Le musée du Cinquantenaire nous invite à un voyage au coeur de l’art préhistorique nimbé encore de mystère. Visite à la rencontre de nos ancêtres Cro-Magnon.
Succès annoncé ! 720 000 visiteurs auront vu avant nous, à Chicago, Houston et Montréal cette fabuleuse exposition qui fait halte en Belgique avant de rejoindre le Japon. Atteindra-t-on à Bruxelles les 100 000 visiteurs ? Cet événement va, en tous cas, attirer un grand nombre de curieux, amateurs et professionnels puisqu’il s’agit, ni plus ni moins, de pénétrer au coeur d’une des grottes les plus célèbres du monde : Lascaux. On sait que depuis 1963, le site situé en Dordogne a été fermé pour cause d’extrême fragilité et remplacé, vingt ans plus tard, par une copie. Mais depuis trente ans, les techniques ont beaucoup progressé. Usant de scanners optiques 3D extrêmement performants, la copie itinérante aujourd’hui présentée au musée du Cinquantenaire est tout simplement impressionnante même si, pour des raisons évidentes de fluidité du parcours, la topographie originelle (ici de la » nef » et du » puits « ) a été rendue plus accessible.
Le relief, en fibre de verre, au micron près, fait illusion comme les représentations de bisons, de cerfs ou encore d’un bien énigmatique chasseur à tête d’oiseau. Millimètre par millimètre, avec des pigments identiques à ceux utilisés à l’origine, chaque image a, en effet, été repeinte (10 000 heures de travail) alors que pour les gravures, le recours à un éclairage particulier (à la lumière bleue) restitue la blancheur des sillons telle qu’ont pu les voir nos ancêtres, voici plus de 20 000 ans. Ce moment, fort en émotion, n’est cependant qu’une des trois étapes du parcours.
Si, en guise d’introduction, le visiteur déambule devant des panneaux documentaires évoquant, entre autres, l’histoire de la découverte de la grotte par des enfants en 1940 et quelques vitrines riches d’objets recueillis sur le site, il visualise aussi, via plusieurs maquettes, l’ensemble du réseau des galeries souterraines qui, dans la réalité, court sur quelque 250 mètres de longueur et dans lequel on a pu dénombrer 900 peintures et plus de mille gravures. La scénographie devait donc, dans une deuxième partie, aborder l’état de la recherche archéologique. Il y est question du mode de vie et de l’environnement. D’où la présence du squelette d’un lion des cavernes, d’un rhinocéros laineux ou encore, plus spectaculaire encore, d’un » megaloceros « , un cerf de taille impressionnante exhumé en Irlande du Nord. Enfin, l’exposition évoque l’art pariétal en Belgique. Car si nous ne possédons pas de peintures, les archéologues ont déniché bien des gravures et des parures datées de la même période que celles de Lascaux. Des archéologies belges de la Préhistoire qui mènent par ailleurs, comme le révèle une ultime section, des fouilles au Canada, en Egypte, sur l’île de Pâques ou encore au Mexique. C’est que depuis une vingtaine d’années, l’art de cette période n’est plus le seul fait d’une seule région franco-espagnole mais s’étend d’une part en Europe jusqu’à la Sibérie et est surtout, de plus en plus étudié aux quatre coins de la planète.
Les interprétations
A l’heure de Lascaux, il fait bien froid en Europe. De 11 à 13 degrés de moins qu’aujourd’hui. Les glaces recouvrent le nord de la Grande-Bretagne et l’ensemble de la Scandinavie. Du coup, le niveau de la mer s’abaisse au point que la Manche n’existe plus. Le paysage est celui de la steppe avec, dans les vallées, des forêts de pins sylvestres et de bouleaux. Au nord des Pyrénées et des Alpes vivent le renne, le cheval, le mammouth, le bison et même le rhinocéros laineux. Plus au sud, ce sont surtout des cerfs, des bouquetins et des chamois que les habitants nomades (un seul par 100 km2) chassent.
Les premières oeuvres de Lascaux ont été datées de -20 000 ans. Trois mille ans plus tard, d’autres images ont été ajoutées à l’ensemble. Mais ce ne sont pas les plus anciennes. Les découvertes récentes des grottes Chauvet (-33 000 ans), en Ardèche, et Cosquer (-27 000 ans), dans les Calanques, près de Marseille, interpellent le monde scientifique parce que dès cette époque, l’art relève d’une maîtrise stupéfiante. Comment l’expliquer alors que dans les années 1960, les études affirmaient un » progrès » passant du schématisme des origines au réalisme selon une chronologie alors admise. Rappelons qu’avant de s’installer en Europe, les populations d’homo sapiens sapiens, parties d’Asie Mineure (vers -150 000 ans), ont voyagé durant des millénaires et ont dû laisser des traces, jusqu’ici non trouvées, de leur passage. Si l’art de Lascaux est postérieur à celui des célèbres Venus dites aurignaciennes, il précède d’autres ensembles comme Niaux, dans l’Ariège.
Le premier ensemble de peintures pariétales exhumé à Altamira, au nord de l’Espagne, en 1878, est d’abord considéré comme l’oeuvre d’un faussaire. Ce n’est qu’en 1902 qu’on en reconnaît l’authenticité tout en niant toute fonction à cet art hormis sa gratuité. Quelques années plus tard, l’archéologue français Salomon Reinach y voit une forme d’art proche des productions de l’art primitif. L’omniprésence de figures animales relèverait selon lui de croyances totémiques. Mais la plus persistante des explications, on la doit à l’abbé Breuil. Dans la première moitié du XXe siècle, ce préhistorien français impose une interprétation liée à » la magie de la chasse « . La représentation des animaux garantirait protection et succès aux chasseurs. Hélas, pour toute une série de raisons objectives, cette théorie (qui a la vie dure) ne tient pas. Dans les années 1960, le Français André Leroi-Gourhan se concentre alors sur la seule observation des ensembles peints et gravés. Via une méthode de type structuraliste, ce spécialiste de la Préhistoire en arrive à la conclusion qu’il s’agit d’actes rituels réglant de manière analogue, sur une période de plus de 20 000 ans, la succession et le choix des figures et des signes associés. Mais quel en est alors le sens ? Qui en sont les auteurs ? Depuis une vingtaine d’années, l’hypothèse chamanique paraît la plus juste. Mais une autre catégorie de chercheurs met, elle, en avant l’étendue toujours plus vaste des territoires habités et propose plutôt une constellation de cultures.
Lascaux, la chapelle Sixtine de la Préhistoire, au musée du Cinquantenaire, à Bruxelles. Jusqu’au 15 mars 2015. www.mrah.be
Par Guy Gilsoul