Dernière ligne droite du reality show Ségo-Sarko. Les deux » quinquas » les plus people de la » Star Ac » présidentielle française soignent leur besoin de revanche. Au point d’inquiéter jusqu’au sein de leur propre camp. Le champion de la droite, prompt à manier l’insulte, saura-t-il éviter le pétage de plombs ? La madone de la gauche, qui peine à dissiper les doutes sur sa compétence, commettra-t-elle la bourde de trop ? Le Vif/L’Express a mené l’enquête.
Sarko-Ségo, ce n’est pas un duel, c’est un duo. » La formule est de François Bayrou. Qui avait ajouté : » Lorsque leur duo sera terminé, je monterai. » Sa prédiction ne s’est pas réalisée. Le duel entre la femme de titane et l’homme au bord de la crise de nerfs aura bien lieu. D’abord, le mercredi 2 mai, à la télévision, ensuite, le dimanche 6 mai, dans les urnes. Mais le candidat centriste n’avait pas tout à fait tort. Le champion de la droite, Nicolas Sarkozy, et la madone de la gauche, Ségolène Royal, ont beaucoup de points communs. Ils n’ont pas cessé de régler des comptes avec leur histoire personnelle sur le gigantesque divan électoral que leur ont offert les médias. Leur campagne a fini par ressembler à un reality show, enfance (difficile) en bandoulière et le » je » au bord des lèvres. Au point que l’accession au pouvoir suprême de l’un de ces quinquagénaires tellement people inquiète jusqu’au sein de leur propre camp. Sarko saura-t-il éviter le pétage de plombs ? Et Ségo, la bourde de trop ?
Socialiste aux valeurs de droite
Avec eux, une chose est certaine : Mai 68 est enterré. Adieu, esprit libertaire, imagination au pouvoir, joyeuse contestation. La Mère la Vertu qui, à l’aube de sa carrière politique, en 1989, dénonçait la violence à la télé dans Le Ras-le-bol des bébés-zappeurs (Laffont) et l’apôtre de » la France qui se lève tôt » sont des partisans de la loi et de l’ordre. Ségolène Royal a grandi dans un monde de casernes, fille et petite-fille de militaires, puis a été élevée chez les bonnes s£urs, avant de fréquenter l’ENA (Ecole nationale d’administration). Elle s’est inscrite au PS, comme son compagnon François Hollande, en rupture avec son milieu conservateur et catholique, mais pas avec ses valeurs. C’est Thomas Hollande, son fils aîné, très actif dans la campagne, qui lâche un jour aux journalistes : » Ma mère plaît aux Français parce qu’elle est socialiste avec des valeurs de droite. » Malheureux ! Le service de presse du PS a tenté de corriger le tir, parlant de » valeurs droites « . Dans un essai délicieusement vache, Mignonne, allons voir si la rose… (Grasset), l’écrivain Marc Lambron avait déjà, en juillet 2006, dépeint la » Zapatera » – son surnom dans sa région de Poitou-Charentes – comme » un virus de droite déréglant le logiciel de la gauche « .
Des sujets de » bonne femme »
De fait, elle apparaît beaucoup plus féministe que socialiste. Elle promet, si elle est élue, de faire entrer au Panthéon Olympe de Gouges, auteur, sous la Révolution, d’une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Lors de son intronisation par le PS, elle cite cette femme de lettres, ou encore Marie Curie et Simone de Beauvoir. Mais ni Jaurès ni Blum, récupérés par Sarkozy ! De toute évidence, les causes qu’elle embrasse avec le plus de passion traduisent des engagements de proximité fort éloignés de la théorie marxiste de la lutte des classes : combats contre le bizutage, le racket à l’école, l’utilisation dégradante du corps féminin dans la publicité, le string au lycée ; proposition du congé de paternité, mise en place d’un numéro SOS violences, projet d’écoles rurales… Des sujets de » bonne femme « , jugent, non sans machisme, ceux qui instruisent aujourd’hui son procès en incompétence et la comparent à Bécassine.
