Séisme dans le landerneau sportif, où l’affaire THG fait des ravages. Tout bénéfice pour la lutte antidopage ?
Un jour de juin 2003, l’Agen- ce antidopage américaine (USADA) reçoit un coup de fil d’un entraîneur d’athlétisme. Non content d’affirmer que plusieurs athlètes avaient eu recours à un nouveau dérivé de stéroïde indétectable par les moyens de contrôle en vigueur, l’individu lâche le nom des utilisateurs et accuse le » nutritionniste » Victor Conte d’avoir mis au point puis diffusé le produit en question via ses laboratoires californiens de » compléments alimentaires » Balco (Bay Area Laboratory Cooperative). Mieux : un peu plus tard, il étaye ses propos avec une pièce à conviction : une seringue contenant de la tétrahydrogestrinone (THG). Cette substance élaborée en modifiant la structure du gestrinome qui sert à traiter la stérilité chez la femme s’apparente en fait à la composition chimique de deux stéroïdes interdits. Conçue pour ne pas être détectée, elle n’en conserve pas moins toutes les caractéristiques des stéroïdes anabolisants, qui donnent lieu à une augmentation massive de la masse musculaire mais se » paient » par un grand nombre d’effets secondaires (voir l’infographie).
A la lumière de cette information, l’USADA a recontrôlé 550 de ses échantillons d’urine, plusieurs d’entre eux se révélant désormais positifs, soit à la THG, soit à un autre produit répondant à l’appellation demodafinil, un psycho-stimulant qui, retrouvé dans les urines de Kelli White, a valu à l’Américaine la privation – probablement définitive – de ses deux médailles d’or (100 et 200 mètres) aux derniers championnats du monde de Paris. Kelli White ? Tiens, tiens ! C’est justement à la demande de cette dernière que ledit Victor Conte avait été accrédité aux Mondiaux de 2003… Déjà accusé de fraude fiscale, d’arnaque à la sécurité sociale et de blanchiment d’argent devant un grand jury fédéral californien, celui qui se présente comme « conseiller en matière de nutrition et de compléments en sels minéraux » nie cependant toute implication dans le processus de production de la THG. Des dénégations qui n’ont pas suffi à convaincre le directeur exécutif de l’USADA, Terry Madden, qui, le 16 octobre dernier, a tenu une conférence de presse pour annoncer l’existence d’une « vaste conspiration impliquant des chimistes, des entraîneurs et des athlètes ». Sans citer le moindre nom, il est vrai. Pour les athlètes incriminés, le répit n’a pourtant été que de courte durée.
Quelques jours plus tard, le quotidien The Washington Post dévoilait déjà le premier d’entre eux : l’Américain Kevin Toth, sixième meilleur lanceur de poids de tous les temps (quatrième aux derniers Championnats du monde et actuel champion des Etats-Unis). Dans la foulée, le Guardian y allait de son propre scoop en révélant un deuxième nom, celui du sprinter britannique Dwain Chambers (codétenteur du record européen sur 100 mètres et champion d’Europe sur la même distance). Le lendemain, le Washington Post reprenait le flambeau en suspectant la coureuse de demi-fond Regina Jacobs (championne des Etats-Unis sur 1 500 mètres).
Les révélations ne sont probablement pas finies. De là à parler d’un produit utilisé massivement, il y a un pas que, pour l’heure, rien ne permet de franchir. Mais l’affaire n’a peut-être pas encore livré tous ses secrets. Il n’est pas exclu, notamment, qu’elle ait des prolongements au-delà de l’athlétisme et que Chambers ne reste pas le seul non-Américain impliqué. Quoi qu’il en soit, elle aura forcé une prise de conscience de la part des autorités sportives américaines et, plus généralement, rendu du tonus à toutes les instances chargées de combattre le dopage à travers le monde. Au point de se donner les moyens de traquer les hormones de croissance et d’autres substances beaucoup plus efficaces que la THG qui, par rapport à d’autres stéroïdes anabolisants, ne peut dorénavant plus se prévaloir de son seul atout : l’indécelabilité qui permettait son absorption juste avant une compétition ?
Christophe Engels
