L’aura d’Aura

Lauréat du Prix Femina étranger, Francisco Goldman publie un hymne à sa femme, emportée prématurément par la mort.  » Un talisman de deuil « , chantant la vie et l’immortalité d’un amour. Rencontre en exclusivité.

Le Vif/L’Express : Aura écrit que  » la poésie est de la fiction et ne sauve personne « . Ce livre vous a-t-il néanmoins sauvé ?

Francisco Goldman : Non, or si je ne l’avais pas écrit, je me serais peut-être tué, vaincu par la mort et la douleur. On doit colmater les abysses, sinon on est absorbé par le vide. Ce n’est qu’un roman, mais j’espère qu’il reflète ce qu’Aura était. Même si c’est illusoire, c’est une façon de la garder avec moi. Je refuse de la laisser partir. Tout comme l’écrivain Joan Didion, je cultive  » la pensée magique  » qui consiste à croire que je peux la maintenir en vie à travers les mots. Tout au long de l’écriture, j’ai laissé sa robe de mariée suspendue au miroir. J’étais persuadé que si je la remplissais avec les bons mots, ma Muse ressusciterait dans cette tenue.

Loin d’en faire une icône ou un fantôme, comment l’avez-vous rendue si vivante ?

Ce livre ne se veut ni un journal ni une autobiographie, mais un roman qui décrit Aura telle qu’elle était. J’y ai mis tout mon amour et ma subjectivité. Dans les moments forts de l’écriture, j’ai senti Aura en moi, surtout son rire. La mémoire est si fragile. Je devais l’écrire de peur qu’elle disparaisse. Aura est plus vivante que si elle n’avait été qu’un souvenir. Mon v£u le plus secret : me mettre dans sa peau. Comment me fondre en elle avec ses mots ? C’est illusoire, puisqu’on ne connaît jamais l’autre. En lisant son journal, j’ai découvert son insécurité, sa souffrance ou sa culpabilité envers sa mère, qu’elle voulait protéger. Hantée par sa famille, Aura rêvait de fonder la sienne. Le plus surprenant ? Il n’y a pas un mot négatif sur moi. Là, je réalise qu’elle m’a vraiment aimé.

 » L’amour est une religion. On ne peut le croire que quand on l’a vécu.  » Est-ce Aura qui vous a appris à aimer ?

L’amour est quelque chose qui m’est arrivé et que j’ai perdu. J’aime toujours Aura. Complices, nous avons vécu de si belles choses au quotidien et connu le miracle d’être heureux ensemble. Aimer revient à perdre son ego. Peut-être est-ce ce qu’un parent ressent envers son enfant. Cela rend la mort de ma femme encore plus insupportable. Avant de la rencontrer, je pensais être dépourvu du don d’aimer. Cette première fois était si inattendue… Aura m’a appris à aimer en me donnant envie de l’aimer. On ne connaît l’amour qu’une fois qu’on le vit. Il en va de même des états extrêmes comme la perte ou la douleur. Son amour m’a rendu meilleur, mais sa mort m’a dévasté.

Ce roman est-il une revanche sur sa mort injuste ?

Je préfère les mots aux cendres. L’art ne peut pas nous guérir, mais il peut donner une voix à ma peine. Selon Platon, il faut transformer la douleur en mots, pour les autres. Tel est le challenge humain et le véritable défi de la littérature. On a besoin de la beauté pour illuminer ce qu’il y a de plus brisé en nous. Aura appartient dé- sormais à tout le monde. Au début, ça m’a heurté, parce que je ressentais l’énormité de sa perte. Savoir qu’elle existe en 13 langues me réjouit. J’adore l’idée qu’elle touche le c£ur des femmes du monde entier. Des hommes m’ont même avoué être  » tombés amoureux d’elle  » en lisant mon livre [rires]. L’amour survit à la mort. Je vis aujourd’hui, parce que j’ai pu écrire ce roman. Soyons prudent avec le langage, ce livre ravive Aura, mais elle est morte. Il m’a aidé à incorporer sa perte à mon existence. Ainsi, il fait partie de mon identité.

KERENN ELKAÏM

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