» Je gagnerai seule »
» Cette « maîtresse d’école » n’a aucun questionnement sur l’Etat « , lâche, dépité, un responsable de son propre parti. Certains la voient comme une réincarnation de la populiste argentine Eva Peron. D’autres la trouvent très Ancien Régime, cherchant le contact direct avec le peuple. » Je gagnerai seule « , a-t-elle clamé. Les éléphants du PS (Dominique Strauss-Khan, Laurent Fabius, Lionel Jospin…) ont vite compris le message. Leur vanité blessée, réjouissante à certains égards, est une chose. Une autre est de se priver de leurs cerveaux et de leurs réseaux.
Un problème avec l’argent
Ancien dirigeant de l’équipe de campagne de la candidate, Eric Besson, auteur d’un cruel Qui connaît Madame Royal ? (Grasset), fait désormais tribune commune avec Sarkozy et dégomme au lance-flammes toutes les déclarations de la dame du Poitou. Dans le registre des petites mains éc£urées, on peut lire aussi Ségolène Royal, ombre et lumière (Editions Michalon), écrit par une de ses anciennes collaboratrices parlementaires, qui estime avoir été grugée financièrement et moralement par la députée des Deux-Sèvres. Comme François Mitterrand, son père en politique – et le seul, du reste, qu’elle se reconnaisse, ayant fait un procès au sien pour l’obliger à payer ses études -, elle a, comme on dit, un problème avec l’argent. Elle préfère dépenser celui des autres plutôt que le sien. En particulier celui des militants, souvent mis à contribution et qui se souviennent des ardoises laissées par elle dans les restaurants.
Leur fortune : pas de transparence
Il faut bien admettre que, assujettie à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), tout comme son adversaire de droite, elle n’a pas été très bavarde sur les révélations du Canard Enchaîné qui l’accuse d’avoir sous-estimé la valeur de son patrimoine immobilier. Curieusement, aucune grande émission de télévision n’est revenue à la charge, pour pousser un tant soit peu les candidats à la transparence. » Elle joue les Cosette, alors qu’elle est plutôt Vidocq, remarque une journaliste française. Pour s’excuser de sa méconnaissance de l’anglais, elle explique que, n’étant pas une grande bourgeoise, on ne lui a pas payé des séjours à l’étranger… » Les multilingues désargentés mais débrouillards apprécieront.
Comportement de femme humiliée
C’est là que toutes les observations se rejoignent : Ségolène Royal trahit un comportement, sinon de femme battue, du moins de femme humiliée. Pas par François Hollande, premier secrétaire du PS, faux bon nounours sincèrement ému par la battante présidentiable qu’est » la mère de ses enfants « , comme il l’appelle quand on l’interroge sur leurs relations de » pacsés « . » Oui, disent les témoins, elle a beaucoup aimé et admiré cet homme » qui, visiblement, tente encore de la protéger, y compris d’elle-même. Sa blessure, indiquent ses biographies, auxquelles elle s’est complaisamment prêtée, c’est son père, le colonel d’artillerie Jacques Royal. Retraité à 42 ans de l’armée française, ce réactionnaire grand teint a dû se muer en représentant de commerce pour faire vivre sa nombreuse famille (8 enfants, dont Ségolène est la quatrième). Il a été abandonné, un soir de neige, par une épouse, fuyant, à bicyclette, la soumission.
Distante et charmeuse
Finalement, qui, Marie-Ségolène – son vrai prénom – cherche-t-elle à venger ? Sa mère ou son père nostalgique de la grandeur de la France et, au passage, de l’Algérie française ? On n’en saura rien derrière son éternel sourire qui se met en branle dès que les caméras tournent ou qu’un public approche. » Ce sourire-là n’a jamais ri et ne rira jamais « , a écrit feu Philippe Muray dans un texte, Le Sourire à visage humain, qui donne froid dans le dos. De fait, l’admiratrice de Jeanne d’Arc est distante, charmeuse au sens féminin le plus traditionnel. Et exaltée. » Portez-moi, j’ai besoin de vous « , lançait-elle, par SMS, à ses amis. Sa posture christique, blanche sur fond blanc, au soir du premier tour, à Melle, dans le Poitou, n’avait plus rien de politique.
