Le Maroc au coeur de la lutte antiterroriste

A menace globalisée, coopération renforcée. Lui-même sous la menace terroriste, le Maroc collabore avec d’autres pays visés par Daech. En guise d’antidote au radicalisme, il propose invariablement son islam traditionnel. Reportage et interview exclusifs.

L’avantage de l’anonymat, c’est l’absence de fioritures. L’un de nos interlocuteurs à Rabat ne mâche pas ses mots :  » L’enquête sur la cellule terroriste de Verviers a démarré grâce à un tuyau marocain. Le Premier ministre, Charles Michel, aurait dû nous remercier ! Après les attentats de Madrid, en 2004, c’est nous qui avons permis de localiser des membres du GICM (NDLR : Groupe islamique combattant marocain affilié à Al-Qaeda) à Molenbeek et à Maaseik. Sans coopération, les deux pays n’y arriveront pas. Mais, nous, nous n’allons pas compter sur la reconnaissance pour avancer.  »

Le ton est donné : ombrageux, offensif. L’homme est sur la brèche, comme si une bombe menaçait, à ses pieds. Le lendemain, on apprenait que la police marocaine venait de démanteler une cellule de neuf personnes se préparant à semer la mort à Tanger, Fès, Béni Mellal, Kenitra et Nador. Elles tablaient sur une moindre surveillance de ces villes moyennes et visaient, comme à Paris, des lieux de détente. Selon le site d’infos le360.ma, toujours très bien informé et dirigé par Aziz Daki, directeur artistique du festival Mawazine de Rabat, les armes saisies chez les terroristes présumés provenaient de Belgique. Le fait n’est pas rare, et souvent souligné dans les milieux sécuritaires. Les armes arrivent dans les voitures qui font la navette entre l’Europe et la mère patrie.

Chez nous, la Sûreté de l’Etat ne tient pas à réagir au coup de gueule sur la supposée ingratitude belge. Le service de renseignement assure, sans donner de détails, que  » la collaboration avec les services marocains a été fructueuse et utile et qu’elle s’est amplifiée dans le cadre des échanges actuels « . Un modèle de prudence. Avec ce rappel discret, quand même :  » Nos deux pays ont tout intérêt à collaborer de manière efficace dans le cadre des dossiers de terrorisme qui nous préoccupent : c’est une question de sécurité, tant pour nous que pour eux.  » Un rappel utile, en effet : 87 % des Foreign Terrorist Fighters (FTF) belges sont d’origine marocaine. Si leur  » marocanité  » est fortement contestée au Maroc, ils représentent un trait d’union forcé entre les deux nations. La plupart sont issus des régions pauvres et très peuplées du Rif, qui fait directement face à l’Espagne. C’est là aussi que se recrutent la majorité des 1 500 FTF marocains.  » L’Espagne et le Maroc ont poussé l’intégration de leurs enquêtes antiterroristes jusqu’à coordonner des arrestations simultanées sur leurs territoires respectifs « , glisse une source policière marocaine. Visiblement, le talon d’Achille belge reste le trafic d’armes et les faux papiers.  » Mille fausses cartes d’identité belges circulent dans les milieux djihadistes, confirme un officier supérieur de la police fédérale, qui souligne, au passage, que 25 millions de Marocains disposent d’un passeport biométrique.  » Le système sécuritaire marocain est remarquable, ramasse-t-il, mais il n’a pas les mêmes contraintes que les nôtres.  » C’est dit.

 » Les services belges étaient prévenus  »

 » Les premiers départs de Marocains pour la Syrie ont été coordonnés grâce à des connexions européennes en Belgique, en France et au Royaume-Uni, dénonce notre farouche interlocuteur. Nous avons besoin de nos amis belges, français et britanniques pour démanteler ces filières et anticiper les attentats. Bien avant Paris, nous avions tiré la sonnette d’alarme. Nous ne prétendons pas travailler mieux que les services belges mais, grâce à notre diaspora, les informations remontent plus facilement, parce que nous avons une capacité instinctive à interagir avec nos sources.  » Et tant qu’à envoyer le paquet sans ruban, notre agent secret appuie là où ça fait mal :  » En Belgique, soit par laxisme, soit par méconnaissance de la part des autorités, on a laissé se développer un radicalisme islamique qui repose sur une mauvaise interprétation des préceptes de la religion musulmane. On a alerté à plusieurs reprises, et les services belges aussi… Depuis les attentats du 16 mai à Casablanca, nous avons fermé toutes les mosquées clandestines. Tous les prêches du vendredi doivent être validés par le Conseil supérieur des oulémas et les appels à la haine sont bannis. Le Maroc est là pour aider les autorités belges à mettre en place une véritable politique de déradicalisation, en évitant de stigmatiser les populations musulmanes, ce qui en pousseraient d’autres, qui ne l’étaient pas, à se radicaliser.  »

