Aux » recalés de l’école pour tous « , différents jurys, de plus en plus nombreux, offrent une autre possibilité de décrocher le diplôme manquant. Avec l’aide de collèges privés, si on y met le prix. Un miroir aux alouettes ?
L’allure sportive, les cheveux mi-longs rejetés en arrière, Jérôme (15 ans) a débarqué à la Brussels School, une école privée située à Bruxelles, voici trois semaines. » Je n’arrivais pas à me mettre à étudier « , explique l’adolescent. Jérôme accumule déjà un retard scolaire de deux ans et a changé cinq fois d’établissement. Cette année, en guise de punition, sa mère l’avait sommé de potasser, à domicile, avec l’aide de deux professeurs privés, les examens du jury de la Communauté française, correspondant au 2e degré du secondaire, appelé » petit jury « . En vain.
L’an dernier, Guillaume (18 ans), lui, a échoué en 6e rénovée. » On s’y attendait, explique sa maman. Depuis la 5e, ses résultats étaient en chute libre. La loi du moindre effort. Les profs n’avaient aucune prise sur lui. » Le jeune homme a donc choisi une école privée qui prépare au jury de la Communauté française délivrant le certificat d’enseignement secondaire supérieur (CESS), le » grand jury « . Il est entré à l’école du Bois Sauvage, à Bruxelles, dès le 1er août. Les examens de la première session débutent en effet en septembre. Aujourd’hui, Guillaume attend les résultats du seul examen qu’il a dû repasser en seconde session, au printemps dernier, et qui conditionnera son entrée ou non, l’an prochain, à l’université.
Combien de Jérôme et de Guillaume l' » école pour tous » perd-elle en cours de route ? Les retards scolaires (environ 45 % d’élèves en fin de secondaire) poussent-ils de plus en plus de jeunes à recourir aux jurys, que l’on peut aussi préparer seul chez soi grâce à un cours par correspondance ? Le ministère de la Communauté française estime à 400 le nombre de candidats présentant bon an mal an le » petit jury « . Et ils seraient 2 000 inscrits au » grand jury « .
Au fil du temps, leur profil s’est modifié. » A l’origine, le jury constituait une seconde chance pour des adultes qui se mordaient les doigts d’avoir arrêté trop tôt leur scolarité et qui désiraient se réorienter professionnellement, explique José Bauwin, secrétaire du » petit jury « . Aujourd’hui, les jeunes qui ont accumulé les difficultés scolaires sont les plus nombreux. On y rencontre aussi un public très varié : le surdoué qui veut gagner du temps ou le jeune sportif de haut niveau. » Sans oublier les prisonniers, les malades et tous ceux qui ne peuvent pas davantage se soumettre à un enseignement traditionnel.
Entre-temps, le marché de la » seconde chance » s’est également élargi. Depuis 1994, un décret réglemente l’examen d’admission aux études supérieures de 1er cycle, organisé par les universités mêmes. Au départ, il s’adressait aux étudiants étrangers. » Mais l’an dernier, la moitié des quelque 200 jeunes qui ont présenté les examens étaient Belges « , explique Claude Henschel, directrice du département Enseignement à l’ULB. Ainsi au Lycée Molière, » beaucoup d’élèves préfèrent désormais tenter cette épreuve plutôt que le ôgrand jury » réputé trop dur « , explique-t-on au secrétariat de cette école privée bruxelloise.
Enfin, cette année, le Lycée Molière, comme d’autres établissements privés, a accueilli les premiers candidats aux examens du tout nouveau jury du 1er degré, organisés à l’automne prochain. » Il s’agit de jeunes qui n’ont pas réussi le 1er cycle du secondaire en trois ans. Légalement, ils ne peuvent plus doubler. Ils sont donc automatiquement orientés vers la 3e professionnelle. Or, parfois à tort, des parents craignent que l’ambiance de ce type d’écoles ne perturbe leur enfant. »
Enfants gâtés
Le public des écoles privées francophones – quelques centaines d’adolescents fréquentent une petite dizaine d’établissements, situés principalement dans les quartiers chics de Bruxelles – n’a pas le profil des » mauvais garçons « . Même si les directeurs se permettent parfois, avec l’accord des parents, de les soumettre à des analyses pour détecter une éventuelle prise de cannabis. Leur retard scolaire est souvent faible. » Certains ont été la tête de turc de leur classe, d’autres ont été déstabilisés par des problèmes familiaux ou par l’attitude de parents qui ont fait entièrement confiance à l’école sans exiger le moindre résultat « , explique Olivier Greindl, directeur du Collège de Facqueval, un ancien relais de chasse enfoncé dans la verdure près de Huy, reconverti en internat pour garçons préparant le » petit jury « .