Sarko surjoue sa masculinité
Nicolas Sarkozy, lui aussi, semble avoir choisi le camp de sa mère, qui a élevé seule les trois fils que lui a laissés un beau cavaleur, issu d’une famille de hobereaux hongrois. Comme Royal » incarne » la féminité, il » surjoue » sa masculinité. » J’ai été façonné par les humiliations « , confie-t-il volontiers. Le gamin n’a jamais été le préféré de son père, raconte en long et en large Catherine Nay, dans Un pouvoir nommé désir (Grasset). Petit, pas bon élève, il a juste la rage au ventre, un besoin inextinguible de revanche, mais aussi, comme Royal, un amour vrai de la France. Avec, en plus, son expérience d' » immigré » de la seconde génération, pressé de rendre au centuple ce qu’il a reçu de son pays d’accueil. » Les nouveaux venus qui ne font pas l’effort de s’adapter, sincèrement, il ne peut pas comprendre « , approuve un observateur de gauche. De là à prôner la création, en cas de victoire, d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale… Même l’ancienne ministre Simone Veil, ralliée à sa cause, n’a pas apprécié le rapprochement suspect des deux termes.
Il » fout la trouille »
» TSS » : Tout Sauf Sarkozy. Plus encore que Royal, seulement irritante, Sarkozy » fout la trouille » à bon nombre de Français. » Il a un préparateur physique, tempère une journaliste française. Sa voix est plus posée, il évite autant que possible de renvoyer l’épaule en arrière ou de cligner d’un £il. » Monsieur Sarkozy se contrôle. Il contrôle ses nerfs. Dureté de la télé, qui ne loupe aucun tic, aucune agitation. Mais le mal est fait. Pudiquement dit, Sarko est » anxiogène « . Ses mots » racaille « , » Kärcher « , même replacés dans un contexte qui n’en fait pas des insultes délibérées – d’après les témoins, il répondait, en employant leurs propres termes, à des habitants de banlieue – resteront inscrits dans la mémoire collective. Ses propos sur le caractère » inné » de la pédophilie ou du suicide des adolescents ont soulevé des tempêtes d’indignation parce qu’ils collent trop bien à son credo d’homme ultralibéral, tout entier concentré sur la réussite individuelle. Sa conquête du pouvoir, imitant son maître Jacques (Chirac) dans l’élimination méthodique de ses rivaux, le prouve. Son » Je vais te casser la gueule « , rapporté par Azouz Begag, son ancien collègue du gouvernement Villepin, dans Un mouton dans la baignoire (Fayard), ne sont pas contestés, tant son langage » viril » est notoire.
Fragilité psychologique
Le livre de Begag est un énorme succès de librairie. Tout comme le numéro du 14 avril de l’hebdomadaire Marianne, qui s’est vendu à plus de 500 000 exemplaires avec ce titre accrocheur : » Le vrai Sarkozy. Ce que les grands médias n’osent pas ou ne veulent pas dévoiler « . La charge de Jean-François Kahn, le directeur de l’hebdomadaire, a en partie raté son but. » Pas assez « sourcé », excessif, donc peu crédible, voire diffamatoire « , jugent les professionnels des médias. N’empêche. La fragilité psychologique de Nicolas Sarkozy est patente. Elle a un nom : Cécilia Sarkozy. Après avoir beaucoup joué de la beauté de leur couple, l’homme voudrait, aujourd’hui, protéger sa vie privée. » C’est lui qui déplace la ligne jaune et nous oblige à nous adapter « , avoue le rédacteur en chef d’un journal parisien, prudent sur la question.
Avec ou sans Cécilia ?