De fait, le royaume de Mohammed VI est sur les dents depuis les attentats de Casablanca (41 morts, une centaine de blessés), le 16 mai 2003, encore suivis, en 2011, par celui de Marrakech (17 morts, 20 blessés). Les cinq attaques suicides perpétrées par des jeunes issus d’un quartier défavorisé de Casablanca ont entraîné une réorganisation totale des  » champs  » sécuritaire et religieux du pays, l’un n’allant pas sans l’autre. Le roi, monarque absolu, à la fois chef officiel des armées (et de la police) et Commandeur des croyants, a joué un rôle décisif dans la contre-attaque. Encore aujourd’hui… Les relations quasi familiales qu’il entretient avec la famille royale belge ont, semble-t-il, boosté la collaboration marocaine avec nos services. Ce n’est pas un hasard si le roi Philippe a médiatisé sa demande d’aide à M6, quand on craignait un attentat imminent, en novembre dernier.

Au-delà de ces circonstances particulières, le Maroc ne mégote pas sur son appartenance au camp occidental. Il participe à la coalition internationale contre l’Etat islamique. Allié fidèle et débiteur de l’Arabie saoudite, il a aussi envoyé 1 500 soldats au Yémen. Le royaume chérifien est environné de pays instables, dont l’Algérie en proie à des soubresauts de fin de règne. Sur son flanc sud, le Sahel et l’Afrique noire sont déstabilisés par Boko Haram. Malgré son islam de rite malékite, réputé plus modéré, le Maroc lui-même connaît des épisodes aigus de radicalisation.  » Rien qu’en cette année 2015, une vingtaine de cellules terroristes ont été démantelées au Maroc, déclare au Vif/L’Express Abdelhak Khiame, patron du nouveau Bureau central d’investigations judiciaires (BCIJ). Mille cinq cent cinq Marocains sont partis en Syrie, dont 733 ont rejoint les rangs de l’Etat islamique (430 sont décédés). Parmi ces combattants, 226 étaient des récidivistes.  » La preuve d’un enracinement idéologique que la force, seule, est impuissante à combattre.

Les services marocains sont, pourtant, performants. Du côté belge, certains les comparent à la CIA et au Mossad, soulignant la sophistication de leurs labos et leur système d’espionnage des télécommunications (même s’ils courent le risque d’en être les victimes). L’Institut royal de police de Kenitra répond aux meilleurs standards internationaux. Quant à l’opinion publique, elle commence à regarder différemment cet appareil sécuritaire qui a fait de grands efforts pour se détacher des  » années de plomb « , celles de l’ère Hassan II, quand des opposants disparaissaient sans laisser de traces et que la torture était pratiquée dans des bagnes et commissariats lugubres.  » Abdellatif Hammouchi, le patron des flics de la DGSN, fait l’unanimité, affirme Aziz Boucetta, directeur général du portail d’informations et d’analyse PanoraPost.com. Il a mené une opération « mains propres » et chassé les corrompus et les violents de la police. Actuellement, il n’y a pas d’animosités personnelles entre les membres de la communauté marocaine du renseignement et de la sécurité, qui rapportent tous au Roi. Ce dernier, à la différence de son père, Hassan II, ne joue pas les uns contre les autres.  »

Les infos du 13 novembre

Que les agences marocaines partagent aussi leurs infos avec les pays étrangers, en tête desquels les Etats-Unis, la France, la Belgique et l’Espagne, cela s’est vérifié dans des circonstances dramatiques. Le soir des attentats de Paris, le 13 novembre, les services de renseignements marocains ont appris à leurs homologues français que les terroristes venaient de Belgique et que l’un d’eux, Salah Abdeslam, s’apprêtait à y retourner. Ils ont également aidé à la localisation d’Abdelhamid Abaaoud à Saint-Denis, avec ce conseil :  » Suivez la cousine…  » Arrêté en octobre à son retour suspect de Turquie et détenu à la prison de Salé, Yassine Abaaoud, frère du chef présumé de la  » cellule de Paris  » avait été interrogé, dès le lendemain des attentats.

