Le gentleman braqueur

Le 21 janvier 1983, François Mitterrand et Helmut Kohl remontent les Champs-Elysées, à Paris, jusqu’à la tombe du Soldat inconnu. Des centaines de policiers quadrillent le quartier. C’est le moment que Bruno Sulak choisit pour braquer une bijouterie, à quelques pas du cortège. Neuf millions de francs français d’émeraudes et de saphirs subtilisés sans la moindre brutalité et un petit signe ironique en direction de la caméra de surveillance avant de partir, comme un beau pied de nez à tous les flics de France qui traquent alors  » l’ennemi public n° 1 « . Tout Sulak est là : provocation, efficacité et  » douceur  » (pas un coup de feu tiré en plusieurs dizaines de hold-up…). Il y a au moins une chose qu’il n’aura pas volée : son surnom de  » gentleman braqueur « .

Le romancier Philippe Jaenada, Prix de Flore 1997 pour Le Chameau sauvage, fait resurgir des limbes des eighties cette figure perdue, dans un livre épais frappé du sigle  » roman « . On pouvait craindre la mythification d’un bandit au grand coeur par un écrivain naïf. Il n’en est rien. Jaenada a épluché la presse de l’époque et, surtout, sympathisé avec nombre de protagonistes de l’affaire, en particulier  » Thalie « , ex-Bonnie de Clyde-Sulak, mais aussi l’ex-commissaire Moréas. Même s’il tarde un brin à démarrer (premier braquage page 117), le résultat est bluffant.

On suit le jeune Sulak, né en 1955 dans une famille polonaise, qui s’encanaille dans les ruelles de Marseille avant de s’engager dans la Légion, où sa prestance physique fait merveille. Il déserte, enchaîne les braquages de supermarchés Mammouth en Simca 1000, se fait arrêter, s’évade de la prison d’Albi avec du fil de pêche et une sarbacane, passe aux bijouteries, est de nouveau incarcéré, parvient encore à échapper aux policiers en sautant d’un train, dévalise Cartier sur la Ve Avenue à New York, avant de se faire bêtement arrêter à la frontière espagnole… Entre ses braquages, champagne, nuits au Privilège et coups de téléphone amusés au commissaire Moréas – tout cela fleure bon son Belmondo-Lautner (le principal complice de Sulak aura d’ailleurs un petit rôle dans Le Professionnel).

Sulak n’est pas une biographie à l’américaine. C’est un roman à la Jaenada : écriture désinvolte, loin des violons angoissants des reportages d’investigation de la TNT, digressions déroutantes sur Jimmy Carter – attaqué par un lapin – ou Joëlle, la chanteuse d’Il était une fois (Jaenada est célèbre dans le milieu pour ses interminables parenthèses), allusions ici ou là à sa propre jeunesse… A sa manière badine, il serait un peu dans le registre du Limonov (P.O.L.) de Carrère ou du HHhH (Grasset) de Binet. On tourne les pages sans s’en rendre compte, tant tout cela semble fluide, facile, léger. Jaenada puise dans les mots comme Sulak dans les vitrines de chez Cartier.

Sulak, par Philippe Jaenada. Julliard, 490 p.

Jérôme Dupuis

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