Depuis qu’ils se sont acquittés des obligations esthétiques, les artistes cherchent souvent à dénoncer, à explorer les venelles du laid. Lumières sur l’obscurité et ses sombres reflets… A Paris et à La Louvière.
SPLENDEURS ET MISÈRES Images de la prostitution 1850-1910
Entre séduction et transgression, le musée d’Orsay nous ouvre les portes d’un monde interlope, effrayant et fascinant : celui des maisons closes. Un univers à la fois lugubre et coloré, celui de la prostitution dans la société parisienne de la seconde moitié du XIXe siècle. Dans le sillage de Baudelaire, les artistes de cette époque représentent cet amour tarifé – sujet moderne par excellence – avec plus ou moins de fidélité à la réalité. Certains livrent en effet des représentations plus proches du fantasme que des faits observés. Ils tentent de restituer l’atmosphère fiévreuse du bordel mais aussi l’intimité des pensionnaires avant l’arrivée du client. Il faut reconnaître que la prostitution – » mal nécessaire » protéiforme et insaisissable – est loin de se cantonner aux lieux » dédiés « . Elle envahit, sous différentes formes, l’espace public (boulevards, brasseries, cafés-concerts, théâtres ou opéras). Edouard Manet, Edgar Degas ou Vincent Van Gogh immortaliseront des femmes en proie à la solitude ou à l’ivresse mélancolique.
A l’opposé de cette image de désespérée, on trouve la courtisane… Synonyme de réussite sociale ! Parée de bijoux et de toilettes raffinées, elle pose dans les décors luxueux de son hôtel particulier. Prescriptrice de tendances, elle est considérée comme un modèle absolu aux yeux des jeunes actrices et danseuses. Elle incarne la femme » fatale « , puissante, mettant à mal la domination masculine. On la retrouve dans sa version allégorique à travers les oeuvres de Félicien Rops ou de Gustav Adolf Mossa. Dans cette image symboliste et décadente, la prostituée – menaçante – est la personnification de tous les vices.
L’exposition fait également la part belle à quelques médias naissants tels que la photographie. Dans leurs ateliers, les photographes vont composer des scènes qui reconstituent l’ambiance feutrée de ces salons au parfum si particulier. Ce sujet, qui occupe une place centrale dans le développement de la peinture moderne et inspire à Edvard Munch, Frantisek Kupka, Georges Rouault, Auguste Chabaud, Maurice de Vlaminck, Kees Van Dongen ou Pablo Picasso des chefs-d’oeuvre ouvrant le XXe siècle, fera ensuite escale à Amsterdam (au Van Gogh Museum).
Au Musée d’Orsay, à Paris. Jusqu’au 17 janvier 2016. www.musee-orsay.fr
L’OMBRE MISE EN LUMIÈRE De Cécile Douard à Bettina Rheims
Pour la toute première fois, le musée louviérois Ianchelevici propose un parcours multisensoriel adapté aux visiteurs mal et non voyants. L’interactivité sera à double sens puisque le public voyant peut expérimenter une partie de la visite dans le noir. Sur mesure, la scénographie revient tout d’abord sur la vie et l’oeuvre d’une personnalité remarquable : Cécile Douard (Rouen, 1866 – Bruxelles, 1941). Montoise d’adoption, cette battante a d’abord livré des peintures au réalisme rigoureux témoignant de la condition ouvrière au Borinage à la fin du XIXe siècle. Un art engagé s’intéressant plus particulièrement au sort des femmes. L’occasion d’insister sur le courage et le talent de cette artiste que la vie n’a pas épargnée. En 1892, son atelier est inondé par les débordements de la Trouille. Blessée, elle perd progressivement la vue mais continue cependant à peindre.
Sa force de caractère la protège de la dépression. Elle lutte contre les idées noires et s’accroche à la vie en se consacrant à l’étude du violon et en se mettant à sculpter. Car si ses yeux ne lui permettent plus de voir, elle dispose toujours de ses mains. Avec beaucoup de sensibilité, la scénographie tente de nous mettre dans la peau de l’artiste : les espaces plongent progressivement dans la pénombre avant de basculer dans une totale obscurité. Le public pourra faire l’expérience du noir en découvrant de manière tactile des reproductions en résine de sculptures de Cécile Douard mais aussi de Doris Valerio. Ce dernier perdra brutalement la vue à l’âge de 30 ans. Sa vie est bouleversée mais son sens inné de l’aventure et la puissante vie intérieure qui l’anime vont le conduire à la sculpture.
Le second volet de l’exposition aborde la problématique de la cécité dans les arts plastiques. Une sélection d’artistes mal ou non voyants qui peignent, sculptent ou photographient. Une dizaine de pièces sont ici présentées : des oeuvres signées Doris Valerio, Hedwige Goethals, Jérôme Delépine, Karel Bogaerts… Enfin, fidèle à sa politique d’expositions centrée sur l’art contemporain, le musée Ianchelevici présente, au sein d’un troisième – et dernier – chapitre, des travaux d’artistes actuels qui ont immortalisé des modèles aveugles, s’en sont inspirés ou ont imaginé des oeuvres à leur intention (Wolfgang Becksteiner, Jérôme Considérant, André Kertész, Estefania Peñafiel Loaiza, Bettina Rheims, Patrick Tosani, Sophie Calle…).
Au Musée Ianchelevici, à La Louvière. Jusqu’au 17 janvier 2016. www.ianchelevici.be
VISAGES DE L’EFFROI Violence et fantastique de David à Delacroix
Foisonnante et méconnue, une partie fascinante de l’imaginaire romantique traduit le sentiment symptomatique d’une époque troublée. Pour cause : le romantisme plante ses racines dans un mal-être existentiel et dans le désenchantement d’une génération qui a traversé la tempête révolutionnaire. Tourmentés, les peintres exploitent tous les débordements qu’offrent les passions et investissent la part obscure de l’âme humaine – avec tout ce qu’elle contient d’irrationnel – pour livrer des oeuvres à l’esthétique nouvelle. Dès la fin du XVIIIe siècle, les grands maîtres mettent en scène la mort des héros. Les épisodes dramatiques deviennent les sujets de mises en scènes sanglantes où règnent la terreur et l’horreur.
Non contentes de s’intéresser au morbide, les oeuvres de cette époque font aussi la part belle au surnaturel. Une source de sujets qui ne manquent pas d’inspirer des artistes friands d’une réalité crue. Les peintres donnent corps à des figures crépusculaires et étranges, soit les spectres et les diables qui hantent la littérature et la poésie d’alors. A travers une sélection de plus de cent tableaux, dessins ou sculptures – souvent inédits – signés David, Girodet, Géricault, Ingres ou Delacroix, cette exposition parisienne présente les formes françaises d’un romantisme fantastique mais plus encore, dramatique.
Au Musée de la vie romantique, à Paris. Du 3 novembre au 28 février 2016. www.museevieromantique.paris.fr
Par Gwennaëlle Gribaumont