre chez Fayard, l’animateur de télévision raconte sa visite à l’ancien président, il y a presque un an. Par où t’es rentré ? On t’a pas vu sortir… C’est le moment. Pas forcément celui où  » les Français  » en appellent à Nicolas, mais celui où il décide de descendre de la cheminée – ou de sortir du bois. Pour faire du Sarkozy ?  » Au premier semestre 2015, je change tout « , lance-t-il à ses visiteurs, avant d’ajouter, sur le ton de la plaisanterie :  » Il y aura même un nouveau Sarkozy !  »

Bien sûr, il blague, car l’originalité, la vraie, serait de dire qu’il n’a pas changé. Il a tellement usé de ce verbe. Le regard de l’opinion sur lui a d’ailleurs peu évolué depuis la défaite de 2012.  » C’est un volcan qui sommeille, analyse l’un de ses proches. Le plus est toujours là, très présent – son énergie, son expérience, son leadership -, le moins aussi – sa difficulté à être proche des préoccupations des gens et à obtenir des résultats, son style personnel.  » Si le jugement sur sa présidence s’améliore quelque peu, c’est grâce au meilleur de ses agents, plus efficace que tous les sarkozystes réunis, François Hollande.

Ses interlocuteurs, hors son cercle d’affidés, sortent de son bureau avec une impression semblable : il a progressé dans ses qualités, il a progressé dans ses défauts. Tous sont frappés par sa soif de revanche. Depuis l’aube de ce quinquennat, il promet le pire et, fortement aidé par son successeur, il tient promesse ! Cet été, il va encore plus loin :  » Quand j’étais ministre de l’Intérieur, il n’y a jamais eu de morts. Là, je ne garantis rien : il peut y avoir une guerre civile.  » Certains préconisent néanmoins un mea culpa de sa part :  » Tant que tu affirmeras « J’ai failli gagner » et non « J’ai été battu en 2012″, tu ne seras pas audible.  »

 » Je est un autre  » ?  » Oui, Sarkozy a changé  » : il faut la fougue rimbaldienne du dernier des convertis, Dominique de Villepin, pour l’affirmer. Peu importent ses mots : le transformer, lui l’ennemi de l’intérieur, en porte-parole vaut tous les messages. Quel accord ont passé les deux hommes ? Faire la paix avec les autres, pour prouver qu’on l’a faite avec soi-même. Gandhi garde toutefois une longueur d’avance. Le refus de Nicolas Sarkozy, pendant des obsèques en 2013, de serrer la main de l’actuel secrétaire général de l’Elysée, Jean-Pierre Jouyet, son ancien ministre – il s’est tout de même résolu à lui envoyer un mot quand celui-ci a été confronté à un drame personnel -, avait estomaqué les témoins.

Toujours peu enclin à la langue de bois

Me Sarkozy garde le sens de la formule, si possible – et c’est généralement possible – vacharde. Quand il reçoit Michel Denisot, dont il connaît la réussite à la tête de Vanity Fair, il se marre :  » Ça marche tellement bien que tu pourrais même mettre Fillon en couverture !  » Une autre fois, faussement ennuyé par les fuites qu’occasionnent ses conversations, il remarque :  » En France, quand vous réunissez trois personnes, il y en a quatre qui parlent.  » L’ancien président demeure peu enclin à la langue de bois. En 2013, il félicite son ancien ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, qui publie La Récréation, récit de son expérience gouvernementale entremêlé à ses tentations de la chair :  » J’adore ton livre, mais arrête de parler de cul, c’est ridicule !  »

Avancer qu’il dit du bien de la terre entière, au moins de l’UMP dans son ensemble, serait excessif. En décembre 2013, devant les députés trentenaires du club des Cadets-Bourbon, il tape à bras raccourcis sur les dirigeants du parti. Julien Aubert (Vaucluse, sud-est de la France) ose l’interrompre :  » En même temps, ce n’est pas facile quand vous êtes derrière la porte.  » Sarkozy feint de s’emballer :  » Qu’est-ce qu’ils veulent ? Que je ne sorte pas, que je ne parle pas ? Et puis quoi encore, que je sois mort ?  » Un autre jour, ce sont les fondateurs de la Boîte à idées, un think tank au service de l’UMP, qui défilent dans son bureau. L’un d’eux, entrepreneur de son état, commence fièrement :  » Monsieur le président, nous sommes des militants qui travaillent.  » Sarkozy le refroidit aussitôt :  » Non. Tous les militants de l’UMP travaillent. Ce qui est plus original, ce sont des responsables de l’UMP qui travaillent ! Ils ne réfléchissent pas assez.  » Il enchaîne avec une diatribe contre les intellectuels français, en joignant le geste à la parole :  » Les intellectuels, c’est zéro. Il faut aller chercher les idées ailleurs !  » Ailleurs, pas forcément dans la salle d’à côté alors : l’y attend son visiteur suivant… Bernard-Henri Lévy.

Il arrive au futur sexagénaire d’être plus paternaliste.  » Tu passes bien à la télévision, dit-il au jeune maire de Tourcoing, Gérald Darmanin. Le lendemain, tu dois être sur les marchés. Laisse tomber les réunions avec les cadres de la mairie et les élus, célèbre plutôt les mariages. Quand j’étais maire, j’officiais même quand on ne me le demandait pas et, pour personnaliser la cérémonie, je recevais les mariés avant.  » Et Nicolas Sarkozy de rejouer la scène :  » L’amour, c’est beau. Vous avez créé une solidarité entre vous, la République se devait d’être là.  »

Il y a un temps pour la comédie, un autre pour les choses sérieuses.  » J’ai envoyé Franck  » : ce n’est évidemment pas un hasard si Louvrier, son ancien conseiller, a donné une interview à Presse Océan, le 6 septembre. Nicolas Sarkozy a toujours estimé que le diable se cachait dans les détails. Quand l’UMP, avant l’été, tangue et que des fillonnistes sont entrés dans la place, l’ancien président appelle lui-même des permanents du siège pour s’informer de la vie interne. Le soin qu’il porte à son image n’a pas diminué. Les  » cartes postales  » ont dévoilé Sarkozy sous toutes les coutures. Le summum fut atteint dans Paris Match le 24 juillet : le voilà en M. Tout-le-Monde à la plage. Les seuls clichés que l’on ne verra pas seront ceux du séjour du couple, en août, dans un hôtel somptueux de Bali, au sommet d’une falaise, face à la mer. Aujourd’hui comme hier, il surveille ses audiences. En novembre 2013 est diffusé Campagne intime, un documentaire réalisé par Farida Khelfa, une amie de son épouse.  » On m’a demandé si ça me gênait que ça passe sur D 8. Pas du tout ! Si c’était D 17, c’était encore mieux ! Ce qui m’intéresse, c’est de créer un marché. Soit j’intéresse, et j’intéresse n’importe où, soit je n’intéresse pas, même sur TF 1.  » Au début de septembre, il travaille à la mise en scène de son retour. Il s’entretient avec une équipe de télévision. Les civilités sont à peine terminées que l’ancien président, les pieds sur la table, les interroge :  » Vous votez pour qui ?  » Le journaliste lui propose de doubler la diffusion via un partenariat avec RTL et son intervieweur vedette, Jean-Michel Aphatie (qui officie également dans Le Grand Journal).  » Pas ce connard d’Aphatie de Canal + « , interrompt Sarkozy.

Il a râlé, il râle, il râlera. Le 6 juin, pendant les cérémonies célébrant le 70e anniversaire du débarquement en Normandie, il trouve le temps long et cela s’entend. Surtout que son voisin, Valéry Giscard d’Estaing, un peu sourd, lui fait répéter ses propos. Il ne râle pas toujours. Parfois, il fulmine. Sa garde à vue lui est restée en travers de la gorge. Au cap Nègre, devant ses invités, il a fini par en rire, en revenant sur l’épisode de l’ascenseur qui se coince :  » Les deux policiers étaient incapables d’intervenir. C’est moi qui ai dû appeler les pompiers avec mon portable. Vous voyez la scène : « Allô, c’est Nicolas Sarkozy. Nous sommes coincés ! »  » Persuadé que toutes les affaires s’évanouiront comme le dossier Bettencourt, il se moque :  » Vous m’imaginez aller lui piquer de l’argent ? Elle est sourde comme un pot et moi, je serais arrivé : « Liliane, le flouze, c’est maintenant ! »  »

 » J’ai peur que, sans la politique, il perde le sens de sa vie  »

Il se charge de ses ennemis, mais qui le garde de ses amis ? Le 2 mars, au Parc des Princes, Nicolas Sarkozy s’assoit à quelques mètres de Manuel Valls pour le match entre le Paris Saint-Germain et Marseille.  » C’est dur, hein !  » glisse l’ancien président.  » Oui, Beauvau, c’est dur, tu as connu ça !  » lui répond celui qui est encore ministre de l’Intérieur.  » C’est dur, il faut se méfier de ses amis « , ajoute Sarkozy. Il ne s’inquiète pas de la santé du socialiste, il parle de lui… Quelques jours plus tard, la presse publie des enregistrements de réunions à l’Elysée réalisés par son conseiller Patrick Buisson.

 » J’ai peur que, sans la politique, mon mari perde le sens de sa vie « , a confié, le jour de la passation des pouvoirs, Carla Bruni-Sarkozy à Valérie Trierweiler (selon le récit de cette dernière). Il a toujours prétendu qu’il saurait s’arrêter et faire autre chose, il est toujours retombé du même côté. Le candidat usé et las de 2012 est loin. Surprendre ? Il est opposé à la fin du cumul des mandats :  » On aura des élus plus nombreux et moins payés, on aurait besoin d’élus mieux payés et moins nombreux.  » Il fustigera l’égalité, célébrera la différence ; il critiquera certains droits –  » Droit à l’enfant ? Non, désir d’enfant. Droit à la santé ? Non, droit au soin.  » Il a commencé à coucher sur le papier des réflexions qui pourraient déboucher sur un livre à l’image de ce que fut Libre, publié en 2001, qui lui servit de tremplin pour l’Elysée. Au fait, pourquoi vouloir changer ?

Par Eric Mandonnet et Benjamin Sportouch, avec Marcelo Wesfreid

 » Qu’est-ce qu’ils veulent ? Que je ne sorte pas, que je ne parle pas ? Et puis quoi encore, que je sois mort ?  »

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