Après un an et demi de travaux, le centre d’art BPS22, à Charleroi, devient le second musée d’art contemporain de Wallonie. Pour sa première exposition, le ton est donné : combatif.
On en parlait depuis dix ans. Et le voici, le tout nouveau musée d’art de la Province de Hainaut. Ceux qui aimeraient découvrir un signe architectural fort seront déçus. Extérieurement, tout demeure en l’état. Le lugubre bâtiment érigé à l’occasion de l’Exposition industrielle de 1911 est classé, donc intouchable. Seule, au centre de sa façade pseudo-classique traitée en matériaux industriels, béton, acier et verre, une terrasse surgit hors de l’alignement à la manière d’un mirador. La brutalité de l’ensemble aura bien été adoucie par un » voilage vitré » mais ici, on tient aussi à garder la mémoire de ce haut lieu du combat wallon qui, sur l’initiative du leader socialiste Jules Destrée, accueillit la première grande exposition d’art… wallon.
L’archiscénographe Filip Roland, à qui on doit les aménagements du musée Rops, à Namur, a donc tout misé sur l’intérieur et particulièrement sur les détails. En réalité, le BPS22 nouveau se révèle donc une fois la porte d’accès franchie. De part et d’autre s’étirent deux vastes espaces. L’un d’eux n’est autre que la halle vitrée qui, depuis 2000, abritait les expositions du BPS22. L’autre est une longue » white box » de 600 m2 et d’une hauteur sous plafond de 9 mètres. Toutes deux se prolongent par un espace en mezzanine, plus large pour la première qui y accueille un bistrot, et de type couloir pour la seconde.
Entre ces deux » centres « , l’architecte a ménagé des liaisons fragmentées aux caractères très divers. La lumière est belle, parfois venue de sources inattendues. Le dispositif technique modulable à merci. Les finitions intelligentes mais avant tout pratiques. En clair, ce ne sont pas moins de 2 500 m2 qui sont désormais dévolus aux expositions temporaires auxquels il faut ajouter 1 000 m2 pour les espaces administratifs, les réserves, les locaux techniques et les espaces réservés aux activités de médiation. Budget total : 4,2 millions d’euros.
Passant du statut de centre d’art à celui de musée, la fonction du BPS22 se précise : » Nous devons nous différencier des lieux privés, souligne Pierre-Olivier Rollin, le directeur. C’est-à-dire, non seulement garder notre indépendance par rapport au marché, mais surtout orienter notre travail dans le sens de la médiation. » Entendez, le lien avec tous les publics. Les enfants bien sûr, mais aussi les jeunes et aussi tous les autres plus âgés qui, en Wallonie, demeurent encore trop nostalgiques et donc rétifs à toute manifestation d’art contemporain.
Enfin, le musée sera aussi le gardien d’une collection dans laquelle le capitaine Rollin et son équipe (18 personnes) puiseront au fil des expositions thématiques qui demeureront largement dominées par des oeuvres venues d’ailleurs. Le premier ensemble proposé grâce aux généreux budgets européens alloués à l’occasion de Mons 2015, est spectaculaire et accessible. Mais attention, derrière l’aspect festif, les artistes conviés lancent aussi un cri de guerre à tous ceux, d’où qu’ils viennent, qui toujours tentent d’étouffer les expressions populaires. D’où le titre : Les mondes inversés.
Un manifeste
A l’opposé d’une tendance née avec le pop art, les artistes choisis travaillent avec des objets et des méthodes produites par le peuple pour le peuple. Exit donc toutes les productions industrielles et, avec elles, l’appétit consumériste. Ici, on fête l’artisanat, le carnaval, la créativité des gens de la rue et ce jusqu’à la trivialité. Le scandaleux Paul McCarthy rappelle avec sa série de » Pirates » la thèse de l’historien Christopher Hill, qui voit dans l’organisation interne de la piraterie du XVIIIe anglais (l’élection du chef), l’acte de naissance de nos démocraties. On est aux antipodes du discours de Jacques Attali. D’où cet éloge aux créateurs hors contrôle exprimé dans les documents photographiques signés Jeremy Deller et Alan Kane. Mais aussitôt un autre signal est lancé par le mouvement lent du manège de Carsten Höller. Il tourne avec lenteur, indéfiniment, rappelant ainsi que les manifestations carnavalesques n’obéissent pas au temps linéaire et évolutionniste de l’économie de marché mais bien à celui, naturel, des cycles de la vie et… de la mort.
Toutefois, si la fête populaire est l’expression d’une véritable liberté sociale, elle s’avère menaçante à l’égard du pouvoir. Une grande partie de l’exposition explore ce volet. On découvre ainsi, à travers les recherches de Gareth Kennedy, comment, avec la complicité d’anthropologues de la carrure de Malinowski, Hitler a contrôlé et » purifié » les traditions folkloriques du Sud Tyrol. Oui, le caractère identitaire des festivités folkloriques n’est parfois qu’un leurre. Ainsi, l’oeuvre de Yinka Shonibare Mbe, évocatrice de la fameuse conférence de Berlin de 1885 au cours de laquelle les Européens se partagèrent les différents territoires. Autour d’une table sur laquelle est dessinée la carte de l’Afrique, quatorze hommes discutent. Ils portent à l’unisson des vêtements aujourd’hui associés à l’identité noire africaine mais en réalité produites… en Indonésie. Oui, nous souffle-t-on, le peuple est sous contrôle.
Les figures d’hommes politiques inscrites sur l’ensemble des lampions proposés par Carlos Aires ne dit pas autre chose même si, entre les lignes, à l’occasion des festivités populaires, l’audace reprend le dessus. Sus aux chefs de tous bords, curés, moralistes, hommes politiques, patrons et chefs de syndicats. Sus à la règle qui uniformise. Ainsi, le géant de LÓpez-Menchero qui prend l’allure du modèle cravaté proposé dans les années 1930 en Allemagne par l’architecte Neufert, porte-parole d’une vision globalisée de l’art de vivre. Et vive les débordements. Les céramiques scatologiques de Michel Gouéry, la Cloaca de Wim Delvoye… Enfin, certains artistes, tournant le dos aux productions lisses à la manière de Jeff Koons, en reviennent aux travaux manuels, aux bricolages, aux gestes répétitifs du tisserand, du brodeur mais aussi au travail du bois comme ce bulldozer D9 signé Eric van Hove, produit à l’origine par l’usine carolo de Caterpillar et qui offrit aussi ses services… à l’armée.
Les mondes inversés,au BPS22, à Charleroi. 0 31 janvier. www.bps22.be
Gratuité et nombreuses activités les 26 et 27 septembre.
Par Guy Gilsoul