Le Coran à la lettre

Comprendre le texte fondateur de l’islam n’est pas chose facile. Ce Dictionnaire en propose une lecture approfondie et aisément accessible. Une redécouverte.

Enfin ! L’£uvre qui nous manquait pour comprendre en profondeur l’islam est entre nos mains. Et sa couverture souple souligne d’emblée le courage éditorial des auteurs. Car le Dictionnaire du Coran, publié dans la riche collection Bouquins (Robert Laffont), aborde la plus raide des questions : peut-on décemment, et sans prendre de risques, aborder le contenu du livre saint de la religion musulmane avec l’esprit critique dont on use depuis plus d’un siècle vis-à-vis de la Bible ? Mohammad Ali Amir-Moezzi, directeur de cet ouvrage collectif, veut le croire. Et le démontre brillamment. En plus de 500 articles rédigés par une équipe de 27 experts, c’est tout le champ de la connaissance islamique qui est couvert. Une approche résolument scientifique et un résultat délibérément accessible à tous ceux qui acceptent de se cultiver pour comprendre.

La grande vertu de cet ouvrage est de rendre au savoir sa nudité, sa vérité, sans recours à la moindre idéologie, aux bons sentiments ou aux a priori. Il existe en effet deux obstacles sur le chemin de la compréhension de l’islam. Le premier consiste à céder à l’inclination  » politiquement correcte  » d’une époque si hantée par le choc des civilisations que certains islamologues en arrivent parfois à étouffer la réalité pour masquer les divergences fondamentales. Partant, toute discussion des dogmes s’apparenterait à une démarche offensante. Pour compenser la cruauté du réel, on voit prospérer des auteurs musulmans, experts parfois improvisés, dont le succès s’explique davantage par leur appartenance ou leur bilinguisme que par leur science ou leur distance critique. Récemment, une soirée spéciale consacrée par Arte à Mahomet a fait passer le message que le Prophète respectait profondément les femmes, puisqu' » il en a eu de nombreuses  » ! C’est le piège de l’empathie. Le second écueil, à l’inverse, est de dépeindre l’islam sous des traits purement négatifs. La connaissance succombe alors sous une avalanche de pamphlets qui dénoncent les effets sociaux de la religion de Mahomet à partir d’une souffrance personnelle ou d’exactions politiques. C’est le prisme de la diatribe. Il était grand temps de revenir à la raison et de placer l’instruction, l’étude, la réflexion au-dessus de l’opinion, de la passion, de l’émotion. Ce qui resitue les concepts à consonance arabe que nous manions quotidiennement.

La parole au texte, donc. Lisons, par exemple, un des plus longs morceaux de bravoure, l’article  » Sharia « , terme si couramment évoqué et que nous traduisons par  » loi religieuse « . C’est un véritable concentré d’érudition dont le contenu, limpide, balaie de nombreux traités hermétiques. On y apprend d’entrée de jeu que la charia occupe dans les sociétés arabo-musulmanes une place inversement proportionnelle à celle qu’elle tient dans le Coran. Le Livre contient seulement 500 versets normatifs, sur un total de 6 300. Une première idée reçue tombe.

On découvre ensuite que ces normes représentent un ensemble hétéroclite, une  » voie pratique faite d’actes obligatoires, recommandés, permis, blâmables ou interdits « . Pour qui sait lire, on est loin de ce code de châtiments ou de mutilations qui ravage l’Afghanistan. Explication :  » Cette représentation de la sharia intégrant la totalité des actes humains procède d’une interprétation, qui fut un temps contestée, du verset 3 de la sourate 5 : « Aujourd’hui, j’ai parachevé pour vous votre religion. »  » Autrement dit, il est bel et bien possible de lire le Coran autrement et d’imaginer une tout autre société musulmane que le triste spectacle offert par les mollahs ou les taliban.

Pour ne rien nous épargner de la vérité, l’article se termine avec  » la stratification de l’humanité au regard de la sharia « , où l’on se frotte les yeux. Au sommet de l’espèce humaine figurent les messagers et les prophètes, puis les  » adamiens « , entendez les hommes [mâles et non femelles] musulmans de condition libre, enfin les  » adamiens sans foi ni loi « , c’est-à-dire les païens.  » De droit, tuer un païen n’entraîne aucune poursuite judiciaire ; réduire une païenne en esclavage n’est pas réprouvé. Si l’esclavagisme est une institution qui a connu une telle fortune dans les sociétés musulmanes d’hier et parfois d’aujourd’hui… c’est parce que le Coran le cautionne.  » Pour en savoir plus, on se penchera sur l’article  » Esclave-esclavage « à

On savoure la définition du soleil…

Ainsi s’égrène le Coran, alternance de paroles de tolérance et de propos d’une dureté inouïe. Pour se distraire, tout de même, on apprend beaucoup sur le statut de l’animal dans l’islam, car Allah, lorsqu’il est en colère contre les mécréants, ne trouve rien de pire que de leur lancer :  » Soyez des singes abjects.  » Pour accorder à la poésie la part qui lui revient, on savoure la définition du soleil, de genre féminin en arabe, qui forme couple avec la lune, de genre masculin, deux astres fascinants que Mahomet voyait  » au service des humains  » et interdisait de vénérer. Bien entendu, les articles  » Sexualité  » et  » Sodomie  » passionneront les intéressés. Mais tout, dans ce Dictionnaire, visant le sens profond, même le mot  » Sperme « , au hasard du feuilletage, conduit à des sommets théologiques. Rien d’ennuyeux, juste une élévation vers la vraie culture, celle qui relie le physique et la métaphysique, l’accessoire et le fondamental, le dérisoire et l’essentiel. Grâce soit rendue au précieux Dictionnaire, £uvre pie du point de vue de l’esprit. l

Dictionnaire du Coran, sous la direction de Mohammad Ali Amir-Moezzi. Bouquins/Robert Laffont, 981 p.

Christian Makarian

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