Le cancérologue des VIP

Encensé par le gotha, le Pr David Khayat est loin de faire l’unanimité parmi ses pairs. L’enquête du Vif/L’Express éclaire le double visage de ce médecin ambitieux dont l’influence dépasse largement le cadre de l’hôpital.

Il est l’ami des stars, des hommes politiques et des têtes couronnées. Cancérologue, chef de service dans un hôpital parisien réputé, la Pitié-Salpêtrière, ce médecin charismatique a soigné personnellement de nombreux VIP, comme le réalisateur Roger Vadim, le sculpteur César et l’éditrice Anne Carrière, mais aussi des proches d’éminentes personnalités politiques, dont le couple Chirac. On le croise aux réceptions du milliardaire François Pinault. Il était invité, l’an dernier, au mariage de Guillaume Durand. A l’instar de l’animateur de télévision, qui parle d’un homme  » profondément généreux, gentil, chaleureux, très cultivé, toujours disponible « , tous le portent aux nues, le qualifiant de  » médecin exceptionnel « ,  » grand humaniste « ,  » brillant chercheur « . A 53 ans, après quelques ouvrages médicaux et trois romans passés inaperçus, David Khayat revient sous les feux de la rampe avec Le Vrai Régime anticancer, qui vient de paraître aux éditions Odile Jacob. Le livre vise, à l’évidence, les plates-bandes du Dr David Servan-Schreiber, maître à penser de ses contemporains tétanisés par la maladie du siècle et revigorés par ses best-sellers, Guérir et Anticancer.

Mais il y a quelques mois, le roman autobiographique de Justine Lévy, la fille de BHL, jette le trouble. Mauvaise Fille raconte la désinvolture et le mépris avec lequel un certain  » Toubib  » a traité sa mère, ex-mannequin vedette tombée dans la drogue et la marginalité, aujourd’hui décédée d’une tumeur au sein. Certains croient reconnaître David Khayat derrière ce médecin de fiction, bien que celui-ci exerce à l’hôpital Saint-Louis.

Qui est vraiment le Pr Khayat ? Est-il le  » Toubib  » du roman ? Le Vif/L’Express dresse le portrait d’un homme ambitieux qui a trouvé, dans la lutte contre le cancer, un puissant levier d’influence (1).

Anne Carrière compte parmi ses inconditionnels.  » En 1998, j’ai eu un cancer et j’ai dû subir une chimiothérapie, raconte cette femme de caractère. David, dont j’avais publié le premier roman l’année précédente, m’a tout de suite reçue. Il m’a prise dans son service et s’est magnifiquement conduit avec moi, toujours très présent, réconfortant. Il ne m’a jamais fait payer une consultation.  » On est loin du personnage hautain –  » Son Eminence, Sa Sommité, le Maître  » – de Mauvaise Fille, qui exhibe sur son bureau des photos de  » lui, lui et lui, et tous les grands de ce monde qu’il n’en peut plus de côtoyer  » et fait attendre Justine et sa mère pendant des heuresà pour ausculter cette dernière à la va-vite, en écorchant son nom, qu’il ne prendra jamais la peine de retenir. L’ex-compagne de BHL ne fait plus partie du gotha et si le  » Grand Professeur  » a accepté de s’en occuper, c’est uniquement sur l’insistance de son ami Bernard.

Le roman de Justine Lévy ne provoque aucune réaction de Khayat, jusqu’au jour où la journaliste Ariane Chemin, dans Le Nouvel Observateur du 1er octobre 2009, affirme que le Tout-Paris l’a reconnu derrière  » Toubib « . Ce qu’elle répète aujourd’hui au Vif/L’Express, ajoutant que Justine Lévy le lui a confirmé. Deux semaines après cet article, Le Nouvel Obs publie, rédigé par un autre journaliste, un plaidoyer en faveur deà David Khayat. lequel saisit l’occasion pour qualifier le roman de  » tissu de mensonges, de la haine, pour vendre « .

Alors qui, de ses zélateurs ou de ses détracteurs, dit vrai ? Les deux, selon les témoignages concordants de plusieurs médecins travaillant ou ayant travaillé récemment à son côté. Ils décrivent un chef de service excessivement présent pour un tout petit nombre de VIP, disponible pour une clientèle privée prête à payer de 400 à 700 euros la consultation (selon le tarif affiché à son secrétariat) et très peu investi auprès des autres patients. Ce à quoi Khayat répondait, dans Le Parisien du 25 janvier 2007, que sa consultation publique, gratuite, elle, est accessible dans  » des délais identiques à sa consultation privée « .

