Les grottes artificielles construites dans les palais et les jardins depuis le XVIe siècle étonnent autant qu’elles intriguent. Tour d’Europe et de la question dans un beau livre, véritable invitation au voyage.
Entrer dans une grotte, se laisser engloutir par son espace aussi irrégulier que doux et inquiétant fait partie des expériences qui ne s’oublient pas. La grotte : depuis l’aube de l’humanité, les hommes l’ont choisie comme lieu initiatique. Les recherches dans le domaine de la Préhistoire l’ont bien révélé et de même les enquêtes anthropologiques ou encore, les textes anciens venus de Grèce. La grotte est redoutable mais elle est aussi un réceptacle d’énergie. Elle condense les forces magiques et contient, disent encore les légendes, des trésors. Bref, elle terrifie et émerveille. Peut-être, comme le suggère Gaston Bachelard, parce que » demeurer dans la grotte, c’est participer à la vie de la terre, dans le sens même de la terre maternelle « .
Toutes ces raisons vont alors pousser les hommes à construire des grottes artificielles et ce depuis l’époque hellénistique. Les Romains, à leur tour, en imaginent. Citons la Maison dorée de Néron à Rome ou, plus spectaculaire encore, la caverne de Sperlonga commandée par Tibère. Face à la mer, il y conviait poètes et musiciens autour d’un vaste bassin d’eau alors que dans une niche voisine toute recouverte de rouge et de vert, un ensemble sculptural de 10 tonnes évoquait l’antre du cyclope Polyphème.
Le monde chrétien y met bon ordre en interdisant leur construction même si, au XIVe siècle, à Villeneuve-lez-Avignon, le poète Pétrarque en crée une, ornée d’une fontaine et recouverte par des milliers de coquillages. Les hommes de la Renaissance vont suivre son exemple. La vogue des grottes artificielles a sonné. Elle ne faiblira plus. Du maniérisme au baroque, on les retrouve dans toute l’Europe. Au XVIIIe siècle, beaucoup vont disparaître, faute de soins ou simplement détruites. Mais à la même époque, en Angleterre, à la faveur du goût nouveau pour le pittoresque, d’autres leur succèdent.
Au siècle suivant, le sentiment romantique les multiplie et ce jusque dans les jardins privés. Aux alentours de 1830, on en aurait dénombré plus de 600 à Paris. A la fin du XIXe, les grottes artificielles deviennent les signes souvent kitsch d’une opposition aux idéologies machinistes. Enfin, si le XXe siècle est plus discret, il n’en demeure pas moins, lui aussi, fasciné par l’univers des cavernes artificielles et des souterrains mystérieux. Dans les années 1960, l’architecte André Bloc construit à Meudon, un habitat-caverne alors que plus près de nous, le paysagiste Pascal Cribier profite d’un réseau de galeries souterraines pour renouer avec l’idée d’un parcours initiatique secret inscrit dans le parc qu’il crée à Vez dans l’Oise. Hervé Brunon et Monique Mosser, auteurs de L’imaginaire des grottes dans les jardins européens proposent un tour de la question. Très documenté, accompagné par de superbes photographies, leur ouvrage est construit autour de douze thématiques comme » le primordial « , » le tellurique « , » le merveilleux » ou encore, » le diluvien « .
Une grotte où, comment et pour dire quoi ?
La localisation de grottes artificielles obéit à quatre formules. La première oppose sur la façade même d’un bâtiment préexistant ordonnance classique et texture tout en roches et aspérités. La deuxième incorpore la fausse grotte au coeur même des palais. La troisième théâtralise un bâtiment autonome comme pour la grotte d’Apollon créée à l’origine dans un pavillon annexé au château de Versailles. La dernière inscrit la grotte dans les jardins selon des scénographies les plus diverses et souvent, les plus spectaculaires. Aujourd’hui, on estime à des dizaines de milliers le nombre de grottes qui furent aménagées en Europe depuis cinq siècles.
