» Le fédéral doit utiliser la fiscalité pour limiter la voiture « 

Le ministre bruxellois de la Mobilité défend le piétonnier bruxellois malgré le chaos pour les automobilistes.  » Des solutions existent déjà et d’autres arrivent « , plaide-t-il. Non sans renvoyer la patate chaude au fédéral, sommé d’agir pour freiner le flux des navetteurs vers la capitale.

Pascal Smet (SP.A) est un homme heureux : l’ouverture du piétonnier dans le centre de Bruxelles est  » l’aboutissement du combat politique que je mène depuis dix ans pour rendre la ville à ses habitants « , sourit-il. Objectif, désormais ? Elargir l’expérience d’ici dix ans à  » tout le pentagone « , c’est-à-dire à toute la ville de Bruxelles. En attendant, l’impact de cette décision symbolique ulcère déjà les navetteurs.

Le Vif/L’Express : Cette décision n’était-elle pas prématurée au vu des problèmes de mobilité qu’elle génère ?

Pascal Smet : Certains ont affirmé que nous allions trop vite en lançant le piétonnier, mais cela fait dix ans qu’on en parlait ! Il fallait cesser les palabres et décider. Des solutions existent déjà : il y a des lignes de métro, de tram et de bus dans le centre de Bruxelles, sans oublier les vélos de Villo ! En outre, si le piétonnier est définitif, le plan de circulation, lui, sera évolutif. Mais il faut cesser de penser, comme on l’a fait pendant quarante ans, que les boulevards du centre peuvent servir de transit entre le nord et le sud en abîmant la qualité de vie des habitants. Nous ne voulons plus cela !

Vous dites qu’il y a d’autres options, mais pour ceux qui viennent de l’extérieur de Bruxelles, ce n’est pas évident : peu de parkings de dissuasion à l’entrée de la ville, le RER n’existe pas encore…

Je comprends votre constat, mais là aussi, il existe déjà des réponses, le RER arrive et nous développerons les parkings de dissuasion, notamment le Heysel, Stalle ou le Ceria. A terme, 10 000 places seront disponibles. Et il y a une option que l’on sous-estime : le covoiturage ! Nous devons absolument nous mettre autour de la table avec les autres Régions et le fédéral pour le soutenir concrètement.

Par des mesures fiscales ?

Oui, notamment. Chaque jour, 250 000 voitures entrent dans Bruxelles, la plupart avec le seul conducteur à bord. Et il est aberrant de constater que de 95 % à 98 % des voitures en ville ne roulent pas, elles restent stationnées… Cela demande un changement de mentalité. Avec les réseaux sociaux et les applications digitales, il est désormais possible de résoudre des problèmes concrets pour trouver une voiture, s’arranger pour l’horaire…

Mais la Flandre, de son côté, veut élargir le ring autour de Bruxelles : voilà un signal très différent de celui donné par le piétonnier à Bruxelles, non ?

Non. La réalité est plus nuancée que cela. Mieux le ring fonctionnera, moins nous aurons de voitures en ville.

Comment est-ce possible ?

Quand le ring est bouché, les gens traversent Bruxelles. Nous avons donc un intérêt commun avec la Flandre à ce que le ring, qui se situe majoritairement sur son territoire, fonctionne au mieux. Cela nécessite aussi des mesures d’accompagnement : il faut par exemple y limiter la vitesse maximale à 100 km/h. Ne faisons pas du ring un symbole, transformons-le en solution en vue d’accomplir notre objectif : moins de voitures dans la ville et une meilleure qualité de l’air.

Une unité politique nationale n’est-elle pas nécessaire pour relever ce défi de la mobilité ?

C’est vrai. Nous sommes toutefois encore loin de cette union nationale, même si le dialogue entre les Régions s’améliore. Tout le monde a un rôle à jouer, y compris le fédéral, à trois niveaux. Tout d’abord, en ce qui concerne les chemins de fer. Je suis content que l’on ait enfin avancé pour le RER que l’on commençait à appeler le  » Réseau éternellement retardé « . Il deviendra le réseau  » S  » comme le S-Bahn en Allemagne. J’ai convaincu le gouvernement bruxellois d’avoir un dialogue constructif en ce sens avec le fédéral.