Pourtant, après leur séparation du printemps 2005 et leur réconciliation, les rumeurs continuent, ces jours-ci, de galoper fiévreusement sur Internet et dans la sphère politico-médiatique parisienne. Cécilia aurait un nouvel ami. Bousculée par son mari, elle aurait déposé une » main courante » (déclaration) pour violence conjugale dans un commissariat… Intox ? Le très respecté quotidien Le Monde a fait lui-même état de » rumeurs sur les tensions au sein du couple Sarkozy, nourries par l’absence de Cécilia à ses côtés pendant ce long week-end de Pâques « . La jeune femme est néanmoins apparue, avec ses deux filles, auprès du candidat venu voter, le 22 avril, à Neuilly-sur-Seine, sa ville. Pour la galerie ? L’ancienne » cocogirl » du Collaro Show, dont Sarkozy est tombé amoureux le jour où il la maria à l’animateur de télévision Jacques Martin, est le premier » coach » du champion de la droite, son inspiratrice. » Il en est bleu « , assure-t-on. » Elle est venue à peine une fois par semaine à son QG de campagne « , glisse une journaliste.
Mauvaises fréquentations
L’intérêt se porte aussi sur la garde rapprochée du favori de l’élection présidentielle. En général, il délègue à son entourage lorsqu’il n’est pas sûr de connaître la matière, observe un sympathisant. Le pire, c’est quand il croit bien maîtriser un dossier. Dans ce cas, il est impossible de le faire changer d’avis. » Nicolas Sarkozy raisonnerait en blanc ou noir. Il serait incapable de concevoir la complexité du monde. » Il rêve que tous les Français deviennent propriétaires, note un haut fonctionnaire, mais, en même temps, il plaide pour la mobilité professionnelle, sans songer à faire changer les dispositions fiscales ou administratives qui rendraient possibles le changement d’école des enfants ou la revente d’une maison. » Un peu gamin dans son enthousiasme pour ceux qui réussissent – tel le comédien américain notoirement scientologue Tom Cruise – et pour les » riches « , Sarkozy a aussi ses mauvaises fréquentations. Il est resté fidèle au député-maire de Levallois Patrick Balkany, en délicatesse avec la justice pour des magouilles municipales et affairistes.
Candidat brutal et instable
Tout au long de sa campagne, Nicolas Sarkozy a tenté de démontrer qu’il avait » changé » : moins pressé, plus accessible, plus patient. Le voilà même qui, au soir du premier tour, » promet de protéger les Français qui ont peur de l’avenir « . L’homme voudrait se faire aimer. » Tic-tac, tic-tac, il est Sarko moins 12 ! » alerte pourtant un collectif de citoyens qui appelle, cette semaine, à l’union contre » un candidat brutal « . Les plus critiques traitent Sarkozy d’idéologue ( » bouclier fiscal » pour les plus riches, suppression de l’impôt sur les successions…), d’incompétent (hausse des violences contre les personnes depuis qu’il est à l’Intérieur) et de » bushiste » (critique de l’ » arrogance » de la France au moment de l’invasion de l’Irak). Mais, surtout, d’homme instable, qui nourrit une ambition dévorante et exacerbe les clivages.
» Connards « , » charognards « …
Ses propres amis ne sont pas à l’abri de ses coups de sang. Nadine Morano, députée UMP, a été mise à l’écart au lendemain d’une prestation télé jugée ridicule. Son fidèle bras droit, Brice Hortefeux, s’est fait foudroyer pour avoir proposé l’instauration de la proportionnelle. D’autres conseillers et animateurs de campagne se font régulièrement traiter de » connards « . Un article qui lui déplaît ? Il téléphone au propriétaire du journal ou directement à l’auteur. Des questions trop agressives de journalistes ? Il les qualifie d’ » espèce de charognards « . Fâché de ne pas avoir été reçu à France 3 avec les égards qui lui sont dus, il promet, une fois élu, de » virer » l’actuelle direction. » Sarkozy a des relations incestueuses avec les médias, admet le rédacteur en chef d’un grand hebdomadaire. Il nous appelle souvent, pour râler ou faire miroiter un « scoop ». Ségolène Royal, elle, a une attitude beaucoup plus distante, plus monarchique. »
Le 2 mai, devant les caméras de TF 1 et France 2, c’est le mental des deux rivaux qui fera la différence. En attendant le grand soir…
De nos envoyés spéciaux à Paris Marie-Cécile Royen et Olivier Rogeau