C’est là, à Salé, dans un faubourg ancien de Rabat, que se trouvent le tribunal de première instance de Rabat-Salé, compétent pour les faits de terrorisme sur tout le territoire et, nouveauté depuis mars 2015, le siège du flambant neuf Bureau central d’investigations judiciaires. N’y entre pas qui veut, bien que le complexe comprenne une salle de presse, gage d’une volonté délibérée de communication. Il faut, étant bien accompagné et introduit, franchir en voiture une série de chicanes et d’arrêts avant de descendre l’escalier monumental qui mène à l’entrée de la direction du  » FBI marocain « .

Ancien chef de la Brigade nationale de police judiciaire, le préfet de police Abdelhak Khiame, règne sur une section d’élite formée à l’intersection de la Direction générale de la sûreté nationale (police) et de la Direction générale de la surveillance du territoire (contre-espionnage), toutes les deux dirigées par l’actuel homme fort du régime : Abdellatif Hammouchi. La DGST est en pointe dans l’échange international de renseignements relatifs au terrorisme. L’autre grand service de renseignement marocain, mieux connu et craint des  » résidents marocains à l’étranger  » car il les  » suit  » en diaspora, c’est la Direction générale des études et de la documentation (DGED). D’essence militaire, la  » Dgèt  » est active dans une cinquantaine de pays. C’est un service  » offensif  » qui pratique la collecte de renseignements, à l’étranger, parfois aussi au Maroc, nous dit-on, et qui porte parfois une étiquette de barbouze.

Le nouveau visage de la police

L’inverse de l’image que veut projeter le préfet de police :  » Le BCIJ est l’aile judiciaire du service de renseignement, la DGST, qui assure le suivi des personnes qui se radicalisent, qui ont de mauvaises intentions ou qui ont la volonté de rejoindre les foyers de terrorisme comme l’Irak et la Syrie, explique-t-il au Vif/L’Express. Nous avons une brigade de lutte contre le terrorisme et une autre contre le crime organisé : armes, stupéfiants…  » Les membres du BCIJ ont la qualité d’officiers de police judiciaire.  » Leur champ d’action est délimité par le Code pénal, poursuit Abdelhak Khiame, et les actes les plus graves, comme les perquisitions, saisies, arrestations, écoutes téléphoniques ou interrogatoires, doivent être validés par le parquet général de Rabat, dans le respect des droits de la personne. J’ai imposé que les personnes auditionnées subissent un examen médical avant et après interrogatoire. Les auditions sont faites dans un local audiovisuel. Les avocats disposent de bureaux pour la visite de leurs clients. Les familles sont averties immédiatement de leur incarcération.  » Enfin, 90 lois (dahir ou décrets royaux) encadrent la lutte anti-terroriste.

Avec ses moyens considérables (340 enquêteurs triés sur le volet et des groupes d’intervention), le BCIJ est le nouveau visage de la police marocaine, celle qui balaie les critiques de l’extérieur à propos de deux célèbres détenus belgo-marocains condamnés, en 2011 et 2012, pour trafic d’armes et terrorisme :  » J’ai fait toutes les enquêtes sur Abdelkader Belliraj et Ali Aarrass, déclare Khiame. Je peux témoigner que leurs droits ont été totalement respectés. J’ai toujours été partisan d’une enquête judiciaire rigoureuse et scientifique, je ne me contente pas d’aveux.  »

Il pointe la menace que représentent certains  » résidents marocains à l’étranger  » séduits par les thèses extrémistes, même si, reconnaît-il, les  » services belges font du bon travail « .  » Tout a commencé avec le retour des « Marocains afghans » qui sont retournés vivre en Europe après la guerre d’Afghanistan. Certains, dans leur fief de Maasmechelen, au Limbourg, ont participé à la préparation des attentats de Madrid, en 2004. L’actuelle troisième génération ne connaît rien du Maroc. Ils ont été livrés à eux-mêmes. L’islam n’a jamais recommandé aux musulmans de refuser l’autre ni de le tuer. Il faut leur inculquer les concepts de l’islam modéré en s’inspirant de l’expérience marocaine de « sécurité spirituelle » et en les intégrant dans la société.  » Le même message répété à tous les étages de la maison Maroc.

De notre envoyée spéciale à Rabat, Marie-Cécile Royen

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