L’imagination qui préside à leur création combine plusieurs facteurs. Certes, la lecture des textes anciens et son cortège de dieux, déesses et héros gréco-romains nourrit l’iconographie et l’esprit de la plupart des décors depuis la Renaissance. Hercule à Vaux-le-Vicomte, Artemis à Castello, Apollon à Bayreuth, Neptune à Gênes, Circé ailleurs. Oui, la grotte raconte une histoire liée ici aux aventures d’Ulysse, là aux Métamorphoses d’Ovide ou encore au symbolisme même inhérent aux personnages. On y trouve par exemple souvent la présence de nymphes associées au thème de l’eau purificatrice. Jeux d’eau, bassins et ruissellement apportent alors une note mystérieuse et musicale à l’ensemble, alors que cascades et chutes évoquent des puissances incontrôlables. Les jardins de Villa d’Este, à Tivoli, près de Rome, programment, via un orgue hydraulique, un spectacle qui s’apparente à un véritable déluge. L’art des fontainiers est à son apogée.
La lumière à son tour est travaillée avec soin. On perce çà et là des fissures dans les parois, on soigne l’orientation de l’entrée de telle sorte que, comme à Sperlonga, les rougeoiements du crépuscule donnent aux présences sculptées une aura plus dramatique. Dans les jardins de Boboli à Florence, la » grande grotte « , plaquée sur un édifice construit, ménage à l’intérieur un espace en trompe-l’oeil saisissant où les parois de roches retiennent des prisonniers signés Michel-Ange alors qu’au sommet, un oculus laissant entrer la lumière du jour a été rempli par un aquarium de verre dans lequel le mouvement des poissons projette des ombres mouvantes sur le sol et les murs.
Au XVIe siècle, d’autres facteurs vont enrichir les scénarios. Si l’humaniste est un lettré, il se veut aussi savant, curieux des mystères de la nature et particulièrement des mondes souterrains et marins. L’exploitation des mines va lui donner, et ce durant quelques siècles, l’occasion de confronter les récits anciens (des forges de Vulcain aux noces d’Enée et de Didon) aux expériences d’explorations nouvelles. Vasari lui-même dont on connaît Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes suggère que les stalactites sont des coulures d’eau pétrifiées.
L’engouement pour les formes minérales » spongieuses » donne lieu à un véritable trafic. Catherine de Médicis fait venir de Marseille des » spugne » pour orner la grotte qu’elle commande aux Tuileries. D’autre part, on assiste à une véritable passion pour toutes les formes de coquillages qui, à leur tour, vont s’ajouter comme matériau essentiel. Henri IV importe, depuis Rouen, coquilles, nacres, vignoles et autres roches de corail pour la grotte de Saint-Germain-en-Laye.
Mais pour faire tenir tout ce matériel hétérogène, il faut un spécialiste, un rocailleur. Pas facile, en effet, d’ajuster meunières, silex, quartz, améthystes, pâtes de verre et coquillages. Comment ajuster une véritable marqueterie d’améthystes incrustée de spécimens minéralogiques par-dessus une cascade (parc de Bowood, en Angleterre) ou encore gérer les effets de petits miroirs convexes venus perturber une perception des surfaces déjà bien inquiétante (palais d’été de Hellbrunn, en Autriche). La restauration récente (2013) d’une grotte construite dans les jardins de Painshill, au sud-ouest de Londres, a révélé comment les stalactites du Derbyshire, les pierres de Bristol et les pierres cristallines étaient fixées à la structure de brique par des crochets de fer alors que les plaques de gypse, de feldspath et autres cristaux étaient cloués sur une charpente de bois très complexe qui couvrait les murs de terre cuite.
La grotte rejoint le merveilleux. Associant les savoirs livresques aux textes des savants, la curiosité à la fantaisie, riche d’appétits encyclopédistes et précurseurs des fameux cabinets de curiosités, elle révèle le monde et le questionne. Ainsi, l’une des interrogations dont elle est l’ambassadrice porte sur la présence fossile de coquillages dans le ventre des montagnes. Une autre se penche sur la naissance même des pierres. La science alchimique n’est pas loin.
L’imaginaire des grottes dans les jardins européens,par Hervé Brunon et Monique Mosser, aux éd. Hazan, 400 p., 300 illustrations.
Par Guy Gilsoul
Aujourd’hui, on estime à des dizaines de milliers le nombre de grottes aménagées en Europe depuis cinq siècles