Le cynisme

Ou le spectacle de la subversion

A lire

w Léonce Paquet : Les Cyniques grecs. Fragments et témoignages (Le Livre de poche).

w Michel Onfray : Cynismes. Portrait du philosophe en chien (Le Livre de poche).

w Peter Sloterdijk : Critique de la raison cynique (Christian Bourgois).

Les cyniques n’ont jamais été si présents parmi nous : escrocs animés par le ressentiment, ils parlent au nom de l’intérêt général pour mieux poursuivre leurs intérêts propres, sont volontiers manipulateurs et menteurs ; ils sont les gangsters des temps modernes. Mais ce cynisme-là, vulgaire, est le poison de notre société. Il n’a rien à voir avec la sagesse cynique, héritée de Diogène. Au contraire ! Si les cyniques grecs récusent les lois, c’est précisément parce qu’ils les suspectent de n’être que des conventions sous lesquelles se dissimulent des mobiles peu reluisants.

Il n’y a, à vrai dire, aucune école cynique, mais une constellation d’individualités dont l’excentrique et audacieux Diogène (413-324 av. J.-C.) est la figure la plus foisonnante. Les cyniques tirent leur nom du chien (kunos), à la fois parce que leurs manières faisaient penser à celles de chiens peu commodes et parce qu’ils se réunissaient au lieudit le Cynosarge, à Athènes, c’est-à-dire Au chien agile (ce qui fait penser, non sans quelque raison, au cabaret parisien le Lapin agile, à Montmartre).

La sagesse cynique évoque quelques idées simples, mais fortes. Elle est la mise en pratique de ce que Nietzsche appellera plus tard le  » gai savoir  » : la construction de soi par l’insolence et la subversion. Ni dieux ni maîtres, telle pourrait être l’injonction cynique : n’acceptant aucune autorité (politique, morale, religieuse), ils apparaissent comme les premiers rebelles, les premiers anarchistes, de l’Histoire. A ceci près que la philosophie est, pour eux, une esthétique de l’existence : il s’agit de donner sens à la vie, mais tout seul, en dehors du cadre de la famille ou de la société (considérées comme des valeurs grégaires), de la reconnaissance et des honneurs, ces vains hochets (on connaît l’anecdote : lorsque Alexandre le Grand demanda à Diogène, qui vivait dans une amphore, ce qu’il pouvait faire pour lui, le cynique répondit :  » Que tu t’ôtes de mon soleil ! « ). Là où les autres sagesses érigent l’amitié û au sens communautaire û au premier plan, le cynisme exalte la distance, la juste appréciation de la présence de l’autre et le respect de la solitude ; il anticipe la grandeur de l’individualisme. Pour les cyniques, le bonheur se trouve dans la liberté, qui elle-même se situe dans l’indépendance à l’égard des besoins inutiles et vains. Cette autarcie repose sur l’idée que l’état naturel de l’homme (même s’il est plein d’une spontanéité impudique) est supérieur à son état civilisé (marqué par le mensonge, la traîtrise et diverses hypocrisies qui l’aliènent).

Le geste cynique consiste à dénoncer les supercheries, à arracher les masques. Une attitude qui obéit à tout autre chose qu’à l’envie de provoquer. Là encore, il s’agit d’un choix existentiel : si le cynique préfère se parfumer les pieds plutôt que la tête au prétexte que  » le parfum versé sur la tête se perd dans l’air, tandis qu’il monte des pieds au narine  » (Laërce), c’est pour mieux faire comprendre, en suscitant l’étonnement, la nécessité d’inverser les valeurs. Et si cette inversion prend la forme de la subversion, c’est parce qu’ils avaient déjà compris qu’un spectacle déroutant était la seule forme qui permettait de se faire entendre.

Vivre en cynique, c’est donc :

1. Récuser dieux, lois et maîtres : ne reconnaître aucune autorité.

2. Croire possible la construction de soi et désirer la maîtrise de son existence et de ses forces.

3. Vivre en autarcie, c’est-à-dire sans dépendance d’aucune sorte à quoi que ce soit.

4. Vivre à contre-courant des modes et des dogmes, se transportant d’un endroit à l’autre en véritable  » citoyen du monde « . l

François Busnel

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