LE BÛCHER DE LA MONDIALISATION

Là, c’est sûr, François Hollande n’y est pour rien. Même si la crise qui secoue très durement le Brésil est due, au départ, à une variante de la  » maladie hollandaise « . En clair, il s’agit d’un dysfonctionnement économique – constaté aux Pays-Bas dans les années 1960, après la découverte des gisements de gaz de Groningue – qui est consécutif à la surenchère provoquée par l’exploitation très avantageuse des matières premières : les profits à l’exportation sont tels que la monnaie nationale subit une appréciation et que, dans tous les secteurs autres que l’énergie, les importations finissent par submerger les exportations. Si bien que l’avantage initial se transforme en déséquilibre profond, dans lequel se juxtaposent surinvestissement global, déficit galopant des finances publiques et surendettement des ménages. Dans le cas du Brésil, avec la chute brutale des recettes en provenance de l’extérieur, depuis la baisse des cours des matières premières et des produits agricoles, tout s’est effondré en faisant monter à la surface un entrelacs de compromissions.

C’est la toile de fond sur laquelle se trouve cruellement épinglée la présidente brésilienne, Dilma Rousseff, très sérieusement menacée de destitution. La tempête qu’elle affronte, et qui peut l’emporter, illustre les deux pièges majeurs du développement mondialisé à décollage vertical.

Premièrement, la charge symbolique portée par la présidente provoque un réflexe de classe (entendre la classe politique) assimilable à un sauve-qui-peut. Parmi les tenants de la destitution de Dilma, on compte une belle brochette d’hypocrites touchés par des procédures judiciaires pour corruption. Pour ceux-là, faire tomber la présidente correspond à une opération massive de dissimulation de leurs turpitudes.

Deuxièmement, le politique se révèle incroyablement soumis à l’économique – ce qui vaut pour tous les Brics, parmi lesquels le tissu démocratique des classes moyennes reste aussi fragile que réversible. Parce que la prospérité n’est pas relayée par une redistribution équitable, durable, et qu’elle n’engendre pas de réel équilibrage des rapports sociaux, l’agressivité resurgit et se déchaîne à l’égard du seul dirigeant exposé au verdict populaire, à savoir le (ou la) leader politique – tandis que le banquier ou l’entrepreneur corrompu échappent au rôle de fusible dans une société qui manque d’institutions de contrôle de l’Etat de droit.

Depuis deux ans, avec le dévoilement du scandale Petrobras, un réseau géant de pots-de-vin, les découvertes se succèdent, les peines de prison pleuvent, jusqu’à la mise en cause du très médiatique Lula, présumé bénéficiaire d’un triplex dans une station balnéaire en vogue. Or, contrairement à ce dernier, Dilma Rousseff ne dispose ni d’un ancrage populaire ni d’une stature charismatique susceptibles de la protéger du violent retournement de l’opinion au fil de ces révélations, bien au contraire. Elle a multiplié les signes de faiblesse et de compromission, au point qu’elle endosse aujourd’hui toutes les insuffisances de son prédécesseur. Durant ses quinze années de pouvoir, Lula avait dopé les prestations sociales versées aux plus pauvres en piochant dans les profits engendrés par les exportations ; phase éphémère durant laquelle il n’y a pas eu de vraie redistribution en profondeur. Les riches ont vu leurs revenus s’envoler et les inégalités n’ont cessé de s’accroître ; le marché intérieur ne s’est pas consolidé. Dilma incarne de longues années d’illusion, avec lesquelles le peuple brésilien veut maintenant en finir. A ce titre, la leçon vaut pour tous les pays qui ont pris, un peu trop vite, la mondialisation comme une martingale.

Christian Makarian

La tempête qu’affronte Dilma Rousseff illustre les deux pièges majeurs du développement mondialisé à décollage vertical

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