Ce n’était pas évident ?

Non, mais faisons ensemble que ce  » S  » devienne une vraie marque. Le 15 décembre prochain, le tunnel ferroviaire Schuman sera enfin terminé. Le 17, il y aura une adaptation du plan ferroviaire. Et le 22, tout le réseau doit être prêt. Nous verrons alors si le gouvernement fédéral peut nous assurer suffisamment de trains, d’arrêts, de fréquences afin que cela devienne une vraie solution. La deuxième action que peut mener le fédéral, c’est de prendre une mesure concernant les voitures de société. Même IBM est venu ici à mon cabinet – on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un lobby de gauche proche de Pascal Smet, hein… – pour me dire qu’il faut agir. Je ne dis pas qu’il faut supprimer cet avantage pour les gens, mais nous consacrons aujourd’hui 4,1 milliards d’euros, bien plus que ce que l’on octroie à la SNCB, à un système qui engorge nos routes et dégrade notre qualité de vie. Cela peut prendre différentes formes. Je suis favorable à ce que les gens qui habitent là où ils travaillent reçoivent un bonus fiscal. Paradoxalement, ceux qui vivent en ville coûtent moins à la collectivité en matière de mobilité, mais ont un coût de la vie plus élevé car le logement, la nourriture, même un paquet de frites coûtent plus cher qu’en Wallonie ou en Flandre profondes… Il y a quelque chose d’erroné dans l’organisation de notre société.

Mais la N-VA n’est pas favorable au fait de toucher aux voitures de société !

C’est vrai, mais la N-VA est un parti conservateur qui ne nous porte pas vers l’avenir…

En attendant, elle est au pouvoir fédéral…

Oui, mais elle nous fixe dans le passé et c’est un grand drame pour la Flandre. Vous me demandez des solutions, non ? Je suis favorable à ce bonus fiscal urbain… Le troisième domaine dans lequel le fédéral a un rôle à jouer, c’est précisément la fiscalité. Le trajet du domicile au travail est aujourd’hui déductible. Là encore, le fédéral subsidie les problèmes de mobilité… Le gouvernement bruxellois n’a pas de pouvoir en ces matières, nous ne pouvons qu’inciter le fédéral à le faire. Pour notre part, nous agissons. Quand je suis devenu ministre de la Mobilité pour la première fois, je voulais que le vélo devienne visible dans les rues de Bruxelles. C’est désormais le cas. Nous devons à présent aller un cran plus loin avec des voies sécurisées : le budget 2015 a été doublé en ce sens. Et nous sommes la seule Région qui investit encore dans le transport public : de nouvelles lignes de tram et de métro, de nouveaux bus… Peu à peu, nous offrons à Bruxelles un nouvel avenir.

Mais les études montrent que Bruxelles et Anvers sont les villes les plus embouteillées d’Europe. Cela donne quand même une autre perception, non ?

Il y a encore du boulot, c’est vrai. Nous, autorités, pouvons encourager les choix, mais ce sont finalement les individus qui agissent. C’est pour cela que je suis aussi favorable à une taxe kilométrique  » intelligente  » pour les véhicules privés. Je comprends que la Wallonie y soit opposée parce qu’en Wallonie profonde, il n’existe pas d’alternative à la voiture pour se déplacer. Mais si vous habitez à Anvers ou à Liège, c’est bien le cas. Je ne suis pas si pessimiste : je pense que la Flandre et la Wallonie peuvent arriver à un accord. Cela dit, le problème se pose surtout dans la communauté métropolitaine autour de Bruxelles : commençons par agir à ce niveau-là. Utilisons la fiscalité pour faire réfléchir les gens et modifier les comportements. Car il faut être clair : on ne peut plus continuer comme avant en matière de mobilité.

Entretien : Olivier Mouton

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire