L’arme des faibles

Scotland Yard, ce qui n’étonnera personne, excelle dans l’understatement, cet art de l’euphémisme. En qualifiant de  » mort inexpliquée  » l’empoisonnement d’Alexandre Litvinenko, ancien colonel du FSB (ex-KGB) passé à la dissidence, les limiers britanniques, plutôt fins, se sont contentés d’établir que l’ex-agent avait été victime d’une tasse de thé servie avec un nuage de polonium 210, matière hautement radioactive ; de quoi s’éteindre à petit feu, en vingt-quatre jours. Du vrai travail de professionnel. Jusqu’ici, aucune preuve formelle ne permet de démontrer l’implication directe du FSB. Mais les morts parlent.

Surprenante est cette lettre posthume de l’ex- colonel du FSB, dans laquelle il accuse le président russe d’être responsable de sa mort. Confondante est la piste qui conduit Litvinenko à un ancien membre du géant pétrolier Ioukos, groupe liquidé et récupéré par le Kremlin. Accablante est la méthode employée pour se débarrasser du gêneur : qui peut croire qu’un mafieux ordinaire saurait manier du polonium 210 avec un tel degré de précision ? Même si le mystère reste entier, le pouvoir russe fait figure d’accusé, ce qui est en soi désastreux. Plusieurs voix demandent au Conseil de l’Europe, dont la Russie est membre, de se saisir du cas Litvinenko.

Il y a plus grave. Déchirée entre l’héritage d’une violence d’Etat et l’aspiration frénétique au matérialisme moderne, la Russie n’arrive toujours pas à tourner la page de l’URSS : cette année, son PIB dépassera pour la première fois celui de 1991 ! Dès 1921, Lénine avait demandé la création d’un laboratoire secret de produits toxiques, rapidement nommé  » Cabinet spécial « , puis rebaptisé  » Laboratoire n° 12 « . Depuis, on ne compte plus les victimes de ce procédé d’élimination, qui faillit avoir raison de la journaliste Anna Politkovskaïa, deux ans avant qu’elle soit assassinée par balles, et du leader ukrainien Viktor Youchenko.

Et si le venin radioactif, mélange de bolchevisme et de high-tech, était la goutte de trop ? Déjà intolérable en Russie, il faudrait aussi que la menace létale frappe hors des frontières. L’ancien chancelier allemand, Gerhard Schröder, estimait récemment que Vladimir Poutine était dans son rôle en restaurant l’autorité de l’Etat russe. Qu’il le prouve en mettant fin à l’usage du poison, qui a toujours été le propre des faibles. l

CHRISTIAN MAKARIAN

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