Dans son Dictionnaire amoureux de Jésus, qui vient de paraître, Jean-Christian Petitfils mêle sa foi à une approche historique du Nazaréen, de ses » frères et soeurs « , de Paul de Tarse…
Historien et écrivain, Jean-Christian Petitfils est l’auteur de grandes biographies des rois de France, de Louis XIII à Louis XVI, mais aussi, en 2011, d’une vie de Jésus, devenue un best-seller. Son Dictionnaire amoureux de Jésus vient de sortir chez Plon. Cette fois, l’auteur s’exprime à la fois en historien et en croyant.
Le Vif/L’Express : Votre ouvrage se présente comme » une quête mêlée d’une enquête « . Quelle place y tient encore l’histoire ?
Jean-Christian Petitfils : Elle est essentielle. Je parle de foi et de raison, Fides et Ratio, pour reprendre le titre d’une des encycliques de Benoît XVI. A la lecture amoureuse de la parole de Jésus se mêle constamment l’enquête de l’historien. » L’histoire du Salut n’est pas une mythologie, mais une véritable histoire, et c’est pour cela qu’elle doit être étudiée avec les méthodes de la recherche scientifique « , disait en 2008 le pape émérite. C’est un lointain écho de ce qu’écrivait, avant-guerre, l’agnostique Marc Bloch : » Le christianisme est une religion d’historiens. »
La démarche du croyant et celle de l’historien sont-elles compatibles ?
Parler de Jésus en historien, c’est évoquer le singulier rabbi juif du Ier siècle de notre ère, qui parcourait les routes de Galilée en compagnie de ses disciples, appelait à l’amour du prochain et annonçait la venue du Royaume. La rencontre en tant que croyant, c’est celle du Christ ressuscité. Croire, c’est être relié, au coeur même de son être, à une source d’eau vive. C’est une démarche intime, qui dépasse l’amour d’un paysage, d’une musique ou d’un héros du passé. Certains en sont saisis pour toujours, d’autres restent insensibles, allez savoir pourquoi. L’érosion constante de la culture chrétienne n’a pas supprimé le besoin de sacré, mais a accru l’ignorance religieuse. Selon les sondages, un Français sur quatre s’interroge sur l’existence historique de Jésus !
La plupart des exégètes, y compris certains catholiques, admettent aujourd’hui que Jésus n’était pas le fils unique de Marie. Et vous ?
Je dois reconnaître que plusieurs arguments semblent fonder la position des novateurs. Ainsi, le mot grec adelphos, utilisé dans les Evangiles pour qualifier Jacques, Joseph, Simon et Jude, désigne des frères de même sang. Toutefois, ces Evangiles, écrits en grec, sont imprégnés d’un fort substrat araméen. Or, en hébreu ou en araméen, le mot » ah » ou » hâ » signifie indifféremment frère de sang, demi-frère, neveu ou cousin. » Frères de Jésus » signifie donc, comme l’avait déjà observé saint Jérôme, de simples cousins à la mode orientale. Dans le monde sémitique, la notion de fratrie s’étend aux membres d’une famille au sens large. Dans la petite communauté de Nazareth fondée par le clan des Nazôréens, Jésus avait ainsi des » frères » et » soeurs » en grand nombre.
Si les frères n’étaient que des cousins, pourquoi seraient-ils si souvent décrits comme étant » avec Marie, mère de Jésus » ? N’ont-ils pas perdu leur qualité de frères biologiques avec le développement, dans le christianisme occidental, du culte de la virginité de Marie ?
