Par Joseph Henrotin, doctorant en sciences politiques, ULB
Les trois hommes viennent de s’arrêter au terme d’une course de 10 kilomètres, parcourus en vingt minutes. Le terroriste sera débusqué dans son refuge par un hélicoptère long de deux centimètres et doté de deux caméras, dont une infra-rouge. Les hommes ne parlent pas entre eux: leur radio est un bio-implant greffé sous la peau et les images de l’hélico sont projetées directement sur leurs rétines. Nous sommes en 2040 et les quelques technologies évoquées ici et actuellement développées sont pleinement intégrées au fantassin.
La France et les Etats-Unis mettront prochainement en service leurs « soldats du futur » respectifs (le « Félin » pour la première et les 45000 Land Warriors pour les seconds). Via des caméras montées sur les armes, ces soldats peuvent « tirer dans les coins », les images autant que les informations dont ils sont abreuvés s’affichant sur leurs lunettes. Mais le soldat s’alourdit: 63 kilos d’équipements en moyenne pour le GI. Aussi, les matériels qui les remplaceront sont déjà à l’étude et révèlent des innovations qui tendront vers un combattant à proprement parler bionique, hybridant l’homme à l’ordinateur, voire à la machine.
La clé des armées occidentales du milieu du XXIème siècle? Les nanotechnologies. Elles permettent de construire des systèmes complets (comme des ordinateurs, des radios, voire de petits systèmes de production de médicaments) au niveau moléculaire. En 2010, des transistors construits atome par atome permettront d’en placer un milliard sur une puce d’une épaisseur de 0,25 microns (soit 2,5 centièmes de millimètres). Cette année, l’US Army a ainsi attribué 50 millions de dollars au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Parmi les sujets étudiés figureront des matériaux qui diffracteront la lumière différemment, rendant les soldats presque invisibles, mais aussi des muscles artificiels qui emmagasineront l’énergie pour la restituer dans des montées ou lors de sauts.
Au-delà, il s’agit d’implanter ces équipements dans les vêtements, voire dans la peau, et d’améliorer les visions diurnes et nocturnes, car les yeux sont le premier détecteur du combattant. Dès les années 1990, le programme « pitman » visait à protéger le soldat par une armure mue par de petits moteurs actionnés… par des impulsions cérébrales. Au-delà, il reste juste les modifications génétiques appliquées aux soldats: ce n’est qu’à ce stade que l’on évolue à la limite de la science-fiction.
Quelles seront les missions de ces super-soldats? Le combat, bien entendu. Mais surtout dans les villes, ce milieu où se concentreront la majorité des populations, et qui a toujours été la hantise des opérationnels. Autant que les guérillas ou le terrorisme, les villes seront en effet l’un des enjeux majeurs de la stratégie. La guerre du Vietnam, les opérations en Somalie, les guerres de gang ou l’anti-terrorisme ont montré que le combat traditionnel a peine à contrer des adversaires organisés en réseau et communiquant avec des moyens modernes. Mais la course à la performance et à ce que les Américains appellent la « domination informationnelle » (la connaissance en temps réel de toute information utile) pose bien des questions, non aux militaires, mais aux politiques:
1.Sur le contexte. De nombreux auteurs pensent que même les missions humanitaires nécessiteront une capacité au combat « de contact ». Pour l’avoir oublié, les politiques de l’époque portent une responsabilité dans le génocide rwandais;
2. Sur le retard stratégique européen. Même la France commence à reconnaître qu’elle ne saura pas faire face seule aux opérations futures. De facto, c’est le cas pour toutes les armées européennes. Des points de vue communs sont nécessaires ;
3. Sur le retard technologique. La recherche fondamentale – essentielle dans ces domaines – est négligée: le cas belge est patent. C’est tout aussi vrai pour l’étude de la stratégie, comme pour celle des nanotechnologies ou de la psychologie du combattant.A ce train, nous sommes condamnés à suivre les Etats-Unis et à prendre pour acquis leur modèle;
4. Sur la technique elle-même, qui ne résout pas toutes les questions qui lui sont posées. Le politique semble mal à l’aise: à tous les étages de la décision, nous avons besoin d’une philosophie de la technologie;
5. Sur nos objectifs. La conférence d’engagement des forces de l’Union Européenne ne répond pas à tout: nous éludons le problème en donnant du grain à moudre aux états-majors en constatant nos carences. Mais à quoi nous serviraient nos déclarations sans un agenda, une véritable stratégie européenne? Selon Clausewitz, la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens et la désignation d’un objectif est la première clé du succès. Bien. Mais que fait-on si ce n’est pas le cas?
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