Des années qu’on en parle sans la voir advenir. La reconversion du canal semble enfin sur les bons rails. Les principaux acteurs sont décidés à passer à l’acte et les projets privés et publics s’accumulent. Principal défi : parvenir à intégrer du logement dans une zone essentiellement industrielle.
« Le canal deviendra le quartier le plus vivant et branché de la capitale. » La prévision est signée Kristiaan Borret (lire aussi son interview en page 112). Il faut dire que le nouveau maître architecte bruxellois a plutôt intérêt à réussir la transformation de ce territoire de 2 509 ha qui s’étend sur quatorze kilomètres de long. Sans quoi sa mission sera entachée d’un échec majeur.
Après des années de discussions, de planifications et de tergiversations, le gouvernement bruxellois semble enfin avoir fait du canal l’un des enjeux majeurs de la législature. Avec des chiffres précis désormais : au minimum 25 000 logements et 7 500 emplois à créer d’ici dix ans. L’urbaniste français Alexandre Chemetoff a tracé la ligne à suivre. Une équipe de huit personnes spécifiquement désignées à la mise en oeuvre de ce plan est en passe de se constituer. L’heure n’est plus à la prise de conscience, mais au passage à l’acte. » Le territoire du canal concentre tous les défis auxquels la Région bruxelloise sera confrontée dans les dix prochaines années : accroissement démographique, emploi et activité économique, mobilité et qualité de la vie urbaine, explique Yves Goldstein, le chef de cabinet du ministre-président Rudi Vervoort (PS) et l’un des hommes les plus influents de la capitale. Nous ne pensons pas la ville uniquement sous l’angle du logement mais en tenant compte aussi de notre volonté d’augmenter l’emploi. En respectant trois principes fondamentaux : la densité, la mixité fonctionnelle et l’intégration urbaine. »
Si le canal a été l’un des moteurs du développement économique bruxellois jusque dans les années 1960, il a, depuis lors, largement perdu du terrain. Les friches industrielles se sont multipliées. Avec, comme corollaire, un quartier de moins en moins fréquenté et propice à l’habitat. Il a fallu attendre le début des années 2000 avant de voir un souffle nouveau se lever, avec, entre autres, la transformation de Tour & Taxis.
Le canal comme trait d’union
Le paysage industriel y est cependant toujours prégnant. Un inconvénient pour certains, un atout pour d’autres. Comme le gouvernement bruxellois. » Bruxelles a longtemps sous-exploité ce potentiel qu’est la voie d’eau dans la ville, souligne Yves Goldstein. Comme moyen de transport ou comme pôle d’attraction pour le logement. Il faut en profiter. » Mais le réaménagement du canal devra encore surmonter quelques écueils. » Pour beaucoup de Bruxellois, il constitue une frontière physique entre l’ouest et l’est, analyse Yves Goldstein. Il a été pendant longtemps un élément de séparation. Notre philosophie est d’en faire un trait d’union. »
A l’horizon 2025, 100 000 habitants supplémentaires sont attendus dans la capitale. Bruxelles comptera alors 1,35 million d’habitants. Le développement du canal s’inscrit dans la nécessaire adaptation du centre-ville à cette explosion démographique. L’idée globale de Chemetoff consiste à combiner un mix de logement et d’économie urbaine. Le défi sera alors de faire évoluer les a priori sur une telle cohabitation, les abords du canal ne pouvant demeurer éternellement un terreau économique. » Nous devons retisser des liens qui renforcent la cohérence, poursuit Yves Goldstein. Il faut faire du canal la nouvelle centralité bruxelloise. Pour les villes, c’est un véritable enjeu d’être à la fois un producteur de vie et d’emplois. Cela fait partie de notre stratégie 2025. »
Pour y parvenir, ils seront nombreux à se retrousser les manches. L’idée est de travailler sur certaines zones en priorité. Un cadastre des terrains publics et privés sera bientôt achevé, qui permettra de savoir qui va construire quoi et où. Car la difficulté est à la hauteur des enjeux. Huit communes se partagent le territoire et le foncier est morcelé – d’où la difficulté rencontrée jusqu’à présent de développer une vision globale et cohérente. Une clé de répartition a été définie pour l’occupation d’une zone centrale de près de 700 ha : 224 ha pour le logement, 197 ha pour les activités et 220 ha pour les espaces publics.
» Le canal de demain, on l’a imaginé cent fois, s’emballe Yves Goldstein. Mais aujourd’hui, l’important est de redescendre sur terre et de faciliter l’exécution du projet. D’où la nécessité de renforcer les équipes aux postes importants : nous avons engagé des équipes spécifiques pour tout mettre en oeuvre tant au niveau de l’administration de l’urbanisme qui octroiera les permis, que du maître-architecte et de la SAF (Société d’acquisition foncière). Nous espérons connaître un net coup d’accélérateur dans les prochains mois. Ces interlocuteurs auront aussi pour rôle d’accompagner les projets privés pour qu’ils rentrent dans la cohérence et la logique urbanistiques que nous avons élaborées. »
Les espaces publics comme clé de voûte
Tout n’est pas rose pour autant, notamment en matière d’octroi de permis. » Aujourd’hui, des dossiers sont ficelés et des promoteurs attendent leur permis, regrette l’échevin de l’Urbanisme anderlechtois Gaëtan Van Goidsenhoven (MR). On perd de précieux mois. On ne peut pas avoir des ambitions sans avoir les moyens de ses ambitions. » Un son de cloche tempéré par Stéphan Sonneville, le patron d’Atenor, qui a érigé la tour Up-Site sur les bords du canal : » Nous étions l’un des premiers à collaborer avec le nouveau bouwmeester et nous avons obtenu notre permis pour le projet City Docks bien plus rapidement que prévu. Preuve que les choses évoluent. «
Sur le plan urbanistique, la planification des chantiers devrait déconcerter les observateurs spécialisés dans l’aménagement du territoire. Il a en effet été décidé de les mener en partant non pas des bâtiments, mais des espaces publics. Ce sera la base de toute dynamique. Une inversion des concepts habituels. Autre élément à retenir : tous les projets ne pouvant pas se réaliser en même temps, certaines zones seront privilégiées. On pense notamment au Quai Béco, à Biestebroeck et à l’avant-port Nord (lire aussi en page 106).
Sur ces zones, comme dans les dix autres, une clé de répartition sera appliquée en matière de logements : 60 % de logements publics (sociaux, modérés et moyens) et 40 % de projets privés. » Les promoteurs font la file aujourd’hui, note Yves Goldstein. Il faut s’en réjouir. Des projets qui sont restés lettre morte pendant des décennies reviennent. Avec des gestes architecturaux ou des commandes à des grands architectes internationaux. » Il se dit même qu’une concurrence existe entre certains promoteurs pour celui qui parviendra à amener pour la première fois à Bruxelles un Daniel Libeskind, un Rem Koolhaas, un Jean Nouvel ou un Frank Gehry, ces papes de l’architecture mondiale. Histoire de marquer leur promotion immobilière.
Du côté de l’opposition libérale, on se borne à espérer que l’heure de la concrétisation va enfin sonner. » On est à la croisée des chemins, estime Gaëtan Van Goidsenhoven. Soit on enclenche enfin le processus, soit les faiblesses inhérentes au projet resurgiront. J’y crois. J’étais un des premiers il y a cinq ans à évoquer les opportunités foncières autour du canal. On me riait au nez à l’époque. Tous les quartiers bruxellois peuvent renaître. Il n’y a pas de fatalité au canal. »
Par Xavier Attout
» Il a été pendant longtemps un élément de séparation. Notre philosophie est d’en faire un trait d’union »