LE MAGICIEN D’OZ

Passé du Real Madrid à Arsenal, l’été passé, la griffe du maître à jouer allemand est déjà perceptible chez les Gunners, solides leaders en Premier League.

Début septembre, stupéfaits, les joueurs du Real Madrid ont fait chauffer leurs téléphones portables quand ils ont appris que Mesut Özil allait rejoindre Arsenal. Le médian, qui était sans doute le plus fin technicien du noyau, était pratiquement jeté à la poubelle. Pourquoi ? Nul n’a pu fournir de réelle explication et on ignore toujours les motivations du président madrilène, Florentino Perez.

Depuis, on a appris que l’Allemand ne s’estimait pas apprécié à sa juste valeur. Valet de la cour de Cristiano Ronaldo, il était voué à l’ombre. On ne s’intéressait qu’aux nombreux buts inscrits par l’avant, négligeant l’homme qui démantelait les défenses adverses par sa fantaisie et sa lecture du jeu. Même lorsqu’il avait préparé un but d’une action sublime, empreinte d’engagement, les caméras se détournaient de lui pour suivre Ronaldo, fêtant son goal.

Les applaudissements lui étaient rarement destinés. C’est évidemment lié à sa personnalité. Mesut Özil est un artiste dépourvu de charisme. Dès qu’un coéquipier est placé ne fût-ce qu’un pourcent mieux que lui, il lui cède le ballon. Il était peut-être trop banal pour le mythique Real.

Gareth Bale a débarqué auréolé de son prix – cent millions. Peu importe que le Gallois perde tous les ballons dès que les espaces sont réduits. Bale est plus galactique qu’Özil et il cadre donc mieux avec la mégalomanie du président. Conclusion, le roi des assists a dû déblayer la route, coup de pied des médias en prime.

Özil a fait impression dans les stades anglais, en l’espace de deux mois. Il y a quelques semaines, un journaliste du Guardian a écrit, amusé, qu’il avait reçu un courriel de son rédacteur en chef, à la mi-septembre : on actualisait l’orthographe du quotidien. Dorénavant, le O majuscule avec Umlaut serait effectivement écrit avec un tréma.

La direction s’y sentait contrainte suite à l’arrivée d’un certain Allemand, qui faisait planer Arsenal mais aussi toute la Premier League. Pour un journal aussi conservateur, dont la première édition est sortie en 1821, une telle adaptation peut être qualifiée de franchement révolutionnaire. Cela en dit long sur l’impact qu’a le médian sur le football anglais.

Özil est l’un de ces footballeurs pour lesquels on achète un billet. Il convient donc d’orthographier correctement son nom. Il est d’ailleurs étrange qu’Arsenal et la BBC continuent de l’appeler Ozil.

La métamorphose d’Arsenal

Cela changera peut-être si sa présence se traduit par un trophée, en fin de saison. Ses supporters savent depuis longtemps que le penseur de l’entrejeu est un footballeur spécial mais ce sont les trophées qui définissent une ère.

DennisBergkamp et Thierry Henry font partie pour toujours des Invincibles, l’équipe prodige qui a été sacrée championne en 2004 sans avoir concédé de défaite. Après huit longues saisons sans trophée, le Nord de Londres est obsédé par un nouveau titre.

Les premiers éclairs de génie d’Özil en Angleterre ont eu un effet quasi hypnotique, sur Arsène Wenger ( » le football est inné chez lui « ), sur son équipe, ses partenaires, les spectateurs. On le lit partout : il a métamorphosé Arsenal. D’un coup, l’équipe fait partie des favoris au titre, malgré la défaite 1-0 à Manchester United.

Le Magicien d’Öz semble avoir tout changé. L’avenir nous dira si c’est vraiment le cas. Pourtant, Arsenal ne semblait pas avoir vraiment besoin d’Özil. Pendant tout l’été, on s’est répandu en spéculations sur l’arrivée d’un attaquant hors-catégorie.

Le club avait manifestement courtisé Wayne Rooney et LuisSuarez et Wenger semblait posséder suffisamment de médians offensifs aptes à faire le jeu, avec Jack Wilshere, Aaron Ramsey et Santi Cazorla. De facto, Özil est bien le footballeur dont les Londoniens avaient besoin : un gagnant, un homme ambitieux qui rappelle aux pires cyniques la quintessence du football : le jeu d’équipe, le plaisir de jouer et d’obtenir un résultat. On sait que l’exécution est capitale aux yeux de Wenger : un jeu de combinaisons et un brin de magie, avec un ballon qui passe de pieds en pieds.

