Le grand art du dessin classique n’a jamais cessé d’inspirer les talents. Mais comment la nouvelle génération s’illustre-t-elle ? Réponse avec Sophie Kuijken et Til Köhler.
Dans les années 1950, à l’heure de l’abstraction triomphante, certains, dans l’ombre, dessinaient en observant un modèle. Plus tard, on leur reconnaîtrait du génie. Lucian Freud en Grande-Bretagne, Balthus en France pour ne citer qu’eux. Une génération plus tard, l’heure est à la sociologie avant que ne triomphe le conceptuel. Ignorant ces modes, Octave Landuyt peint en renouant avec l’art des Primitifs flamands alors que Co Westerik, aux Pays-Bas, transpose en tableaux (trois ou quatre par an) des dessins d’une précision absolue. Or, aujourd’hui, ces nonagénaires, toujours actifs, peuvent compter sur l’appui d’amateurs fidèles prêts à payer le prix fort pour acquérir une de leurs oeuvres. En réalité, depuis les années 1980-1990 et les succès de Luc Tuymans et de Michaël Borremans, l’art figuratif a fait son grand retour sur la scène internationale. Vingt ans plus tard, de nouveaux noms apparaissent. Deux artistes retiennent l’attention en ce début de printemps. L’un est allemand, l’autre belge.
Sophie Kuijken, née à Bruges en 1965, en appelle à Ingres. Sa manière est lente et lisse. Son sujet : la figure. En fait, elle puise, selon des modalités aléatoires, dans le répertoire des portraits diffusés sur Internet. Ce sont des anonymes dont elle mêle les apparences en un seul visage comme le fit jadis Raphaël pour ses » madones « . Ainsi obtient-elle non pas la forme parfaite et ovale du peintre italien mais, selon son expression, un » son pur » accompagné, çà et là, de petits détails troublants.
Til Köhler, né à Dresde en 1980, dessine lui aussi des portraits. Chez lui, ils sont à la fois inspirés par l’art ancien et les rencontres fortuites photographiées dans la rue. Les personnages choisis remplissent alors des compositions savamment réfléchies pour lesquelles l’artiste, établi à Berlin, renoue de façon fragmentaire avec les savoirs passés. Du coup, les scènes souvent menaçantes de la vie berlinoise sont, comme au temps de Giotto ou du Tintoret, des oeuvres complexes que ce soit par la mise en place des différents plans (souvent rapprochés), le rôle joué par le fond, l’attitude des personnages ou encore, le choix de certaines couleurs. Comme dans la grande tradition, Köhler s’attaque à ce qu’on appelle » la composition à figures multiples « . Avec lui, chaque élément, même si à première vue, il dérange, est à sa place. En déplacer un seul et l’ensemble qui s’écroule. Cette cohérence couplée à un savoir-faire lent et progressif déjoue les pièges et augmente les tensions. Chez Köhler, tout peut arriver et la peinture pointe le moment qui pourrait précéder le drame. Y figure souvent une héroïne en lumière, porteuse d’un espoir que menace aussitôt l’environnement humain comme autant d’archétypes de comportements à la dérive.
Sophie Kuijken, au Centre culturel, à Maasmechelen. Jusqu’au 30 mai. www.ccmaasmechelen.be
Til Köhler, à la galerie Mineta Fine Art, à Bruxelles. Jusqu’au 25 avril. www.minetafineart.com
Guy Gilsoul