Le clan Borlée Un esprit, une méthode

Alexandre Charlier Journaliste sportif

Une famille fait la fierté de l’athlétisme belge. Elle a un secret. Mais ne demande qu’à le partager. Portraits croisés

Jonathan et Kevin. Beaux, souriants, polis, la vingtaine approchante, joliment insolente. Ces deux-là ne font qu’un. Normal, ils sont jumeaux. Mais ce n’est pas ce lien congénital qui fait la complicité de ces garçons nés Borlée. Olivia, la grande s£ur, cheveux blé luisant sur visage d’or, les couve du regard. Même affinité. Même posture. Même éducation, physique et mentale. Vingt printemps pour elle, 18 pour les frérots. Et voici Jacques, le père, l’entraîneur, le théoricien. Le chef du clan. Le gourou.

Le 19 février 2006, aux championnats de Belgique en salle d’athlétisme, la famille Borlée a communié comme jamais. Jacques, crack du sprint belge durant de nombreuses années, a vu, ce dimanche-là, sa progéniture aligner coup sur coup toute la concurrence. L’or au bout du 200 mètres pour Jonathan (21 s 43 et meilleure performance mondiale junior de l’année), l’or au bout sur mètres pour Olivia (23 s 82 et 3e meilleur chrono belge de tous les temps), l’or encore après 400 mètres pour Kevin (46s87 et record de Belgique junior). Un coup d’éclat mémorable dans le petit monde de l’athlétisme.

 » J’ai pourtant tout fait pour qu’ils ne fassent pas d’athlétisme, soupire Jacques, le papa formidable et volontiers provocateur. Mais puisque Olivia, Kevin et Jonathan ont contracté le virus, je leur ai demandé deux choses : qu’ils pratiquent leur sport avec justesse et sérieux.  » Parce qu’on n’est jamais mieux suivi que par les siens, c’est Jacques qui entraîne ses enfants, six fois par semaine en période hors compétition. La famille fait la fierté du Royal White Star Athletic Club, à Woluwe-Saint-Lambert, qui compte quelque 350 membres. C’est leur fief. Leur laboratoire aussi. Car les Borlée ne font pas tout comme les autres, loin s’en faut. Percer le secret de leur réussite, c’est titiller leur intimité sans doute, mais aussi tirer des leçons susceptibles de bousculer des certitudes, de déranger des habitudes, de se mettre à dos l’establishment.

 » J’ai mis un temps fou à reprogrammer Olivia « , confie Jacques. Reprogrammer ?  » Oui. Sa course souffrait de sa posture corporelle. Comme une joueuse de tennis qui doit passer d’un revers de deux à une main(s), il a fallu « déprogrammer », désapprendre à frapper. C’est un réflexe conditionné qu’il faut éradiquer. Et ce n’est pas rien. Jacques Borlée n’est pas qu’entraîneur. C’est un scientifique qui, comme son expérience, entend mettre le fruit de ses recherches au service du sport. En ce sens, ses enfants sont des cobayes…

La bionomie

 » Comprendre l’être humain dans son entièreté, sa globalité, c’est le projet du Centre de bionomie dont je m’occupe, dit-il. La bionomie est la science de l’être et du mouvement. Pour être performant, il faut envisager toutes les stratégies. Grâce aux techniques que je développe, avec des capteurs notamment, un diagnostic peut être effectué rapidement, mais le suivi, beaucoup plus important, est un processus qui peut durer plusieurs mois. Cela coûte donc énormément d’argent. Mais c’est le prix à payer pour pouvoir être performant sans dopage. Je ne suis pas fou de médicaments, c’est vrai. Ne me parlez pas des traditionnels anti-inflammatoires pour soigner des blessures musculaires !  »

La bionomie peut parfois servir d’alternative à l’usage de certains médicaments. Elle s’adresse à tout le monde (1). Un bilan, un plan d’action et un suivi multidisciplinaires sont proposés à tout qui fait la démarche : cadres, sportifs accomplis, marcheurs occasionnels, etc.

Le bouche-à-oreille fait déjà son £uvre mais, bientôt, Jacques Borlée, optométriste de son état, passera à une vitesse supérieure (revue de bionomie, site Internet…). Si l’épanouissement de ses enfants, qui passe par le sport de haut niveau, absorbe la meilleure partie de l’énergie du paternel, le bien-être général de la société et l’avenir du sport belge passionne tout autant le citoyen bruxellois.  » En Belgique, c’est simple, il n’y a pas de sport à l’école, pas plus que de sport en entreprise : un véritable drame.  » Plutôt que de maugréer seul sous le crachin belge ou de sourire devant les énièmes états généraux du sport ou de la xième initiative ou colloque d’une autorité publique ou d’une fédération pour masquer le temps perdu, le posturologue bruxellois prône le positivisme et la révolte constructive . Au début de cette semaine, il a exposé au COIB (Comité olympique et interfédéral belge) son  » plan pour l’atlhétisme « , une discipline où il ne peut être suspecté d’ignorance.

 » J’en ai assez de la politique des copinages qui gangrène le milieu. La Fédération francophone d’athlétisme est en situation d’immobilisme car elle est très lourdement endettée. Ce que je veux, c’est faire passer le message de la gagne du côté francophone. Chacun, dans la société, a un rôle à jouer pour sortir notre sport de l’ornière. Je ne capitule pas.  »

Augmenter le nombre de finalistes aux J.O. de 2012, à Londres, est l’objectif général des autorités du sport (2). Pour ce faire, 25 athlètes, dont 9 sprinteurs, se sont vu proposer une aide, ce qui paraît beaucoup et diminue d’autant l’enveloppe déjà fort légère qui est allouée à nos futures élites. Trop de saupoudrage ?

Sauf accident, Jonathan, Kevin et Olivia Borlée devraient porter bien haut les couleurs du coq wallon et faire retentir régulièrement la Brabançonne en Belgique et à l’étranger dans le futur. Et pourquoi pas aux J.O. Ils ne connaissent pas encore leur frontière personnelle et c’est bien légitimement qu’ils disent vouloir accomplir une carrière internationale. Parce qu’en Belgique les chemins menant au top mondial sont plus chaotiques qu’ailleurs, les mérites des Borlée, 2e génération de champions, n’en seront que plus grands.

Olivia, grande admiratrice de Kim Gevaert (récente médaillée de bronze sur 60 mètres aux Mondiaux de Moscou) ne se consacre plus entièrement à son sport après une expérience peu convaincante l’an passé, mais elle est loin d’être en guerre avec les chronos. Sprinteuse, elle est aussi étudiante en architecture, à la Cambre, à Bruxelles.  » C’est exigeant mais parfaitement conciliable, assure Olivia. Mon ambition reste intacte : faire aussi bien, voire mieux que Kim !  » La tête, les jambes, le cocon…

(1) Centre de bionomie : 02 354 70 24.

(2) Le Vif/L’Express du 17 février 2006.

Alexandre Charlier

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire