Le lent calvaire des mammifères marins

Le 9 novembre dernier, un rorqual commun a été retrouvé accroché à la proue d’un navire dans le port de Gand. Ce n’est pas un fait isolé : plus de cent mammifères marins (dauphins, baleines, phoques) s’échouent chaque année sur les plages belges. Notre mer du Nord est-elle toxique ?

Les baleines et autres mammifères marins comme les marsouins (petits dauphins) et les phoques sont de plus en plus nombreux à s’échouer sur les côtes de la mer du Nord. En l’espace d’un mois, dix globicéphales se sont retrouvés sur la plage de Calais, une baleine se faisait littéralement traîner par un cargo brésilien depuis le golfe de Gascogne jusqu’au port de Gand, et l’on découvrait un petit rorqual sur la proue d’un navire dans le port de Rotterdam. Ces animaux apportent des informations d’une grande pertinence aux chercheurs et nous renseignent sur l’état de santé des mers.

 » En vingt-cinq ans, nous sommes passés de deux à plus de cent cétacés échoués sur les plages belges chaque année « , explique le professeur Thierry Jauniaux, de la faculté de médecine vétérinaire de Liège. Il est chargé de l’autopsie et de la dissection des mammifères marins échoués. Tel Sherlock Holmes, le docteur vétérinaire fait parler le cétacé et en déduit une foule d’informations sur le milieu marin. L’estomac du mammifère nous révèle le contenu de la mer en poissons mais aussi en parasites et sacs plastiques. Ses graisses sont les bibliothèques vivantes de quantités de polluants comme les métaux toxiques, les pesticides et les PCB.

Le climat s’emballe et les marsouins déboulent

 » Avec seulement 65 kilomètres de côte, la Belgique détient le triste record de la densité d’échouages la plus élevée au monde « , souligne le professeur Jauniaux. Ces tristes statistiques sont dues à une population de mammifères marins en mer du Nord en nette augmentation ces dernières années, liée à un déplacement des populations vers nos côtes et à une hausse des facteurs de mortalité. Les mouvements de populations seraient liés, entre autres, au réchauffement climatique qui, modifiant la température de l’eau, perturbe les conditions de vie du plancton à la base de la chaîne alimentaire et, par conséquent, la présence des poissons. Or, ceux-ci sont suivis à la trace par les mammifères marins pour leur repas journaliers. En outre, on observe un taux de mortalité plus élevé provoqué par des noyades dans les filets de pêche récréative, par des morsures de phoques, et par une sensibilité accrue aux maladies dues aux pollutions historiques accumulées.

Le docteur Krishna Das, biologiste et chercheur au FNRS, mène ses recherches sur les polluants en milieu marin.  » Les mammifères marins sont en première ligne face à ces polluants chimiques : ils sont les sentinelles de l’environnement marin.  » Ces animaux se trouvent au bout de la chaîne alimentaire. Ils se nourrissent principalement de poissons et de calmars, qui eux-mêmes, se sont repus préalablement de poissons plus petits et de crustacés, eux-mêmes prédateurs du zooplancton, ayant lui-même ingéré du phytoplancton. Les mammifères marins sont donc susceptibles d’ingurgiter des quantités significatives de contaminants tels que certains métaux toxiques (comme le mercure), des polluants organiques persistants (comme les PCB et certains pesticides). Ces contaminants sont déversés via les égouts dans les rivières et sont finalement charriés dans la mer du Nord par le Rhin, l’Elbe et l’Escaut. Un riche passé industriel a apporté son lot de polluants persistants dans les années 1960 et 1970.

Alors on mange ?

Comme ces polluants se transmettent de génération en génération via le placenta et le lait maternel, on retrouve des produits non autorisés, connus depuis bien longtemps pour leurs effets néfastes sur la vie mais qui continuent de nous narguer pour finalement se retrouver dans nos assiettes quand nous mangeons du poisson. En Suède, la consommation de poisson est d’ailleurs déconseillée aux femmes enceintes.

Toutefois, inutile de se ruer sur les burgers, le poisson amène son lot de protéines, d’acides gras polyinsaturés et d’éléments essentiels tels que le sélénium.  » La balance penche toujours du bon côté et rien de tel qu’une alimentation diversifiée « , rappelle le docteur Krishna Das. L’ingestion doit rester modérée (une fois par semaine maximum). Les petits poissons situés en bas du réseau trophique et riches en oméga-3 comme le hareng ou la sardine sont moins contaminés et sont à privilégier.

Maintenant que des lois strictes réglementent les rejets industriels, ces substances ont diminué drastiquement. Les concentrations en PCB dans différentes espèces de moules, poissons et oiseaux ont chuté d’environ 60 % ces quarante dernières années. Mais les concentrations stagnent depuis une vingtaine d’années et présentent toujours une certaine toxicité pour les mammifères marins, notamment une susceptibilité accrue aux maladies infectieuses.

Aujourd’hui, de nouvelles substances apparaissent, et leur nature polluante et néfaste n’est découverte que petit à petit. C’est le cas, par exemple, du triclosan ajouté au dentifrice comme antibactérien, ou des retardateurs de flammes dont sont imprégnés tous nos canapés. Ces produits pénètrent dans nos vêtements et sont transférés dans les rivières après chaque passage dans la machine à laver.

L’être humain, en se hissant au sommet de la chaîne alimentaire, ne pourra jamais s’en libérer et doit en subir les conséquences. La situation avance dans le bon sens pour les polluants connus, mais plus de 700 polluants émergents sont déjà recensés, dont de nombreux microplastiques. Réglementation et prise de conscience doivent continuer à évoluer.

Par Frédérique Hupin

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