Beaucoup de gosses sont aussi tout simplement pourris gâtés. » Ils ont GSM, télévision et ordinateur dans leur chambre, poursuit Bruno Terlinden, directeur du Bois Sauvage. Quand ils ont surfé sur Internet jusqu’à minuit, le lendemain, ils sont fatigués. Ils ratent l’interrogation, prennent le prof en grippe et c’est l’engrenage. »
Pour rattraper le retard, les écoles privées ont souvent renoué avec les vieilles méthodes : ordre, méthode, discipline. Au Lycée Molière, on porte l’uniforme. Au Collège de Facqueval, on écrit au stylo. Partout, on vante les mérites du travail, de l’effort. » Ici, on n’a pas plus de vacances que dans une banque « , explique Rudy Bogaerts, directeur de la Brussels School. Une semaine à Noël et à Pâques, rien à la Toussaint ou au carnaval, un seul mois en été. L’étude prolonge souvent la classe. Au Bois Sauvage, on pratique les tests au finish, trois fois par semaine. » Tant que l’élève n’a pas satisfait, il est prié de réétudier sur place et de représenter la matière, même s’il faut rester jusqu’à 22 heures le vendredi soir « , explique Terlinden. A la Brussels School, où la journée est rythmée par EuroNews et les journaux télévisés, les cours ex cathedra ne durent pas plus d’un quart d’heure, mais ils sont suivis d’un travail personnel réalisé à l’aide de syllabus et d’une interrogation un brin musclée au tableau. » On y reste jusqu’à ce qu’on ait trouvé : l’élève doit se dépasser « , explique Bogaerts. La méthode forte comme remède à la démotivation, en plus d’une organisation souple, d’un enseignement individualisé en petits groupes, stimulés par des professeurs souvent appelés coachs : tout cela a évidemment un coût, de l’ordre de 1 000 euros environ par mois (internat compris, parfois).
Il faut, toutefois, se méfier du miroir aux alouettes. Beaucoup d’écoles privées annoncent des taux de réussite de 75 % à près de 100 %. Ce qui est difficilement vérifiable. Et puis, réussite à quoi ? Ainsi l’examen d’admission aux études supérieures n’offre, à ce stade, aucun diplôme et n’ouvre les portes que des universités belges. Si le jeune ne va pas au terme du baccalauréat ou du master (anciens graduats et licences), il n’aura pas de CESS à faire valoir sur le marché de l’emploi.
Une sélection impitoyable
Il ne faut, en effet, pas sous-estimer les difficultés du » grand jury « . Une session se décompose en trois groupes d’épreuves, étalées sur cinq mois environ. Elle embrasse un minimum de sept branches et porte sur la matière de deux années. » Alors que dans l’enseignement ordinaire, en fin de 5e ou de 6e, un élève est souvent interrogé sur le seul programme du 3e trimestre « , fait remarquer Terlinden. Il est dès lors tout à fait exceptionnel de réussir en une seule session. Un système de dispenses pour toute branche réussie avec plus de 60 % permet néanmoins d’alléger les sessions ultérieures, car il est possible d’en repasser plusieurs dans les cinq ans. » En moyenne, les candidats présentent trois ou quatre sessions et mettent donc deux ans, comme dans l’enseignement ordinaire, pour décrocher le CESS « , avance Jean-Pierre Materne, secrétaire du » grand jury « . Quand ils ne se sont pas découragés, entre-temps, évidemment.
Les taux de réussite aux sessions d’admission à l’enseignement universitaire ne sont pas plus encourageants, même si les examens ne durent que deux semaines et portent seulement sur une partie des branches du secondaire. » Mais les candidats, qu’ils soient belges ou étrangers, sont majoritairement des jeunes au niveau très moyen qui ont généralement essayé, en vain, le ôgrand jury », explique Marie-Noëlle Cambier, à l’UCL. Comme toutes les universités n’organisent pas les examens d’admission en même temps, ils s’inscrivent en outre aux sessions de plusieurs d’entre elles. Malgré cela, seuls 2 ou 3 sur 10 réussissent. » A l’ULB, les chiffres sont similaires : 17 % de réussite pour les étrangers, contre 22 % pour les Belges. Dans ces conditions, il vaut peut-être encore mieux mordre sur sa chique et tout faire pour ne pas louper l’enseignement classique.
Dorothée Klein
Les écoles privées affichent des taux de réussite invérifiables…