Remarquez tout de même que les » frères » de Jésus ne sont jamais appelés » fils de Marie, mère de Jésus « . De même, à aucun moment la Marie qualifiée par Matthieu et Luc de » mère de Jacques et de Joseph » n’est présentée comme la mère de Jésus. De mon point de vue, les arguments qui tendent à prouver que Jésus n’était pas le fils unique de Marie ne tiennent pas. Certes, Luc écrit que » Marie enfanta son fils premier-né « . Mais cela ne signifie pas qu’elle a eu d’autres enfants par la suite. Chez les juifs, le terme juridique de » premier-né » visait la consécration spéciale à Dieu du premier enfant. Il n’avait pas obligatoirement des frères. Ainsi, on a découvert sur la tombe égyptienne d’une juive nommée Arsinoé, morte en 5 de notre ère, une épitaphe en grec selon laquelle elle est arrivée au terme de sa vie » dans les douleurs de l’enfantement de son premier-né « . Or, la pauvre femme n’a forcément pas eu de second enfant. Pourquoi faire fi de siècles de tradition bien établie ? L’Eglise a constamment enseigné que Jésus n’a eu ni frère ni soeur selon la chair. Même les grands réformateurs protestants, Luther, Zwingli et Calvin, n’ont jamais remis en cause la virginité perpétuelle de Marie.
Dans la notice » Cénacle » de votre dictionnaire, vous évoquez cette » chambre haute » à Jérusalem, où Jésus et ses disciples ont pris ensemble leur dernier repas et où, à la Pentecôte, les apôtres se sont retrouvés. Que sait-on aujourd’hui de ce lieu ?
Les sources semblent indiquer qu’elle appartenait à Jean l’évangéliste, membre de la haute aristocratie du Temple, à ne pas confondre avec l’apôtre Jean, fils de Zébédée, petit patron pêcheur du lac de Génésareth. Longtemps, j’ai cru à la version traditionnelle, répétée depuis des siècles, qui confond les deux Jean. Mais comment l’humble pêcheur que Matthieu et Marc nous présentent en train de réparer ses filets pourrait-il être l’éblouissant théologien auteur de l’évangile ? A propos du Cénacle, la haute salle gothique que l’on peut voir sur le mont Sion, au sud-ouest de Jérusalem, n’appartient évidemment pas au bâtiment d’origine, mais on peut penser qu’il s’agit bien de l’emplacement de la » chambre haute « . Lors de nouvelles recherches effectuées entre 1990 et 1996, on a trouvé dans les soubassements les vestiges d’une synagogue judéo-chrétienne du Ier siècle, avec une niche destinée aux rouleaux de la Torah, où étaient visibles des inscriptions portant le nom de Jésus. Elle était orientée, fait à souligner, non vers le mont du Temple, au nord-est, comme pour les autres synagogues, mais vers le Golgotha et le tombeau vide, au nord. Ce serait la petite » Eglise de Dieu » dont parle Epiphane de Salamine au IVe siècle. Premier sanctuaire des apôtres et de la chrétienté naissante, elle daterait des années 73-74, lorsque les chrétiens ont reçu des Romains le droit de revenir à Jérusalem après la destruction de la ville, qui n’avait sans doute pas épargné la propriété de Jean. Ce serait, dans ce cas, un témoignage archéologique capital pour l’histoire du christianisme.
Paul est considéré par beaucoup comme le fondateur du christianisme.
C’est ce que prétendent les esprits mal informés. Il a néanmoins joué un rôle essentiel dans la propagation du christianisme autour du bassin méditerranéen durant une trentaine d’années. Ses Epitres, rédigées avant les quatre Evangiles, sont essentielles pour qui veut comprendre cette épopée tragique et prodigieuse. De son vrai nom Saul, il est né à Tarse, cité hellénisée de Cilicie, dans l’actuelle Turquie, entre 5 et 10 de notre ère. Converti à la foi nouvelle, il renonce à sa carrière prometteuse de scribe pharisien. On connaît son immense labeur apostolique, ses pérégrinations en Asie Mineure et en Grèce, ses fondations de communautés, ses discours, ses exhortations, ses extases, ses arrestations, ses évasions… Tout ce qu’il connaît de la vie terrestre de Jésus, il l’a appris par Pierre, par Jacques le Juste et par ses compagnons de voyage Barnabé et Silas. Il sait que le Nazaréen est né d’une femme juive, mais Joseph, lui, n’est jamais nommé. Il sait que Jésus a été envoyé par son Père au peuple d’Israël, c’est tout. L’essentiel, pour lui, c’est le Christ crucifié, mort pour nos péchés, venu dans le monde pour » sauver ce qui était perdu « .
Dictionnaire amoureux de Jésus, par Jean-Christian Petitfils, Plon.
Entretien : Olivier Rogeau