Le coup de marteau du Dr Hamer

Vous souffrez d’un cancer ? D’une maladie grave ?  » Tout est dans la tête !  » assurent certains  » médecins « . Dans notre pays, des patients crédules risquent d’y laisser leur peau

(1) Il a créé l’Association contre les pratiques illégales de la médecine (02 343 81 78)

(e-mail : c.berliner@tiscali.be).

Ils proclament que  » La maladie n’est pas le fruit du hasard « . Ils le répètent dans les conférences ou les séminaires qu’ils organisent régulièrement en Belgique. Ils l’affirment aussi dans l’ombre de leurs cabinets de consultation. Des malades les écoutent. Et les croient. Ils pensent, à leur tour, que le mal dont ils souffrent n’est que le  » transposé exact, au niveau de notre corps, d’un conflit psychologique émotionnellement ingérable « . Persuadés que leur maladie a été provoquée par leur cerveau, ils s’imaginent alors que seul cet organe pourra les délivrer et les guérir.  » C’est ainsi que des patients se privent de soins qui pourraient parfois les sauver, leur accorder une rémission ou les accompagner le plus longtemps possible et avec une bonne qualité de vie. Sous l’influence de pseudo-thérapeutes, ces malades prennent le risque d’accélérer leur fin de vie et de décéder dans de grandes souffrances, tant psychiques que physiques. Souvent désespérées, leurs familles ignorent comment réagir pour les arracher à cette emprise exercée par des charlatans portant parfois le titre de médecins… « , s’insurge le Dr Charles Berliner. Voilà des années, déjà, que ce généraliste bruxellois lutte contre les dangers que font courir aux malades certains thérapeutes  » parallèles  » installés dans notre pays (1). Aujourd’hui, l’un de ses combats le porte à affronter les ravages commis par les adeptes de deux médecins, les Drs Ryke Hamer et Claude Sabbah…

L’histoire du Dr Hamer, un cancérologue allemand, est d’abord bouleversante : en août 1978, suite à une altercation, son fils de 19 ans est abattu. Peu de temps après ce drame, le médecin développe un cancer à un testicule. C’est alors qu’il échafaude la thèse selon laquelle la maladie n’est que l’expression d’une charge émotionnelle. Quelques années plus tard, le Dr Hamer sera radié de l’ordre des médecins et, par ailleurs, condamné à la prison : pour avoir gobé ses dires, des malades ont perdu toute chance de se soigner et, peut-être, de guérir.

En France, le Dr Sabbah lui a emboîté le pas et peaufiné encore sa théorie. En Belgique, d’autres ont suivi. Leurs discours mêlent à la fois idées simples et percutantes ( » La guérison est un jeu d’enfant « ) à des élucubrations nettement plus hermétiques ou carrément mystiques. Dans un de leurs sites Internet, ils expliquent ainsi qu’un accident entre une voiture et un camion de lait (mais le mazout fait aussi l’affaire) peut déclencher chez la conductrice un cancer du sein (et forcément du sein, en raison du liquide qui s’est répandu sur la chaussée). Toutes leurs  » démonstrations  » pseudo-scientifiques ne sont pas du même tonneau, mais elles accumulent en tout cas des certitudes nées de nulle part ou de pas grand-chose et des diagnostics ou des thérapies relevant du miracle. Seulement voilà : dans une société où tout le monde a fini par être plus ou moins persuadé que  » tout se passe dans la tête « , de telles théories risquent de faire mouche auprès de personnes fragilisées par leur maladie.

