Le défi du pape à l’islam

Les déclarations qui ont provoqué la colère du monde musulman ne relèvent nullement du faux pas : pour Benoît XVI, toutes les religions ne se valent pas. Et il ne le cache pas

On le disait tranquille, presque trop discret. Et voilà que Benoît XVI prend le risque d’embraser le monde musulman comme le firent, il y a un an, les caricatures de Mahomet. Cette fois, pas de dessins explosifs, mais un discours ardu sur la foi et la raison, prononcé le 12 septembre à l’université de Ratisbonne, dans lequel le pape associe l’islam à la guerre sainte et laisse entendre que la religion du Prophète est peu accessible à la raison, contrairement au christianisme. Il est sûr que les propos de Benoît XVI, tenus durant un voyage officiel en Allemagne, en pleine commémoration des attentats du 11 septembre et à quelques semaines d’un voyage pontifical en Turquie, prévu – si rien ne change d’ici là – les 30 novembre et 1er décembre, ne pouvaient pas tomber plus mal.

Jean-Paul II, apôtre du dialogue interreligieux, ne nous avait pas habitués à pareille provocation. Mais Benoît XVI n’est pas Jean-Paul II. Et on peut même penser, à la lumière de l' » incident  » de Ratisbonne, que c’est précisément sur le terrain de l’islam que le pape bavarois entend marquer sa différence avec son prédécesseur.

Jean-Paul II prêchait une  » meilleure compréhension mutuelle  » entre l’islam et le christianisme. Depuis le début de son pontificat, Benoît XVI, lui, souligne les limites de ce dialogue et la nécessité de parler sans faux-semblants. Son approche pourrait se résumer ainsi : d’accord pour discuter, mais sans oublier que beaucoup, aujourd’hui, tuent au nom de Dieu en se réclamant de la religion du Prophète. Une réalité dont il faut tenir compte, a fortiori lorsque des chrétiens d’Orient tombent sous les coups du fanatisme musulman.

Benoît XVI avait déjà donné de nombreux signes de fermeté. Aux Journées mondiales de la jeunesse (JMG) de Cologne, à peine élu, il ne rencontre qu’au débotté les représentants de la communauté musulmane. Quelques semaines plus tard, il accueille dans sa résidence d’été la journaliste italienne Oriana Fallaci – décédée le 15 septembre – qui ne cachait pas son exécration de l’islam. Surtout, le pape a éloigné de la curie l’archevêque britannique Michael Fitzgerald, connu pour son engagement dans le rapprochement islamo-chrétien. L’ancien président du Conseil pour le dialogue interreligieux a été nommé représentant du Saint-Siège en Egypte, et son Conseil, englobé dans celui de la culture. Manière de dire que l’échange avec l’islam doit se cantonner au domaine culturel et ne surtout pas s’avancer sur le terrain de la théologie. Car chrétiens et musulmans n’ont pas la même conception de Dieu.

Benoît XVI reste donc fidèle à ses idées. Des idées qu’il avait déjà eu l’occasion d’exprimer en 1986, lors de la rencontre £cuménique d’Assise, en Ombrie, l’une des pages les plus marquantes du pontificat de Jean-Paul II. 220 dignitaires des plus grandes confessions de la planète s’étaient alors rassemblés à l’appel du pontife polonais. Joseph Ratzinger avait obtenu de Jean-Paul II qu’il introduise la nuance suivante : les responsables religieux étaient venus  » ensemble pour prier « , et non pas  » pour prier ensemble « . Autrement dit, toutes les religions ne se valent pas.

Une hantise : l’éclatement de l’unité de l’Eglise catholique

Ni faux pas ni moment d’égarement, donc : à Ratisbonne, Benoît XVI n’a fait que défendre ses convictions. Pape identitaire, il s’est donné pour mission de rappeler la spécificité chrétienne, à un tournant de l’Histoire où l’Europe reste tragiquement sourde au message évangélique et où les peuples les plus tournés vers Dieu sont ceux qui vivent en terre d’islam. Dans sa dissertation polémique, Benoît XVI cite un empereur byzantin du Moyen Age qui, prend-il le soin de préciser, écrit  » pendant le siège de Constantinople, entre 1394 et 1402 « . Comment ne pas voir dans cette référence à une époque sombre de la chrétienté, rongée par la menace de la conquête ottomane, une allusion au contexte actuel ?

Poursuivons l’exégèse. L’empereur en question, Manuel II Paléologue, était un Grec orthodoxe. Or on sait l’importance qu’accorde Benoît XVI à la réconciliation avec cette famille du christianisme, séparée de l’Eglise catholique depuis le schisme de 1054 et que Jean-Paul II n’était pas parvenu à rallier.  » Sa hantise, son obsession, c’est l’éclatement de l’unité de l’Eglise catholique « , rappelle le vaticaniste Bernard Lecomte dans Benoît XVI, le dernier pape européen (Perrin). D’où l’intérêt stratégique de sa visite en Turquie, à l’invitation du patriarcat orthodoxe de Constantinople. La Turquie, dont l’entrée dans l’Union européenne serait  » une erreur « , avait déclaré Joseph Ratzinger au Figaro Magazine avant son élection. Ce pays  » a toujours représenté un autre continent au cours de l’Histoire, en contraste permanent avec l’Europe « , avait-il fait valoir. Et si Benoît XVI avait cherché à envoyer de Ratisbonne un signal politique de fermeté aux autorités turques ? Si calcul il y a, en tout cas, il semble, pour l’heure, plutôt bien ajusté. Après un moment de flottement, le gouvernement d’Ankara a fait savoir qu’une annulation du voyage papal était  » hors de question « . l

Claire Chartier

Claire Chartier

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire