Face aux maux dont souffre la France, François Hollande s’est refusé à opérer à vif depuis 2012. Mais l’embellie économique se fait attendre et l’urgence à réformer l’Etat et le système social s’impose chaque jour davantage. A moins de deux ans de la fin de son quinquennat, que veut, que peut le président ? Enquête.
A ceux qui s’inquiètent de la faiblesse des réformes menées par François Hollande, l’un de ses conseillers répond : » Relisez la feuille de route du pacte de responsabilité, détaillée par le président le 14 janvier 2014. Elle est exécutée de manière méthodique. Tout a été fait ou est en train de l’être. » Baisse des charges et des impôts des entreprises, simplification administrative, réduction de la dépense publique : ce jour-là, François Hollande assume solennellement un agenda très social-démocrate. » L’enjeu n’est pas simplement que la France retrouve (la) croissance, dit-il alors. C’est que cette croissance soit la plus vigoureuse possible. » Pour créer suffisamment d’emplois et venir à bout, enfin, de ce chômage enkysté dans le corps social français.
Trois ans après l’élection, le bilan hollandais est cruel : 630 000 chômeurs de plus qu’en mai 2012. En cinq ans, Nicolas Sarkozy a fait à peine pire, avec un chiffre de 755 000. Sur l’ensemble du quinquennat, la dette publique va augmenter au bas mot de 360 milliards d’euros (1). Ce sera moins que sous Nicolas Sarkozy (616 milliards), mais la perspective que cette dette atteigne 100 % du PIB – chiffre symbolique – ne peut être ignorée (voir l’encadré page 49).
En attendant que sa politique donne des résultats, François Hollande comptait et compte toujours sur une reprise due à des facteurs extérieurs : baisse des taux d’intérêt, de l’euro et du prix du pétrole. Mais le résultat du deuxième trimestre de cette année incite à la réserve : le PIB a fait du surplace, après, il est vrai, un excellent premier trimestre (+ 0,7 %). Manuel Valls persiste à penser que la dynamique est bonne et que l’année peut se terminer sur un rythme annuel de 1,5 %, seuil susceptible de faire reculer le chômage. » Ces chiffres nous encouragent à maintenir le cap et à poursuivre nos efforts « , affirme le Premier ministre français, le 14 août.
A l’insu de son auteur, cette petite phrase contient, en creux, la critique du quinquennat. Le » cap » n’est pas toujours ferme, rendant la » poursuite des efforts » assez hypothétique. » Nous ne menons pas une politique facile à vendre à nos députés « , avoue un ministre. Prenons l’exemple du pacte de responsabilité et de sa mesure la plus emblématique, la diminution des cotisations sociales et des impôts des entreprises, 40 milliards d’euros sur le quinquennat. C’est l’initiative la plus prometteuse pour la croissance potentielle, estime, en octobre 2014, une étude de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) sur la France. Si l’organisation internationale donne un satisfecit global à Hollande pour ses réformes de structure, elle le conditionne à la constance et à l’amplification de ces initiatives.
Constance ? Amplification ? Au Parti socialiste français, le mot-clé est plutôt impatience. En 2014, François Hollande impose le pacte à sa famille politique en lui garantissant en retour des » contreparties claires, précises et mesurables « . Ne les voyant pas venir, les socialistes demandent une réorientation partielle des sommes encore à verser aux entreprises au profit des ménages et des collectivités locales. L’exécutif adhère au principe et Manuel Valls signe la motion du congrès socialiste du PS (Poitiers, du 5 au 7 juin) allant dans ce sens. L’échéance est passée, la promesse oubliée : il n’est pas question de priver les entreprises d’un seul des euros annoncés. Pourtant, le mal est fait et Pierre Gattaz, président du Medef, le patronat français, a beau jeu de protester dans une interview au Figaro, le 29 juillet.
Même si le pacte n’est pas modifié, et c’est le plus probable, l’épisode en dit long sur le fossé qui sépare ceux qui gouvernent, persuadés que les charges et les impôts handicapent la compétitivité, et ceux qui militent : le Parti socialiste reste convaincu qu’il faut doper le pouvoir d’achat des ménages. Au ministère français de l’Economie, on fait remarquer que la baisse des prix du pétrole l’accroît naturellement de 10 milliards d’euros. Une relance que le président de la République n’assume pas comme telle. D’où la promesse d’une nouvelle baisse des impôts des Français, si la croissance le permet.
Les conditions d’adoption de la loi Macron confirment ce décalage. Voilà une loi qui apporte de réels changements (obtention plus rapide du permis de conduire, facilitation des trajets en autocar, travail du dimanche un peu plus fréquent, etc.), sans bouleverser la société française. Toutefois, le gouvernement a dû utiliser la procédure du 49-3, qui engage la responsabilité du gouvernement devant le Parlement, pour contraindre les députés à adopter ce texte.
» Je ne suis pas un obsédé de la loi »
Ils n’ont pas aimé Macron 1. Ils vont détester Macron 2. Le ministre français de l’Economie prépare une autre loi, sur la transition numérique. » Il s’agit de permettre à la France de profiter de cette nouvelle économie sans créer de conflits comme celui opposant les taxis à Uber « , explique-t-on à l’Elysée. Emmanuel Macron, lui, se fait très sobre : » Je ne suis pas un obsédé de la loi, affirme-t-il, le 27 juillet. Nous allons mettre les choses à plat, procéder à un constat et à une réflexion, secteur par secteur. » La loi ne serait donc qu’un instrument parmi d’autres. Mais déjà le patronyme du futur texte fait peur. » Parler de Macron 2, c’est agiter le 49-3 sous le nez des députés « , ironise un ministre.
Parler de réformer le droit du travail n’est pas plus apaisant. C’est pourtant le menu officiel que Manuel Valls comme Emmanuel Macron ne cessent d’afficher. Le passé récent montre qu’il sera dur à avaler. Parce que la majorité risque de se dérober. Comme les partenaires sociaux, bien que concernés au premier chef par ce thème.
Pour trouver une issue de secours politique, l’exécutif français alterne audace et prudence. Il fait, défait, complète, au détriment de la clarté et de l’efficacité. A l’Elysée, on parle plutôt de politique des petits pas et on l’assume : » Quand des étrangers me demandent : « Où est votre Jobs Act (par référence à la réforme du marché du travail menée en Italie par Matteo Renzi) », je réponds que nous l’avons fait en plusieurs fois avec l’accord du 11 janvier 2013, puis les lois Macron et Rebsamen (NDLR : du nom du ministre du Travail qui a remis sa démission pour redevenir maire de Dijon) « , explique un conseiller du président. Un proche de Hollande renchérit : » Les grands coups de volant ne font pas forcément avancer. » » Ceux qui disent que nous ne réformons pas vraiment sont ceux qui n’ont rien fait en dix ans, assène Michel Sapin. Il faut aussi tenir compte des réalités sociales, de ce que le pays est capable d’absorber. »
Le ministre français des Finances fait un rêve : que la pression se relâche sur les sujets économiques et sociaux grâce à une meilleure conjoncture. » Ces sujets-là sont source de discorde au sein de notre famille politique, alors que l’Europe, l’écologie, la morale activent le clivage traditionnel droite-gauche. » La Grèce, la préparation de la COP 21 (le sommet de Paris sur le climat), la future loi Sapin de lutte contre la corruption sont de nature à resserrer les rangs, estime-t-il. Mettre un bémol sur les réformes qui fâchent, n’est-ce pas aussi retarder celles qui comptent ?
(1) Ce chiffre résulte de l’addition de la dette accumulée de la fin de 2012 à la fin de 2014 avec celle prévue par le gouvernement pour les années 2015 à 2017.
Par Corinne Lhaïk