C’est, peut-être, ce qui est arrivé à cette dame lorsqu’elle a rencontré le Dr E.V., à Bruxelles. A cette époque, un gynécologue venait de lui apprendre qu’il faudrait sans doute procéder à une ablation mammaire, en raison d’un cancer. Avant de s’y résoudre, elle a contacté le Dr E.V. Or ce généraliste homéopathe avait, lui, une tout autre idée de la chose…  » Chacun d’entre nous a la possibilité de faire basculer notre cerveau dans la guérison complète et définitive, explique-t-il. En vérité, il n’y a pas de maladies incurables, seulement des malades temporairement incapables d’accéder à leurs facultés personnelles de guérison et des soignants souvent incapables, pour le moment, de les accompagner vers la santé physique et mentale.  » Selon ses spéculations, la maladie n’est plus  » une ennemie mortelle à combattre à tout prix  » mais  » la solution biologique parfaite de notre cerveau  » : véritable  » présent et cadeau de la vie « , elle donne la  » chance  » de trouver l’origine de nos conflits. Les malades apprécieront…

Cette femme a donc cru qu’en  » débusquant le surstress responsable de la maladie « , elle  » basculerait dans la guérison, grâce à une déprogrammation de son cerveau « . Elle a refusé la chirurgie et tout autre soin  » classique « . Depuis des mois, le Dr E.V. est ainsi devenu son interlocuteur privilégié (à 90 euros la séance, parfois plusieurs fois par semaine, et sans compter des  » séminaires  » qui peuvent coûter 350 euros). Mais le Dr E.V. est aussi celui qui lui a interdit de parler à quiconque de sa maladie et de la  » thérapie  » qu’elle mène avec lui. C’est lui qui lui parle longuement quand elle craque parce qu’elle constate l’apparition de symptômes inquiétants et émet la volonté d’aller faire des contrôles. C’est lui, enfin, qui a pris la précaution de lui faire signer un document disant qu’il la poussait à se faire opérer ! Même s’il l’a convaincue que le stress lié à de simples examens risquerait de tout aggraver…

 » Outre les risques mortels qu’ils font prendre à ceux qui les suivent aveuglément, ce qu’il y a de terrible dans le discours de ces thérapeutes, c’est qu’il rend les malades responsables de leur malheur, explique Nady Van Broeck, psychologue et chargée de cours à l’Université catholique de Louvain. Ils font porter un énorme fardeau sur leurs épaules : déjà  » punis  » par la maladie, les voilà jugés aussi coupables de ce qui leur arrive, puisque c’est leur cerveau qui pourrait tout programmer et déprogrammer !  »

A partir de là, pourtant, tout s’enchaîne : si les patients ne réussissent pas à guérir, c’est, leur dit-on, parce qu’ils ne vont pas assez en profondeur pour voir clair dans leur stress, régler leurs conflits internes et/ou assez se relaxer. Leurs tentatives pour y parvenir ? Forcément insuffisantes !  » Comment démontrer le contraire de ce genre d’assertions : elles sont absolument impossibles à réfuter ? » précise Nady Van Broek. Mais terriblement efficaces : ils placent plus encore le malade dans un état de dépendance vis-à-vis de son thérapeute.

Le besoin d’illusions

D’après le Dr E. V, les malades paient aussi le poids du vécu de leurs ancêtres ou de leurs relations non satisfaisantes avec leurs proches. Souvent, dès lors, les familles en prennent pour leur grade. Parents, grands-parents, conjoints, frères et s£urs : le patient cherche, désespérement, des responsables (ou des coupables) qui entraveraient leur guérison.  » Les souffrances psychiques et psychologiques qui découlent d’une telle attitude sont loin d’être négligeables : la personne, déjà fortement culpabilisée, est de surcroît confrontée au poids de l’échec, à celui de la solitude et aux conséquences de ce qu’elle fait involontairement subir à ses proches.  » Quant à ces derniers, qui ont souvent l’impression d’être plongés dans un univers de folie, ils sont prévenus : toute tentative pour faire administrer d’autres soins au malade risque de tout compromettre. Certains adeptes des théories des Drs Hamer et Sabbah, hospitalisés trop tardivement, décèdent en étant persuadés que c’est la médecine  » scientifique  » qui a eu leur peau en interrompant leur processus de guérison…

