L’Exposition internationale célébrera l’anniversaire d’Astana, capitale sortie de la steppe il y a vingt ans par la volonté de l’omnipotent président Nazarbaev. Le chantier est d’envergure mais, déjà, des lignes de faille s’y dessinent.
Qui dit Astana voit Bayterek, la tour phare de la ville : un oeuf doré perché au sommet d’un mikado métallique haut de cent mètres. Une fois installé dans l’oeuf, on peut mettre sa main dans l’empreinte de celle du président de toute éternité, Nursultan Nazarbaev, et faire un voeu. On peut aussi admirer la vue panoramique et aller à la pêche au building le plus insolite, entre les deux projectiles dorés, la pyramide, la liasse de billets ou la tente géante. Tout de verre et d’acier vêtus, ils détonnent dans le vide de la plaine. C’est l’argent du pétrole qui a fait sortir cette cité délirante du ventre de la steppe et de l’imagination du président. En 1997, il a déménagé la capitale d’alors, Almaty, vers le nord-est du pays, une région stratégique et à l’abri des séismes. Là, Nazarbaev a eu le champ libre pour démontrer sa toute-puissance sur la steppe, ses moustiques l’été et ses – 40° C l’hiver.
Un thème irréprochable
La jeune capitale fêtera ses 20 ans en grande pompe : Astana, sélectionnée en novembre 2012 au détriment de Liège, organisera, à l’été 2017, l’Expo internationale sur le thème de l’énergie du futur, du renouvelable à l’efficacité énergétique. Ce thème vient bien à point au Kazakhstan : un quart de son produit intérieur brut (PIB) provient du pétrole, comme 60 % de ses exportations. Dès lors que le prix de l’or noir passe sous les 50 dollars, limiter sa dépendance devient une priorité absolue… Aussi, » nous voulons être parmi les pays les plus développés au monde. Nous nous mettons donc à faire ce que les pays développés font. De l’énergie verte, par exemple « , explique un ingénieur de l’entreprise Solar Astana, lancée en 2011 sous l’impulsion du gouvernement.
En affichant cette volonté de production d’énergie verte, les Kazakhs espèrent aussi attirer de la technologie et des investissements étrangers sur leur sol. Au bout du compte, ils veulent pouvoir exploiter eux-mêmes toutes leurs ressources, renouvelables et fossiles. Fort opportunément, l’université Nazarbaev vient d’ouvrir ses portes à un jet de pierre du chantier de l’Expo. On y enseigne, en anglais, toutes les disciplines qui touchent, de près ou de loin, à la technologie et aux ressources naturelles. On assure qu’une fois que l’Expo aura plié bagage, les savants n’auraient qu’à traverser la rue pour se trouver des laboratoires flambant neufs. Bref, dans ce monde idéal, toutes les pièces du puzzle s’imbriquent avec précision : elles sont mues par le pouvoir central.
Visiteurs d’ici et d’ailleurs, bienvenue !
Le Kazakhstan place aussi de grands espoirs de diversification économique dans le tourisme. Lors de l’Expo, des visiteurs, qui auraient été incapables jusque-là de situer le Kazakhstan sur une carte du monde, devraient affluer. L’espace d’un été, deux millions de visiteurs sont attendus à Astana, qui ne compte que 759 000 habitants. La ville se déploie pour accueillir ces nouveaux venus. Deux gares et un terminal d’aéroport neufs la relieront au reste du monde. 1 050 appartements et deux hôtels pour les commissaires et les participants à l’Expo verront également le jour. Et des experts étrangers sont appelés à la rescousse pour former le personnel hôtelier kazakh aux exigences occidentales.
Astana entend bien se montrer sous son plus beau jour. La stratégie venue d’en haut est cohérente, jusque dans les moindres détails : depuis peu, les ressortissants de pays que le Kazakhstan désire attirer sur son sol sont dispensés de visa d’entrée. Parmi ceux-ci, les Belges depuis juillet dernier. Mais la débauche de moyens n’est pas réservée aux seuls étrangers : 85 % des visiteurs déferleraient des confins du Kazakhstan pour admirer leur capitale dans toute la splendeur de sa jeunesse et de sa force…
Fêlures dans la belle vitrine
La population se réjouirait volontiers de cette belle vitrine à faire miroiter au reste du monde. Mais elle a d’autres chats à fouetter, nettement plus féroces. Dans les pas du grand voisin chinois, le gouvernement a brusquement mis fin au contrôle du taux de change. En quelques beaux jours d’août, la monnaie nationale, le tenge, a perdu un quart de sa valeur. Le coup est rude pour ce pays qui importe 40 % de sa nourriture. Les gens voient avec inquiétude fondre leur salaire et leur bas de laine. Les perspectives de croissance ont été ramenées à 1,5 %, voire à 1,3 %. Dans ce contexte économique et avec le pétrole au plus bas, l’heure n’est pas aux folies. » Vraiment, on ne peut pas se permettre cette Expo. Enfin, même si on l’avait, cet argent, on n’en verrait de toute façon jamais la couleur « , peste une jeune Kazakhe venue chercher du travail à Astana.
En effet, la corruption reste monnaie courante au Kazakhstan. La société qui organise l’Expo 2017 ne fait pas exception à la règle : son directeur est assigné à résidence depuis juin 2015 pour détournement de fonds. Une flopée de démissions aux motifs flous a suivi parmi le gratin de l’organisation. La plus croustillante serait celle d’une très jeune et très jolie trentenaire, par ailleurs ex-ministre en Géorgie. La plus interpellante est sans doute celle d’une activiste socio-environnementale chevronnée qui dit se sentir plus utile ailleurs. Ces postes sont peut-être à pourvoir maintenant… Mais bien malin qui arriverait à y postuler : les offres d’emploi dans la société Astana – Expo 2017 ne sont pas accessibles au commun des mortels. Plusieurs personnes affirment avoir postulé en vain. L’Expo 2017 recèle encore quelques autres mystères : la vie après l’événement pour les bâtiments construits à cette fin, ou le budget réellement englouti dans les travaux. Cette gestion opaque et chaotique du bien public écoeure des Kazakhs tout désabusés qu’ils soient.
La bulle à Astana, le vide en dehors
Les murmures des mécontents sont bien vite masqués par les grues et les marteaux : Astana se bâtit avec frénésie. On dit que tous ces nouveaux logements devraient bien trouver preneur avec l’afflux de l’Expo… En attendant, les Kazakhs qui ont quelques économies les placent dans ces appartements qui sentent la peinture fraîche, faute de solutions bancaire ou boursière satisfaisantes. Ils y investissent avec d’autant plus d’enthousiasme qu’ils ont vu le rouble baisser depuis des mois et s’attendaient à une dévaluation du tenge. Bref, la bulle immobilière qui couve depuis dix ou douze ans à Astana n’est pas près de se dégonfler.
Si Rome ne s’est pas faite en un jour, Astana bien, ou presque. Mais pour une réelle diversification économique, qui fournisse à tous du travail et des biens de consommation décents, le travail sera sans doute de plus longue haleine…
Par Sibylle Greindl, à Astana