Les policiers doivent-ils agir comme des officiers de renseignement d’un service secret ? Pour le directeur judiciaire de Mons, la réponse est » oui « .
Le commissaire divisionnaire François Farcy, 47 ans, sait de quoi il parle lorsqu’il signe avec Jean-François Gayraud, un collègue français, un ouvrage sur le renseignement criminel (1). Ancien gendarme spadois, puis policier fédéral à la PJF de Verviers, c’est dans cette dernière région que l’actuel directeur judiciaire de la police fédérale de Mons a rodé sa technique sur un » groupe d’auteurs » alors peu connu : les Albanais. Fin des années 1990, il s’est immergé dans leur culture et leurs clans, régis par un code d’honneur, le Kanun, dévié en code mafieux. La police fédérale a transformé cette connaissance de terrain, doublée d’un savoir quasi encyclopédique, en service Balkan, visant toutes les formes de criminalité organisée émanant des pays ou régions albanophones de l’ancien bloc de l’Est. La même méthode de contre-offensive » intelligente » a été appliquée à d’autres polycriminels (Tchétchènes, Roumains, Bulgares…) qui ont fait de la Belgique leur terrain de chasse. Le préjudice est immense : vols violents chez les particuliers, pillage de semi-remorques sur les autoroutes, prostitution, trafic de drogue, etc.
Mais cibler un » groupe d’auteurs » sur une base nationale n’allait pas de soi. Racisme, stigmatisation ? François Farcy balaie l’objection : » Il ne faut pas être naïf. Avec les braves gens arrivent aussi les malfaiteurs. » Même si plusieurs clans albanais et kosovars ont été neutralisés et qu’aujourd’hui les proxénètes sont souvent bulgares et nigérians, les Albanais n’ont pas disparu du paysage de la prostitution. » A Bruxelles, par exemple, ils ont franchi un palier. Désormais, ils sont propriétaires d’immeubles et de bars. Ils ne se « salissent » plus les mains. Ils touchent seulement l’argent. » Lequel est renvoyé et réinvesti au pays.
» Si on les attaque sur tout, on est plus fort «
Pour être réellement efficace contre les » groupes d’auteurs « , le renseignement criminel doit s’appuyer sur l’interdisciplinarité et le décloisonnement. A Mons, à côté des sections traditionnelles (stups, traite des êtres humains…), le commissaire Farcy a créé une division » crime organisé/terrorisme » (une quinzaine d’hommes), le » liant » de ces équipes étant les policiers » écofin « . » Si on les attaque sur tout, on est plus fort. » Actuellement, les négriers de la construction, les gitans sédentarisés et les bikers (motards délinquants) sont suivis à la loupe par les enquêteurs montois. » C’est dans notre région que se rejoignent les zones d’influence des Outlaws du nord de la France et des Hell’s Angels des Pays-Bas, de Liège et de Charleroi. Il faut être vigilant « , explique le commissaire divisionnaire.
Face à cette menace multiforme et transnationale, la collecte de l’information est capitale. D’après le » dirju » de Mons, notre législation est adéquate : une loi réprime la criminalité organisée, l’utilisation des méthodes particulières de recherche (observation, écoutes, etc.) est légalisée, toutes les informations policières sont centralisées au sein de la BNG (banque de données nationale générale). Que manque-t-il encore ? Une attention politique plus soutenue. D’après ce qu’on en sait, le prochain Plan national de sécurité 2012-2015 placera la lutte contre le terrorisme en tête des priorités répressives, ce que beaucoup – dont Farcy – jugent disproportionné. Quant à la criminalité organisée, elle pourrait faire sa réapparition sur le podium des priorités policières.
MARIE-CÉCILE ROYEN