Le hasard fait mal les choses

Avec seulement la moitié du total des mises redistribuées aux gagnants (contre 60 % pour les billets à gratter), le Lotto, comparé à d’autres jeux de hasard, offre l’un des plus mauvais  » rendements « . Quant aux chances de gagner, elles sont microscopiques ( lire l’encadré ci-dessous).  » Plus minces que celles de trouver un portefeuille dans la rue « , estime Jean Doyen, du département de mathématiques de l’ULB. Rabat-joie, le professeur ? Sûrement pas ! Qu’il n’ait jamais rempli (et pour cause) la moindre grille n’a pas empêché ce spécialiste de décortiquer des loteries du monde entier. Et son verdict reste rassurant :  » Du point de vue statistique, le loto belge est parfaitement honnête. L’analyse des fréquences d’apparitions, sur plusieurs années, montre qu’il ne comporte aucune boule qui, plus lourde, plus large ou plus bondissante qu’une autre, aurait tendance à rouler plus volontiers dans le tuyau du tambour.  »

Faut-il choisir des numéros qui se manifestent souvent ? Ou, au contraire, jouer les absents puisqu’ils devraient, tôt ou tard,  » rattraper  » leur retard ? Tordons vite le cou à l’idée tenace qu’on puisse tirer des conclusions de ces fameux tableaux de sortie. Certes, en vingt-cinq ans, les machines ont pointé davantage certaines boules û la 24, la 7, la 16, la 14 et la 25.  » Ces variations sont tout à fait normales, et dues aux seules fluctuations aléatoires, poursuit Doyen. Je répète : à aucun moment, un numéro n’a plus de chance de surgir qu’un autre.  » Pareil avec les ensembles. La série 3, 5, 18, 24, 32, 42, par exemple, a autant de possibilités d’être un jour tirée au sort que la suite 1, 2, 3, 4, 5, 6.  » On aurait tendance à éviter de miser sur cette dernière, tant elle semble peu probable pour l’homme de la rue, ajoute le mathématicien. Et c’est vrai que cette combinaison, chez nous, est toujours inédite. Mais il y en a des tas qu’on n’a encore jamais vues !  »

 » Un petit quelque chose  »

Cela dit, il existe bel et bien des façons d’augmenter ses chances d’empocher plus d’argent, dans l’éventualité où l’on aurait joué une grille gagnante avec 5 ou 6 bons numéros. Comme, à ces rangs, les gains dépendent du nombre de chanceux,  » autant cocher les cases qui semblent plaire le moins aux gens, afin d’espérer être le seul gagnant « . Evitez donc les nombres de 1 à 31, très courus parce qu’ils correspondent aux jours et aux mois de naissance. De même, bannissez les combinaisons qui forment des lignes, des colonnes ou de jolies figures symétriques : chaque semaine, la diagonale gauche-droite serait ainsi tracée par quelque 40 000 joueurs. Pour mémoire, le tirage du 5 octobre 1996, avec sa grille  » esthétique  » 13, 14, 15, 17, 18, 19, avait comblé au rang 1… 67 heureux, dotés chacun de 757 800 francs… seulement.

Rien, donc, ne permet d’augmenter ses chances de gagner, même si de nombreux charlatans proposent, contre rémunération, toutes sortes de martingales. Si les recettes de ces devins étaient réellement efficaces, pourquoi ne se contentent-ils pas de les mettre en pratique eux-mêmes, au lieu de se fatiguer à les marchander ? Dans une brochure où il se prétend  » l’une des plus grandes personnalités du monde des mathématiques appliquées « , le Montois Francis Balaban offrait encore, il y a quelques années, le  » moyen stupéfiant de gagner à tous les tirages du Lotto, pour une mise de 1 340 francs « . Il suffisait, pour cela, de remplir 134 grilles avec 134 combinaisons fournies par lui, pour obtenir au minimum une grille gagnante avec 3, 4, 5 ou 6 bons numéros… Or  » ce qu’affirme ce monsieur est parfaitement exact, souligne Doyen. L’ennui, c’est qu’il vend une liste dont chaque amateur peut, en théorie, disposer gratuitement « . Le loto fournit en vérité une matière pédagogique de premier choix. Aux amusants problèmes mathématiques qu’il soulève s’en ajoutent d’autres, nettement plus coriaces. L’un d’eux, auquel s’attellent régulièrement les étudiants d’université, consiste en effet à déterminer  » la plus petite liste de grilles qu’il faut jouer pour être sûr d’en remplir au moins une gagnante « . Au moyen de structures mathématiques assez complexes, les chercheurs ont démontré, jusqu’ici, l’existence, pour le loto belge, d’une liste de 123 ensembles de six numéros. Et non de 134, comme le propose Balaban. Ces 123  » sextuors  » donnent réellement à celui qui les joue l’assurance de gagner au moins  » un petit quelque chose  » : au minimum 2,50 euros (pour trois bons numéros)… mais peut-être beaucoup plus.  » A présent, on essaie de voir si l’on peut faire mieux, ajoute Doyen. Autrement dit, obtenir le même résultat avec une liste restreinte de combinaisons.  »

Prêts à tout

Il n’empêche, voilà beaucoup d’efforts pour des gains assez aléatoires. Mais les joueurs sont souvent prêts à tout. Ainsi, il n’a pas échappé à certains qu’il  » suffisait  » de débourser 2 622 893 euros (le coût de 5 245 786 grilles à 50 cents, soit le nombre de combinaisons possibles) pour empocher d’office un rang 1. Leur calcul n’est pas sot : des tirages extraordinaires sont parfois dotés de montants qui dépassent allègrement cette somme. Mais… gare ! Pour que l’opération reste rentable, il faudra impérativement recopier les innombrables grilles sans la moindre faute… et espérer ensuite être l’unique gagnant au rang 1 ! En dépit de ces contraintes, un petit groupe de joueurs gantois, qui a sorti par ordinateur la liste des 5 245 786 combinaisons, a décidé de courir le risque, le jour où la Loterie mettra en jeu une cagnotte  » monstre « … V.C.

V.C.

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