Le matériau privilégié de Bob Verschueren est le végétal et, à partir de lui, l’univers du jardinier. Mais pour dire quoi ? Explication à l’occasion de son exposition au Botanique.
Pour son exposition de rentrée, le Botanique offre tous ses espaces d’exposition au sexagénaire bruxellois Bob Verschueren qui, depuis plus de trente ans, a fait de la nature son matériau essentiel. Dans les serres, parmi les plantes exotiques, les nénuphars et les poissons rouges, il présente de bien étranges sculptures. Certaines n’ont en effet que l’allure de palmiers. Leur tronc est fait de pots de fleurs en terre cuite enfilés le long d’une tige métallique au sommet de laquelle s’épanouissent… des râteaux-feuilles d’un vert ou d’un rouge éclatant. Non loin, surgissant d’un bassin ou posé à même le sol, voilà d’autres espèces, certaines même totalement imaginaires, dont les feuilles sont des fourches ou des bêches.
Ironie ? Nostalgie ? Dans la grande salle d’exposition (le Museum), le ton est tout autre. On y devine la catastrophe. Le noir domine et, avec lui, une forme de romantisme qui n’est pas exempt de mélancolie. Deux grandes installations ont été construites à l’aide de troncs, de branches et de racines arrachés du sol sans ménagement par décision de l’homme. Ou de la nature elle-même. Au haut des arbres dressés, à la manière d’alarmes, Verschueren a disposé, en croix, des pots de fleurs qui servent de hauts-parleurs. Il en sort des cris et des plaintes enregistrés par l’artiste à même les épidermes de ce chaos naturel. En mezzanine, des photos évoquent d’autres travaux antérieurs réalisés un peu partout dans le monde. Enfin, au-dessus de la cafétéria, l’artiste propose aux visiteurs d’entendre le chant d’un poireau, d’un céleri, d’un artichaut ou encore d’une carotte obtenu par l’artiste grâce à une série de manipulations.
Dans la même salle, le long des murs, ont été accrochés de petits travaux réalisés, nous confiait-il, entre deux grandes installations. On y découvre le miniaturiste métamorphosant une simple feuille en délicate sculpture par l’enroulement, le pliage ou encore la découpe que lui inspirent la forme et la structure du végétal. On rencontre aussi le graveur, usant de prêles dont les empreintes servent de base à divers monotypes. On s’attarde, enfin, devant une suite de frottages réalisés à partir des textures de bois éclatés et d’écorces. On songe aux Vanités des peintres anciens, sortes de méditations devant le temps qui file et la fin annoncée. Car Verschueren ne veut donner aucune leçon d’écologie et pas davantage de critique : » Ce n’est pas le rôle de l’artiste « , répète-t-il. Il se voit davantage comme un poète. Et de citer Francis Ponge ou encore Henri Michaux. Un écrivain, la tête dans les nuages qui aurait fait de la nature végétale l’ingrédient exclusif de sa palette et l’objet de son regard fasciné. Mais un poète citadin qui aurait une âme, un passé et un présent empli de mélancolie.
De la peinture à la nature
On pourrait imaginer l’artiste en voyageur planétaire. On se tromperait. Son enfance, il la passe sur les trottoirs de Schaerbeek. Le ketje n’a pour la nature aucun penchant. Mais à 13 ans, la mort de son père réduit son univers à néant. Quelques années plus tard, le voilà peintre autodidacte. Par impatience, par orgueil ou par ennui, il abandonne assez vite l’art figuratif pour se jeter à corps perdu dans un travail gestuel et totalement abstrait : » J’étais sur une autre planète. Il me fallait partir de rien. C’était bien plus difficile que je ne l’avais imaginé. » Sur la toile, des formes sans nom créent alors des ensembles enchevêtrés aux allures d’organismes vivants. C’est la peinture américaine des années 1960 (Morris Louis et Ellsworth Kelly) qui oriente les £uvres suivantes vers la géométrie et l’ordonnance. Puis une fois encore, Bob Verschueren change de cap. Il rêve d’espaces plus grands que ceux de la toile. Le voilà alors, en 1978, traçant dans un champ, à l’aide de poudres colorées, des lignes droites immenses délimitant (ou suggérant) des contours et, de là, un espace idéal. Mais il va rencontrer un invité inattendu : le vent, qui, peu à peu, brouille le projet. Il va en faire son allié. Bientôt, naîtront les premières sculptures végétales et les premières installations à l’intérieur d’espaces qu’il vise à associer au projet. Dans le même temps, à la manière d’une méditation sur la mort, le caractère éphémère des £uvres s’affirme. Aujourd’hui, le travail continue. Quand on lui demande quel est l’artiste ancien qu’il préfère, sa réponse tarde à venir. Puis, d’une voix douce, il se livre : Les Prisons de Piranèse.
Bio-adversité, au Botanique, 236, rue Royale à Bruxelles. Jusqu’au 6 novembre. Du mercredi au dimanche de 12 à 20 heures. www.botanique.be
Guy Gilsoul