LE GÉNOCIDE DE L’ORIENT PLURIEL

La plupart des Européens les ignorent, une large partie des musulmans les méprisent, les djihadistes les haïssent, aucun Etat ne vient à leur secours. Ils seraient aux alentours de 600 000 Yézidis en Irak, quasi abandonnés à leur sort, en proie aux pires exactions commises par les assassins de Daech. On ne saurait dire leur souffrance, tant les témoignages abondent ; jeunes filles vendues comme esclaves, offertes comme du bétail à des monstres ivres de sang, viols fréquents et sévices innombrables, jeunes hommes enrôlés de force par l’organisation Etat islamique, roués de coups et transformés en bêtes de somme ou en boucliers humains.

Le rapport de la commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie affirme qu’un génocide est  » en cours « . Les Yézidis sont l’incarnation d’un phénomène international que la froideur des statistiques déshumanise : en 2015, plus de 65 millions de réfugiés et de personnes déplacées, victimes des conflits ou des persécutions, ont été dénombrés dans le monde, chiffre le plus élevé jamais atteint au cours de l’Histoire. Derrière ce flot anonyme, ce sont des hommes et des femmes héritiers de sociétés très anciennes, qui sont souvent menacés de disparition.

On doit à l’action humanitaire d’avoir attiré l’attention sur la détresse des Yézidis (1). Ils sont ethniquement des Kurdes, lointains descendants des Mèdes de l’Antiquité, voisins des Perses. Si leur origine reste confuse, leur langue, le kurmanji, est celle de 60 % des Kurdes. Ce qui distingue les Yézidis des autres Kurdes est avant tout leur religion, qui emprunte aux plus anciens cultes de cette région. Avant l’apparition de l’islam, les Kurdes étaient zoroastriens (comme les Iraniens), chrétiens, juifs ou yézidis. Quand la majorité d’entre eux passa à l’islam, le yézidisme se maintint en trouvant refuge dans des zones montagneuses éloignées des villes, notamment dans les monts Sinjar (nord-ouest de l’Irak), tout près de la frontière syrienne. Au fil du temps, pour éviter d’être persécutés, les Yézidis, dont une minorité est devenue juive, firent des ajouts musulmans et chrétiens à leur culte, mais gardèrent l’essentiel de leur foi : un monothéisme qui ne pratique pas le prosélytisme, un syncrétisme très particulier ponctué de rites impénétrables (ils ne mangent pas de laitue, ne portent jamais de bleu…). L’incorporation de Satan dans leur cosmogonie leur a valu la réputation d' » adorateurs du diable  » ; c’est ainsi que les représente un célèbre film américain des années 1970, L’Exorciste.

Dans l’idéologie sauvage de Daech, les Yézidis sont bien plus que des mécréants ; ils sont, avec les chrétiens, les derniers à porter la marque du Moyen-Orient pluriel d’avant l’islam. Du reste, les Yézidis ont sauvé 15 000 Arméniens des Turcs durant le génocide de 1915, et, dès 1949, ceux d’entre eux qui étaient restés juifs ont émigré en Israël ; c’est dire leur propension à respecter toutes les cultures (2) et à pratiquer la tolérance. A ce titre, ils ont subi au fil des siècles des persécutions qui les ont conduits, notamment à la période ottomane, à fuir vers le Caucase, où ils seraient environ 180 000 (en Arménie, en Géorgie et en Russie), et, plus récemment, vers les Etats-Unis ou l’Allemagne. Aujourd’hui, il s’agit carrément de leur anéantissement. Pour l’organisation Etat islamique, l’islam est l’Histoire, il ne peut, il ne doit, rien subsister d’antérieur, faute de quoi la foi de Mahomet n’aurait pas prévalu sur toutes les autres. Secourir les Yézidis est une façon sûre de combattre ce totalitarisme exterminateur.

(1) Notamment l’ONG EliseCare, qui porte courageusement secours aux victimes.

(2) Voir à ce sujet le film Peshmerga, de Bernard-Henri Lévy, qui s’est rendu sur place.

Christian Makarian

Secourir les Yézidis, c’est combattre le totalitarisme exterminateur de Daech

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