Le conformisme de la pensée

Si, dans certains pays, l’écriture est comme enfermée dans un moule, depuis l’origine, la censure la plus forte vient de notre propre fait. Elle exprime une démarche personnelle, même si celle-ci, plus ou moins consciemment, se nourrit de déterminations culturelles. Au-delà des contraintes que les autorités peuvent faire peser sur qui s’exprime, c’est le for intime qui  » tempère  » la plume.

Il peut s’agir d’un calcul d’intérêt. Ce que j’aimerais écrire ou la façon de l’écrire plaira-t-il ? Comment trouver un éditeur, comment donner à mes écrits une bonne diffusion ? Il en est une autre, plus contraignante. On se retient d’exprimer certaines choses pour ne pas û croit-on û heurter ceux auxquels, précisément, on s’adresse. N’est-ce pas étrange : prétendre dire du neuf et en édulcorer forme et fond ? Reste que peu de gens de plume osent affronter le jugement des autres en heurtant les idées reçues. Qu’importe alors si la majorité des auteurs affirme, contre l’évidence, écrire sans rechercher considération et intérêt matériel.

Mais l’écrit est encore plus asservi qu’il n’y parait, surtout en ce qui concerne nos idées fondatrices. Ceux qui devraient être, tout à la fois, des négateurs, des agitateurs, des créateurs sont hantés par la crainte d’écrire de l’inattendu, comme s’il était difficile d’être bien accepté du public tout en sortant des habitudes. Un autre facteur joue. Certains ont le sentiment de ne pas posséder une  » carrure sociale  » reconnue (qu’elle soit appréciée ou non), ou un statut académique qui légitimerait la prise de parole. Bref, en prenant la plume, ils intériorisent leur situation d’être Monsieur Tout-le-monde, pour qui il ne va pas de soi d’exprimer des idées neuves… Qui suis-je pour balayer d’un revers de la main ce qui est généralement reconnu ? Sans compter que les écrits des  » marginaux « , trop souvent, ne méritent pas mieux qu’un franc dédain.

Le travail qu’il faut faire sur soi est donc double : d’une part, conduire sa pensée avec une rigueur sans faille û dire des choses neuves, ce n’est pas professer n’importe quoi û et, d’autre part, se persuader d’avoir raison et le faire savoir dans l’urgence. Dur, dur, pourquoi ne pas biaiser et se draper de bons sentiments à l’aune du public ? Cette contradiction n’est pas clairement dénoncée parce que les critiques sont en général plus attachés aux détails et à la manière qu’au fond. Ainsi, ceux qui écrivent sont plus volontiers moralistes qu’inventeurs d’idées… ce qui n’a jamais fait bouger l’ordre des choses. Jean NousseQuand il s’agit d’idées, pourquoi tant de révérence face à celles qui sont reçues ?

Jean-Louis Verstraat, Bruxelles

Gérald Defoin, Ath

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