Le drame de la patiente du Dr E.V. n’est donc pas unique en son genre. Avant elle, et en même temps qu’elle, bien des personnes sensées, sensibles, intelligentes, cultivées, se sont fait piéger.  » Les charlatans de la médecine jouent sur une caractéristique humaine très particulière, explique Nady Van Broeck : le besoin de fonctionner sur les illusions. Parmi elles, on trouve celle selon laquelle notre monde serait juste. En effet, nous aimerions croire que chacun obtient ce qu’il mérite et mérite ce qu’il obtient. En général, l’expérience nous montre que ce n’est pas le cas, que les  » bons  » peuvent être  » punis  » et les  » méchants « ,  » récompensés « . Mais ceux qui n’ont pas intégré cette réalité peuvent avoir le sentiment de contrôler une vie où tout n’est pas le fruit du hasard.  » Ces personnes estiment alors que si elles ne fument pas, ne boivent pas d’alcool, mangent sainement, expriment leurs émotions, elles ne souffriront jamais de cancers, comme si ces maladies n’étaient pas dépendantes aussi de la génétique, de l’environnement ou d’une combinaison de divers facteurs…  » Si, en dépit de leurs précautions, elles tombent malades, elles sont prêtes à croire tout thérapeute qui leur propose de prendre un contrôle sur cet événément douloureux, poursuit Nady Van Broeck. A leurs yeux, tout est préférable à une situation jugée hasardeuse ou incontrôlable. Mais elles ignorent le prix, très lourd, qu’elles risquent de payer pour avoir voulu vivre dans cette croyance illusoire les empêchant d’admettre que la vie n’est pas toujours aussi juste qu’on le rêverait…  »

Pour asseoir leur influence, les thérapeutes  » alternatifs  » jouent également sur un autre registre.  » Outre l’excellente qualité d’écoute et d’attention qu’ils proposent à une personne malade qui en a bien besoin, ils donnent de l’espoir. Alors qu’aucun médecin sérieux ne fournit jamais la garantie que vous vous en sortirez, eux, ils vous prédisent la guérison. Or c’est un mot que les malades veulent entendre « , complète Nady Van Broeck. Il suffit d’y ajouter leur charisme, leur manière de présenter leur système comme une vérité absolue, enfin révélée à des initiés. Un zeste d’illusion faisant penser qu’ils vivent une relation exceptionnelle avec le patient… et la boucle est bouclée. Tout est mis en place pour que ceux qui tombent dans leurs filets n’en sortent pas si facilement.

En réalité, ce n’est pas la première fois que le Dr E.V. fait parler de lui. Divers témoignages ont déjà été rassemblés à son propos. La directrice d’une maison de repos a ainsi raconté comment, appelé à plusieurs reprises au chevet d’une patiente pour un problème respiratoire, il avait expliqué que le dessin aux signes cabalistiques qu’il avait laissé près d’elle lui permettait de la soigner  » à distance « . Cela n’avait pas empêché la vieille dame de trépasser dans l’inconfort. Appelons un chat un chat : le Dr E.V. n’est pas le seul à entretenir des pratiques qui s’avèrent pour le moins farfelues mais trouvent néanmoins un accueil favorable.

La peur, la honte (y compris d’y avoir laissé des fortunes), la culpabilité empêchent souvent les familles et leurs patients de parler. Faute de preuves, faute de plaintes, confrontés à des médecins ou des thérapeutes qui affirment qu’ils n’empêchent personne de se soigner ailleurs que chez eux ou hurlent au martyre, il est difficile de réagir. Et, finalement, de protéger les malades. Comme cette femme qui souffre d’un cancer du sein. Et qui aurait pu être opérée, voire peut-être guérie, depuis des mois déjà. Quelque part en plein Bruxelles, juste à côté de nous.

Pascale Gruber

 » Alors qu’aucun médecin sérieux ne fournit jamais la garantie que vous vous en sortirez, eux, ils vous prédisent la guérison. Or c’est un mot que les malades veulent entendre « 

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