Baudouin Decharneux, spécialiste de l’histoire des religions (ULB). © dr

«Le contexte est peu propice à une renonciation du pape François»

Le Vif

A quand un âge légal de la retraite pour un pape? Spécialiste de l’histoire des religions, le philosophe Baudouin Decharneux (ULB) ne croit pas à la perspective d’un souverain pontife à durée déterminée mais envisage le jour où des femmes promues cardinales interviendront dans l’élection au trône pontifical.

Y aurait-il un quelconque intérêt à faire courir la rumeur d’un retrait du pape François?

Il se peut qu’elle soit aussi liée à la crise ukrainienne, qui met très mal à l’aise la papauté. Le Vatican a du mal à intervenir dans un conflit qui oppose deux nations massivement orthodoxes. Vu la suspicion qui règne parmi les dirigeants de l’Eglise orthodoxe à l’endroit de Rome, le pape est plutôt mal placé pour se poser en médiateur dans ce conflit. François condamne naturellement la guerre mais laisse sous-entendre qu’elle a été aussi provoquée par les Ukrainiens. Il s’efforce donc de garder un point de vue neutre. La rumeur d’un retrait du pape, en laissant entendre qu’il ne dispose plus de tous ses moyens, pourrait viser à montrer que le Vatican n’est plus à la hauteur sur le plan diplomatique.

Il se peut que la rumeur soit liée à la crise ukrainienne, qui met très mal à l’aise la papauté.

Quelle importance faut-il encore attribuer à un changement de pontificat dans le monde d’aujourd’hui?

Lorsqu’un changement se produit à la tête du Vatican, tous les regards de la diplomatie mondiale se tournent vers Rome. Le pape est bien plus que l’évêque de Rome, c’est une personnalité d’envergure mondiale, à la tête d’une Eglise catholique qui n’est pas en déclin si ce n’est en Europe. Elle progresse en Amérique du Sud et en Afrique et est aussi présente en Asie. Le choix d’un pape coïncidera avec les intérêts du moment, mais l’Eglise ne fera pas l’économie de la perspective d’avoir un pape venu d’Afrique. On n’en est pas là et le contexte me paraît d’ailleurs peu propice à un changement de pontificat. Une renonciation du pape François équivaudrait à une crise à la tête de l’Eglise.

Le Vatican pourrait-il se permettre, outre un pape en fonction, deux papes à la retraite?

Pour l’heure, la cohabitation entre le pape François et son prédécesseur se déroule plutôt bien, selon moi. Benoît XVI se montre assez discret, si l’on excepte l’un ou l’autre «incident». Mais on pourrait parfaitement imaginer qu’un autre pape à la retraite ne le soit pas autant, ce qui pourrait être source de tensions. On ne se trouve pas dans le cas de figure d’un pape déchu, discrédité, mais d’une personnalité qui inspirera toujours une certaine sympathie et dont les actes ou les paroles ne passent jamais inaperçus.

Un bon motif pour doter un ex-pape d’un statut clair, comme le réclamait le cardinal Brandmüller, inquiet d’une cohabitation qui pourrait dégénérer en schisme?

Ces propos, fondés sur une expérience séculaire de l’Eglise, n’écartaient pas l’hypothèse d’une chrétienté déchirée par la parole de deux papes, comme à l’époque lointaine des papes et des antipapes. L’Eglise est une institution qui réfléchit à l’aune du millénaire, qui fonctionne à l’échelle d’un siècle au minimum et non d’une élection tous les quatre ou cinq ans. Elle pèse les choses en fonction d’une épaisseur de l’histoire. Elle ne devrait pas faire l’économie d’une règle interne et ne devrait pas éviter la tentation d’une clarification.

Imposer une limite d’âge à l’exercice de la charge pontificale n’aurait-il pas un sens?

L’ exemple donné par Jean-Paul II a montré ses limites, mais l’Eglise ne changera pas la procédure d’élection d’un pape dans ce sens, en raison de la sacralité qui l’entoure. L’ acte de renonciation d’un pape devrait être à l’avenir de moins en moins exceptionnel en raison du phénomène de vieillissement, de l’internationalisation de la fonction pontificale qui implique des déplacements à l’étranger et de la complexification des relations internationales. J’imagine aussi que dans les vingt ans à venir, des femmes seront élevées au rang de cardinale, dignité qui n’exige pas d’être prêtre, et seront ainsi impliquées dans l’élection à la charge pontificale qui, elle, le requiert. Le pape François a procédé à la nomination de femmes à des postes décisionnels au Vatican, parfois à la tête de gros départements ministériels.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire