L’avenir incertain du coworking wallon

En 2011, la Région wallonne décidait de soutenir huit nouveaux centres de coworking, ces lieux de travail collaboratifs. Près de 2 millions devaient y être alloués. Après trois ans de fonctionnement, le succès est loin d’être optimal et les espaces peinent à être viables.

Encore un héritage de la Silicon Valley ! En 2005, alors que Facebook en était à ses balbutiements et que Google n’était pas encore le premier moteur de recherche du Net, un programmateur – Brad Neuberg – lançait un espace de travail partagé à San Francisco. Plus collaboratif que le centre d’affaires traditionnel, moins déprimant que le travail à domicile. Le coworking était né.

Coworkoi ? S’il y a dix ans, cet anglicisme ne faisait partie d’aucun vocabulaire, il rentre progressivement dans le langage courant. Rapidement, des centres similaires se sont multipliés aux quatre coins du monde. Y compris à Bruxelles, où The Hub a ouvert ses portes en 2009.

La Wallonie voulut aussi se mettre à la page. En 2011, le ministre de l’Economie Jean-Claude Marcourt (PS) lançait un appel à projets. Les huit initiatives retenues allaient bénéficier pendant trois ans de 50 000 à 100 000 euros de subsides annuels pour amorcer leur démarrage. Après tout, ce qui cartonne à San Francisco ne pourrait-il pas aussi marcher à Seraing, Tournai, Namur ou Louvain-la-Neuve ?

C’était sans compter sur les différences de mentalité. Alors que la plupart des espaces vivent actuellement leur dernière année de fonctionnement sous subvention, aucun (ou presque) n’est encore capable de vivre de manière autonome. Pourtant, les estimations initiales tablaient sur une indépendance financière au bout de deux ans.

Taux d’occupation de 40 %

Les chiffres compilés par l’Agence du numérique, qui coordonne l’initiative, laissent penser, de prime abord, à un large succès. La fréquentation cumulée de sept centres sur huit (l’un d’eux n’a pas répondu à l’enquête) s’élevait à 10 590 personnes en 2014, annonçait-elle en mai dernier. Avant d’ajouter qu’il s’agissait là de ceux qui en avaient simplement poussé la porte. Le nombre d’utilisateurs réels était de 580. Près du double par rapport à l’année précédente. Mais si l’on ne tient compte que des abonnés payants, on ne parle plus que de 210 coworkers, soit 30 par implantation. Le taux d’occupation est en moyenne de 40 %.

On est loin de l’euphorie des débuts.  » Si on reprend le plan financier initial, ça n’a plus rien à voir, concède Yves Vandeuren, cofondateur de La Forge à Liège. Il nous faudrait 100 membres pour être à l’aise. Le marché n’est pas suffisamment mature.  »

 » Les Wallons sont en retard, ce ne sont pas de grands innovateurs et cela se reflète dans le rythme d’adoption du concept « , analyse Jean-Yves Huwart, manager de Coworking Namur. Et d’ajouter que la pression immobilière ne se fait pas ressentir de la même manière en Belgique qu’à Berlin, Paris ou Barcelone, où le concept fait un tabac.  » Chez nous, tout le monde possède une grande maison. Das ces villes, quand on habite un 50 mètres carrés, on n’a pas nécessairement envie de travailler chez soi.  »

Autre explication avancée : le nombre d’indépendants – la cible principale du coworking – est moins élevé que dans d’autres régions.  » Comment aller chercher nos utilisateurs, c’est ça le vrai défi à relever « , note Frédéric Wins, animateur du Switch Coworking Charleroi. Des partenariats ont été noués avec différents organismes proches des freelances ou des créateurs de start-up, comme l’UCM, les incubateurs, les universités… Utile, mais insuffisant.

 » Il faudrait être aveugle  »

 » Il ne faut pas oublier que, quand on a commencé, on partait de zéro, rappelle Gaël Di Zio, gestionnaire de The Cowork Factory à La Louvière. Il a fallu vulgariser le concept, comprendre les attentes, rendre les abonnements attrayants…  » Autre source d’étonnement par rapport aux croyances initiales : ce sont les formules à un ou un demi- jour par semaine qui fonctionnent le mieux, et non les mi-temps ou temps-plein. Il faut donc encore plus de membres pour rentabiliser les espaces. Ajoutez à cela la concurrence des centres d’affaires qui, eux aussi, se mettent au travail collaboratif et vous obtiendrez les ingrédients d’un démarrage difficile.

Et d’un avenir incertain ?  » Il faudrait être aveugle pour ne pas se poser des questions « , répond Yves Vandeuren. La fin imminente des subsides publics n’arrangera rien. Quoique. Plusieurs gérants confient que la Région ne leur a plus versé l’argent promis depuis plus d’un an. Ce que réfute le cabinet du ministre Marcourt, tout en indiquant être conscient qu’une période de rodage est nécessaire, surtout pour les concepts  » avant-gardistes « , et que d’autres initiatives (comme les couveuses d’entreprises) sont passées par là et ont survécu.  » Il ne faut pas oublier que la Wallonie est enviée par beaucoup d’autres régions dans le monde, précisément parce que les pouvoirs publics investissent dans ce projet, alors qu’ailleurs, c’est le monde entrepreneurial qui est à la manoeuvre « , insiste Joëlle Kapompolé, présidente du conseil d’administration de Co-nnexion à Mons et par ailleurs députée wallonne PS.

Enviés ou pas, les centres de coworking wallons devront repenser leur modèle pour persister. Certains, adossés à des structures publiques, pourront peut-être se permettre d’attendre la rentabilité. Ceux gérés par des privés n’auront pas ce luxe. Les espaces cherchent d’autres sources de subsides pour se maintenir à flot, du côté des fonds structurels européens et du programme transfrontalier Interreg. En attendant, certains ne seraient pas étonnés que l’un ou l’autre ne survivent pas. Ce ne serait pas la première fois : le pionnier belge, The Hub, a fait faillite en 2012, malgré ses nombreux membres.

200 membres, sans subside

D’autres connaissent des jours plus heureux. Comme le Betacowork à Etterbeek, qui comptabilise plus de 200 abonnés, tout cela sans bénéficier d’aide publique.  » Nous étions rentables après six mois, se réjouit son fondateur, Ramon Suarez. Mais il n’est pas évident d’ouvrir un espace et de le faire fonctionner. Beaucoup de gens pensent que ça va marcher tout seul, or il faut vraiment travailler. Le plus difficile, c’est que les gens ne connaissent pas le coworking. Ils pensent qu’il s’agit seulement d’un open space, mais c’est bien plus que cela. Il y a tout un travail de mise en relation, d’animation.  »

L’enveloppe wallonne de près de 2 millions d’euros qui devrait au final être répartie entre les huit espaces devait précisément participer à cet effort d’évangélisation. Les centres l’assurent : ils sont sur la bonne voie, cet argent ne sera pas gaspillé. Il manque juste du temps et des mentalités plus ouvertes.  » Le coworking sera le modèle dominant pour tous les travailleurs d’ici quelques décennies « , prédit Jean-Yves Huwart.

D’autres initiatives innovantes ont déjà fait les frais de ce  » conservatisme  » wallon. En 2011, le ministre Marcourt annonçait la création, en collaboration avec l’asbl Futurocité et Cisco, d’un réseau de huit smart work centers. Des lieux où les travailleurs pourraient se poser quelque temps pour ne pas être bloqués dans les embouteillages à l’entrée des villes. Le concept n’a pas séduit les entreprises, tandis que des problèmes d’entente sont survenus avec le partenaire privé. Tant et si bien que la société qui chapeautait les implantations est en train d’être dissoute. Dommage pour les 240 000 euros d’argent public qui avaient été injectés dans le projet.

Par Mélanie Geelkens

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