Le jeu de rôle calculé des Belges

Le N-VA Van Overtveldt a soutenu l’Allemagne. Le Premier MR Charles Michel a contribué à éviter le Grexit. Le CD&V a défendu une ligne modérée. Et Verhofstadt a réclamé plus d’Europe. Le psychodrame grec fut, aussi, une métaphore de notre politique.

« Agreement.  » Il était 8 h 39 du matin, lundi 13 juillet, quand le Premier ministre belge Charles Michel, premier entre tous les dirigeants européens présents à Bruxelles, a annoncé qu’une solution avait été trouvée pour la Grèce. Ce simple mot envoyé sur le réseau social Twitter a été relayé des milliers de fois, déclenchant la machine médiatique dans le monde entier.  » J’ai été impliqué toute la nuit, expliquait Charles Michel dans la foulée. Peut-être que j’ai donc été le premier à comprendre qu’on avait un accord.  » L’expression d’un animal politique, qui se pose lui-même en acteur décisif de dix-sept heures d’une négociation historique pour empêcher le Grexit. Une prouesse en matière de surcommunication.

Notre Premier ministre avait bien besoin de cet exorcisme pour enrayer le buzz négatif amorcé dans la ligne droite finale de ce psychodrame européen. En cours de négociation, plusieurs journaux européens, et non des moindres (Le Monde, The Guardian, Die Welt), ont classé la Belgique dans le camp des  » faucons  » partisans d’une ligne dure face à la Grèce, voire soutenant le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, dans sa quête d’une exclusion pure et simple de la Grèce de la zone euro. Une rupture avec l’histoire très fédérale et modérée de notre pays.

Cette  » classification  » médiatique a été relayée avec délectation par l’opposition de gauche francophone. Elle a aussi, jusqu’à un certain point, semé le doute au sein de la majorité fédérale. Mais, in fine, cet apport médiatique étranger aura surtout permis à chacun de se positionner dans un jeu de rôle qui arrange tout le monde.

 » Des hardliners ? Vraiment ?  »

L’opposition avait sa tête des mauvais jours à l’issue de la nuit décisive ayant contraint le gouvernement Tsipras à céder face aux requêtes européennes.  » L’attitude inflexible des uns et des autres – dont le gouvernement fédéral belge de droite – n’a manifestement pas rendu possible un accord plus solidaire, grince le Premier ministre sortant, Elio Di Rupo (PS). Jusqu’à présent, notre pays avait toujours joué le rôle d’un bâtisseur de ponts, oeuvrant pour une Europe unie mais aussi sociale et solidaire. Pour la première fois, nos représentants ont été systématiquement pointés parmi les tenants de la ligne la plus dure, proaustérité.  »  » Le gouvernement Michel a montré son vrai visage, appuie son collègue socialiste flamand Dirk Van der Maelen. Cette fois, c’est le président français François Hollande qui a repris ce rôle de bâtisseur de ponts.  » Un socialiste, faut-il le préciser.

Au-delà de ces critiques attendues, le CD&V a surpris tout le monde en relayant partiellement ces doutes, endossant à nouveau les habits d’un  » nouveau PS « . Tour à tour, les députés Steven Vanackere et Roel Deseyn, qui ne sont pas par hasard des représentants de l’aile gauche ACW du parti, ont posé ouvertement la question au Premier ministre :  » Par le passé, nous, Belges, ne nous sommes jamais profilés comme des hardliners, des partisans de la ligne dure. Pouvez-vous nous assurer que ce ne fut pas le cas cette fois-ci ? » Et d’exprimer leurs craintes au sujet de l’avenir des politiques sociales menées en Grèce ou de la nature équilibrée de l’accord. L’expression des sociaux-chrétiens flamands s’enracine dans la tradition européenne de leur formation politique : Herman Van Rompuy, Jean-Luc Dehaene ou, avant eux, Leo Tindemans ont joué un rôle-clé dans l’histoire de l’Union. Au vu des événements des dernières heures, peut-être nourrissent-ils, en outre, quelques regrets d’avoir préféré, en septembre 2014, le poste de commissaire européen pour Marianne Thyssen à celui de Premier ministre. Coincés dans la majorité fédérale, ils s’impatientent, enfin, sur le plan intérieur, de ne pas voir arriver le tax-shift. Un chemin de croix.

 » Je n’ai pas apprécié ce qui a été dit, rétorque le Premier ministre, avec l’air grave de celui qui a osé prendre ses responsabilités. La ligne de la Belgique a toujours été très claire : le soutien à la présence de la Grèce au sein de la zone euro, une grande solidarité européenne et un appel à une forte prise de responsabilité des autorités grecques. Je vous le dis droit dans les yeux : nous nous sommes opposés au Grexit. Avec six ou sept collègues, nous avons tout fait pour éviter la faillite totale ou l’aventure.  » Charles Michel réfute l’idée d’un nouveau  » plan d’austérité  » :  » Au contraire, on tend la main à la population grecque !  » Le matin du 13 juillet déjà, alors que l’accord se profilait à peine, c’est Louis Michel qui avait été dépêché dare-dare pour défendre en radio l’image libérale malmenée :  » La Belgique fait tout pour qu’il n’y ait pas de Grexit.  »