Le jeu d’Özil paraît lent, comme s’il jouait avec le frein à main, ce qui a suscité quelques doutes sur son aptitude à s’épanouir en Premier League mais Özil est de ces joueurs qui déterminent le rythme des échanges. C’est la Premier League qui s’adapte à lui. Ses reprises constituent une part de son secret.

En progression constante

Le ballon est en sécurité dans les pieds de l’Allemand, qui dispose aussi d’un arsenal de trucs et qui est bien plus rapide qu’on ne l’imagine. Il utilise sa technique de manière fonctionnelle. Il a expliqué, un jour, qu’il réunissait le meilleur de deux mondes : Özil a la technique et la fantaisie d’un Turc mais le rendement et la mentalité d’un Allemand. Ce cocktail le rend unique, d’autant que l’aisance avec laquelle il joue éveille la jalousie.

Début octobre, pendant l’échauffement précédant le match à Swansea City, il a craché son chewing-gum et l’a renvoyé dans sa bouche du pied gauche, sous les regards épatés de ses coéquipiers. Un tour de magie…. Attribuer au seul médian allemand la renaissance d’Arsenal serait évidemment excessif.

Wenger avait depuis longtemps le sentiment de posséder à nouveau une grande équipe. Depuis le printemps, les Gunners ne cessent de progresser. Jusqu’à présent, leur plus beau fait saillant reste leur victoire 0-2 à l’Allianz Arena contre le Bayern, le futur lauréat de la Ligue des Champions.

Aaron Ramsey ne sort pas du néant mais depuis janvier, il progresse quasiment de semaine en semaine. Une tenace blessure à la cheville a écarté Jack Wilshere des terrains pendant un an et demi et même s’il signe d’excellentes prestations, il n’est pas encore redevenu le footballeur qui avait coupé le souffle de Pep Guardiola en mars 2011, lors de ses deux joutes européennes contre Barcelone.

Olivier Giroud, qui a entamé sa deuxième saison à Londres, s’adapte de mieux en mieux aux exigences qu’impose Wenger à un avant-centre. Il ne faudrait pas non plus sous-estimer la contribution de Mathieu Flamini, revenu à Arsenal cet été. Tous ces joueurs ont une part dans la haute conjoncture actuelle mais Mesut Özil gomme les carences qui restent à Arsenal par la beauté de son jeu. Reste à voir si la ligne arrière est suffisamment solide dans les vraies grandes affiches.

Fini l’étiquette de loser

Le déménagement d’Özil à Londres a un autre effet : le football est redevenu cool pour Arsenal, qui avait perdu beaucoup de prestige à cause de la fuite annuelle de ses vedettes. Wenger avait acquis l’image d’un perdant aux yeux de beaucoup, celle d’un idéaliste qui s’imaginait, à la tête de sa crèche, pouvoir rivaliser avec ses concurrents gonflés aux pétrodollars. L’arrivée d’un ténor de premier rang, au sommet de sa carrière, a modifié cette perception.

Arsenal offre donc un nouveau départ à Özil. Ce Germano-Turc de la troisième génération peut y voir une répétition de l’histoire. Son grand-père est arrivé dans la Ruhr en 1961, avec pour tous biens une valise et sans famille. Mustafa, le père d’Özil, avait deux ans quand il s’est établi définitivement en Allemagne. Mesut a passé sa jeunesse à Bismarck, le quartier turc de Gelsenkirchen.

Il s’entraînait tous les jours sur un terrain situé Olgastrasse, un terrain désormais connu dans le monde entier comme  » la cage à singes  » d’Özil. C’est là qu’il a entamé sa conquête de l’Europe. Il a effectué ses débuts en Bundesliga à Schalke 04, à 17 ans. Passé au Werder Brême, il a attiré l’attention de l’équipe nationale allemande puis du Real Madrid.

Angela Merkel le cite souvent comme l’exemple parfait d’une intégration réussie : Özil est le premier footballeur allemand multiculturel adulé dans le monde entier et même en Turquie, où il a d’abord été considéré comme un traître pour avoir préféré la Mannschaft à l’équipe nationale turque.

Depuis, la critique s’est tue et a fait place à la fierté qu’un des meilleurs footballeurs soit un des leurs. Devrek, le village natal de son grand-père, a même donné son nom à une rue. D’ici quelques années, Özil pourrait recevoir une statue à l’Emirates Stadium.

PAR SULEYMAN OZTÜRK – PHOTOS: IMAGEGLOBE

Mesut Özil est le mélange parfait : il possède la technique et la fantaisie d’un Turc ainsi que le rendement et la mentalité d’un Allemand.

Par respect pour son nom, orthographié avec un tréma sur le O majuscule, le prestigieux journal The Guardian a actualisé sa typographie.

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