Le ministre-président socialiste francophone dénonce les couleuvres financières avalées par la Wallonie et Bruxelles en raison de la politique du gouvernement Michel. Et il fustige la » fatwa » décrétée par la N-VA à l’encontre du bourgmestre de Linkebeek.
Le Vif/L’Express : Vous aviez annoncé, il y a un an, que vous seriez vigilant par rapport à l’impact de la suédoise sur les intérêts des francophones. Aviez-vous des raisons d’être inquiet ?
Rudy Demotte : Je ne suis pas parti d’un préjugé. J’ai dit, à ce moment-là, que nous verrions ce qui résulterait du rapport de force au fédéral avec le MR ultraminoritaire. Je m’étais notamment engagé à être attentif à ce que les finances des Régions et Communautés ne soient pas mises en difficulté. Et sur ce plan, nous avons déjà avalé pas mal de couleuvres. Un exemple ? Il était prévu que le fédéral transfère aux entités fédérées des moyens pour payer les travaux de rénovation des hôpitaux à raison de 600 millions d’euros. Deux tiers de ce montant devaient être consacrés aux investissements passés et un tiers pour le futur. Mais depuis, on s’est rendu compte que la charge du passé était de 800 millions d’euros. Or, si le fédéral n’est pas prêt à assumer ses responsabilités, ce sera aux francophones de le faire.
Avez-vous évoqué la question lors du dernier Comité de concertation avec le gouvernement fédéral ?
Ça, c’est sûr… D’autant que ce n’est pas notre seule source d’inquiétude financière. Les mesures idéologiques prises dans le cadre du tax-shift causeront des pertes de recettes que l’on chiffre en centaines de millions d’euros. Les pouvoirs locaux seront eux aussi impactés. Il y a là, bien sûr, le jeu classique d’un gouvernement fédéral qui se déleste d’une partie de ses charges, mais cela s’accélère comme jamais auparavant. En plus, la nouvelle ministre du Budget confirme les données de l’Institut Emile Vandervelde selon lesquelles il y a un trou de 2 milliards d’euros dans le tax-shift. C’est un constat qui aurait valu les critiques les plus dures à un gouvernement avec les socialistes.
Voyez-vous une forme de mépris dans l’attitude du fédéral ?
En étant prudent, je parlerai de déconsidération. Si on est plus dur, oui, il s’agit d’une forme de mépris. Il y a une autre source d’inquiétude pour la défense des intérêts francophones : Linkebeek. On assiste à un jeu de rôles assez incompréhensible. Un bourgmestre, ancien FDF passé au MR, se bat tout seul face au gouvernement flamand. Au fédéral, le MR dit que ce n’est pas son affaire. Nous, au PS, ne pouvons pas poser la question parce que l’on serait accusé de s’en servir pour déstabiliser la majorité. Or, sur le fond, il est quand même inacceptable de voir un mandataire francophone faire l’objet d’une » fatwa « , rien de moins : la ministre régionale flamande N-VA Liesbeth Homans affirme désormais : » En aucun cas, il ne sera nommé. » Même s’il respecte les lois flamandes, donc. C’est la démonstration que la minorité francophone est déconsidérée d’une façon injustifiable.
Vous avez écrit au Premier ministre pour exprimer votre préoccupation, non ?
Je lui disais en substance dans ma lettre : » Vous être le Premier ministre de tous les Belges et le garant de la loyauté fédérale, je vous demande de mettre cette question à l’agenda du Comité de concertation. » Il a d’abord inscrit le point… en mon nom. Je me suis manifesté pour lui demander d’assumer ses responsabilités, en vain ! Ce n’est là qu’une des expressions du profond malaise qui existe. Un dernier dossier est venu confirmer cela : la remise en cause par la N-VA de l’accord climatique conclu par la ministre Marie-Christine Marghem avec les Régions. Il est quand même incroyable de la voir désavouée par une déclaration publique de son propre collègue, le ministre fédéral de l’Intérieur…
La N-VA montre-t-elle son vrai visage ?
On se demande en effet jusqu’où elle va aller. Avec l’annonce du port d’un badge pour les demandeurs d’asile, nous sommes à la lisière de l’incorrect parce qu’il s’agit d’une référence implicite à des moments très douloureux de notre histoire et les nationalistes flamands ne peuvent pas ne pas en être conscients. Quand Paul Magnette, mon collègue wallon, a dit qu’il le porterait, cela devient un acte militant, un symbole de résistance. Oui, ils sont en train de dépasser des lignes avec la volonté de se démarquer à la droite de la droite. Je ne remets pas en cause la difficulté de gérer cette question des réfugiés, mais ce qui me préoccupe aussi, c’est qu’il n’y a aucun échange d’informations en dépit de nos demandes répétées. Même chose sur les actions menées à l’égard de l’action des mouvements radicaux dans les écoles alors que l’enseignement est quand même de notre responsabilité. Il n’y a aucune confiance entre nous et la N-VA.
Tout cela démontre-t-il par l’absurde l’importance de la Communauté française ? Certains, y compris au sein de votre parti, parlent de la supprimer ou de réduire ses pouvoirs…
J’ai été ministre-président wallon, j’ai porté la double casquette et je n’ai pas oublié l’importance des Régions. Mais ce qui me guide dans cette réflexion, c’est un souci de pragmatisme. Les institutions ne sont là que pour servir les gens. La Fédération Wallonie-Bruxelles est-elle perfectible ? Oui, comme d’autres institutions. Faut-il veiller à une meilleure efficacité de notre fonctionnement en matière d’enseignement ? Certainement, et c’est notamment ce à quoi nous nous attelons avec le Pacte d’excellence. Mais faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ? Dans ce cas-ci, le bébé, c’est la norme qui doit rester commune. La Wallonie et Bruxelles n’ont pas de continuité territoriale, imaginez ce que deviendrait notre solidarité si l’on n’avait plus cette continuité institutionnelle… Or, elle est indispensable. Evitons une réforme institutionnelle qui nous ferait perdre trop de temps. S’il venait à y avoir un consensus entre les entités francophones pour transférer des compétences, je n’ai pas de tabous à ce sujet. Mais ne faisons pas de cadeaux à nos adversaires. Avant de parler au-dehors, il faut d’abord s’entendre au-dedans…
Mais la Communauté française n’est-elle pas impuissante face aux périls que vous dénoncez ?
Il y a un autre niveau auquel la Fédération Wallonie-Bruxelles peut agir, c’est l’international. Nous sommes l’outil de la politique étrangère des francophones de Belgique. C’est une dimension que je veux renforcer, également pour servir la défense de nos intérêts. Voilà aussi pourquoi j’ai tenu à m’exprimer sur un autre incident avec le Premier ministre qui a assisté seul au Forum économique de la Francophonie. Or, la participation de la Belgique à l’Organisation internationale de la Francophonie n’est pas du tout financée par le fédéral. Il s’agit d’un montant de 11 millions d’euros entièrement financé par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans ce cas-ci, l’Organisation a sous-traité l’événement et seul le Premier ministre belge a été invité. Charles Michel en a sans doute profité pour revaloriser son image francophile, à l’heure où elle est malmenée sur le plan intérieur. Mais ce n’était pas sa place : nous avions été mandatés par les Régions pour porter leur voix en matière d’économie.
Entretien : Olivier Mouton
» Avec l’annonce du port d’un badge, nous sommes à la lisière de l’incorrect »