Interrogé à la VRT, le ministre N-VA des Finances Johan Van Overtveldt s’est lui aussi défendu d’avoir choisi son camp.  » On ne peut pas diviser l’Eurogroupe en un camp des faucons et un camp des mauviettes, défend-il. J’étais d’accord avec certains arguments du ministre Schäuble mais pas sur d’autres. Tant Wolfgang Schäuble que le ministre français Michel Sapin ou moi-même avons apporté des éléments pour trouver un compromis. Et, au final, la proposition a été adoptée de façon unanime.  » CQFD.  » Lors des négociations, le ministre belge n’a fait que répéter que les propositions grecques sur la table étaient insuffisantes « , indiquaient toutefois ce week-end des sources proches des négociations. Et lors du débat en commission parlementaire, les députés N-VA ont lourdement insisté sur l’importance du volet  » responsabilités  » de l’accord, tandis que les libéraux flamands mettaient en avant les réformes structurelles nécessaires en Grèce. Un jeu de rôle, jusqu’au bout…

 » Non aux caricatures  »

A peine l’accord grec rendu public, le 13 juillet, les réseaux sociaux se sont enflammés. Sur Twitter, un hashtag est apparu pour dénoncer un  » coup d’Etat « , rien de moins. Des comparaisons déplacées entre l’Allemagne de Merkel et la période noire des nazis ont fusé. Une colère face à l’épreuve imposée à la Grèce qui a rapidement trouvé ses relais au niveau de la politique belge. De façon tranchée dans le chef du PTB Marco Van Hees :  » C’est un coup d’Etat néocolonial qui laissera des traces profondes dans l’histoire de l’Europe.  » De façon plus modérée dans celui de l’Ecolo Georges Gilkinet :  » C’est un jour noir pour l’Europe. Cet accord est une mise sous tutelle de la Grèce.  »

 » Ce qui dégrade l’Europe, ce sont les caricatures et les excès qui renforcent les populismes partout en Europe, se fâche Charles Michel. Contrairement à ce que j’ai entendu, ces mesures que nous demandons à la Grèce ne tombent pas du ciel, tous ces textes sont prêts, à la virgule près. Pour certains, le gouvernement grec s’était même engagé à les voter il y a un certain temps déjà.  » Le Premier ministre cite la nécessité de rompre avec les vieilles habitudes – il évoque notamment une loi grecque désuète qui… empêche le licenciement collectif en cas de restructuration – et insiste sur les privatisations :  » Aujourd’hui, il n’y a pas d’actifs à hauteur de 50 milliards mais, à terme, avec la recapitalisation des banques et une meilleur gestion, ce sera une opportunité pour le pays.  » Du néolibéralisme ? Il nie :  » Autour de la table, il y avait sept chefs d’Etat socialistes et le plan a été approuvé à l’unanimité !  »

A ceux, socialistes francophones en tête, qui réclament un changement de cap pour l’Europe, le Premier ministre tacle à nouveau :  » Je pense, moi, que c’est ce que la nouvelle commission Juncker (NDLR : un chrétien démocrate) essaie de faire. Ces derniers temps, elle a un peu moins travaillé sur le budget et davantage sur les réformes structurelles, tout en mettant en place un plan d’investissements, même s’il n’est pas parfait. C’est ce nouvel élan que le gouvernement belge soutient.  » Fait notable : le CDH, tout au long des débats belges, a été remarquablement nuancé.

Depuis, sur les réseaux sociaux, d’autres analyses ont fleuri affirmant qu’au fond, c’est l’Allemagne et non la Grèce, qui a capitulé en rase campagne. Luc Coene, ancien gouverneur de la Banque nationale belge, de tendance libérale flamande, n’est pas loin de le penser quand il réitère ce qu’il avait exprimé au Vif/L’Express (numéro du 3 juillet) :  » Je me demande si un Grexit n’aurait pas été souhaitable.  »

 » Ne pas toucher aux structures  »

Dans cette pièce de théâtre belgo-européenne, un autre acteur s’est ô combien distingué ces dernières semaines : l’ancien Premier ministre libéral Guy Verhofstadt, aujourd’hui président du groupe de l’Alliance des démocrates et libéraux au Parlement européen. On l’a vu s’enflammer face au Premier ministre grec, Alexis Tsipras, lui dictant pratiquement son plan de réformes quelques jours avant le sommet de la dernière chance. Fidèle à son leitmotiv fédéral, il reprend désormais son bâton de pèlerin pour défendre un approfondissement de l’Union :  » Laisser l’euro dans les mains d’un parti d’extrême droite en Finlande, d’une part, et d’un parti comme Syriza dans le sud, d’autre part, c’est impossible, scande-t-il. Il sera nécessaire, le plus vite possible, de réformer la zone euro, de mettre sur pied une structure permanente, communautaire, collective.  »

L’actuel locataire du 16 est davantage prudent ou pragmatique, c’est selon.  » Le grand danger, si l’on veut revoir les structures, c’est qu’il faut toucher aux traités. Or, la priorité absolue, c’est le développement économique, l’emploi, les perspectives à offrir à notre jeunesse.  » La pièce qui se joue est, là encore, une métaphore de la situation belge actuelle : il faut veiller à un stop institutionnel pour se concentrer sur l’essentiel. Mais à vrai dire, on a déjà connu notre pays plus ambitieux sur la voie fédérale européenne…

Par Olivier Mouton

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