David Khayat dédaignerait aussi la  » visite « , cet exercice rituel où le patron passe de chambre en chambre, ses étudiants sur les talons, pour juger de l’état des malades et donner son avis éclairé. Son équipe de la Salpêtrière n’en est pas revenue lorsqu’elle l’a trouvé arpentant le couloir sous l’£il des caméras de France 2, pour le 20 Heures du 4 février 2002. Les témoins de cette visite rient encore de son issue :  » DK « , comme le surnomment ses collègues, pose la main sur la poignée d’une porte, expliquant qu’il doit prendre congé car un patient l’attend. Puis il ouvre la porte surà le local servant de buanderie ! Fâcheuse méprise pour quelqu’un dont la priorité est, à l’entendre, la présence auprès des malades. Avec cet aplomb qui ne lui fait jamais défaut, le médecin explique qu’il va changer de blouse. Et de joindre le geste à la parole, avant de repartir comme si de rien n’était.

Côté recherche, le jugement porté par ses pairs sur l’activité du Pr Khayat est sévère. Très sévère, même, à l’endroit de celui qui, en 1997, a créé sa propre association, l’Association pour la vie espoir contre le cancer (Avec), dont  » la vocation principale est de mener des travaux de recherche contre le cancer « , selon un communiqué de presse récent. Cette structure bénéficie de dons et récolte aussi des fonds à l’occasion d’un grand gala au château de Versailles mobilisant chaque année des centaines de personnalités. Le Pr Philippe Even, responsable des enquêtes de l’Institut Necker sur les chercheurs français, a vérifié le palmarès de David Khayat sur les vingt dernières années. Il n’a trouvé que 36 articles scientifiques signés de lui en tant qu’auteur principal.  » Et aucun n’a changé l’approche thérapeutique ou le traitement d’un cancer « , tranche le Pr Even. Cet ancien doyen d’université ajoute encore, sur le ton du regret :  » David Khayat a été un jeune médecin brillant, bien formé aux Etats-Unis et estimé de tous, avant de devenir chef de service et de décevoir tous ceux qui avaient cru en lui. « 

 » Une revanche à prendre sur son enfance « 

Retour en arrière. Né en Tunisie dans une famille modeste, bosseur acharné, DK est nommé chef de service à seulement 34 ans. Selon Anne Carrière,  » David a une revanche à prendre sur son enfance et s’est vraiment fait tout seul « . D’abord adoubé par Bernadette Chirac, il l’est ensuite par son mari, Jacques. Le chef de l’Etat crée l’Institut national du cancer (Inca) sur les conseils du praticien et lui en confie la responsabilité en 2005. Voilà le président Khayat au faîte de sa puissance. Mais, dès l’année suivante, il démissionne sur fond de polémique concernant sa gestion. Celle-ci  » appelle sans doute des critiques « , note un rapport d’audit de l’administration, qui ne constate cependant aucune des  » dépenses somptuaires  » reprochées au cancérologue.

L’un des étudiants les plus prometteurs de sa génération serait-il devenu, comme certains le dépeignent, une caricature de mandarin ? Le Pr Jean-Philippe Derenne, l’un des pontes de la Pitié-Salpêtrière, ex-chef du service de pneumologie, considère que  » la médecine et les patients ont cessé d’intéresser le Pr Khayat depuis longtemps. C’est d’autant plus regrettable que sa discipline, la cancérologie, connaît une véritable révolution depuis ces dix dernières années « . Dans la hiérarchie des blouses blanches, en tout cas, il ne peut guère grimper plus haut. Médaillé de la Légion d’honneur, il était déjà professeur de première classe lorsque Dominique de Villepin, alors Premier ministre, l’a nommé – par décret – au grade supérieur, professeur à titre exceptionnel premier échelon. Une distinction relevant habituellement du Conseil national des universités et attribuée avec une grande parcimonie. Aujourd’hui, la seule perspective attrayante, dans sa spécialité, serait de diriger le service équivalent au sien à l’hôpital européen Georges-Pompidou. Lors de la création de ce prestigieux paquebot de la médecine moderne, en 1999, il s’était déjà porté candidat, sans succès. Le poste est vacant depuis l’automne dernier, et le Pr Khayat serait de nouveau sur les rangs.

L’hôpital, pourtant, semble un horizon bien limité pour l’ex-président du groupe de haut niveau pour la relance des relations franco-israéliennes, qui a tissé des relations dans tous les milieux, politique, artistique, intellectuel. On se rappelle encore, dans son entourage professionnel, le suspense entretenu autour du remaniement du troisième gouvernement Raffarin, en 2004.  » Il paraissait bien placé pour être ministre de la Santé, témoigne un ancien médecin du service. Mais on savait qu’il rêvait, au fond, des Affaires étrangères.  » En attendant, le Pr Khayat doit se contenter de son titre d’ambassadeur honorifique de la République de Saint-Marin auprès de l’Unesco. Il s’est longtemps rendu, en effet, dans cette sorte de Monaco italien pour y assurer des consultations. La fonction lui permet, au moins, d’équiper sa Mercedes de plaques diplomatiques pour rejoindre les restaurants où cet épicurien, grand ami du chef Guy Savoy, a ses habitudes.

(1) Le Pr Khayat, qui a accordé un entretien exclusif à nos confrères du Nouvel Observateur, n’a pas souhaité nous rencontrer ni répondre à nos questions.

Delphine Peras et Estelle Saget

pensant ouvrir la porte d’un patient, il tombe surà la buanderie

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