» L’Ancien Testament n’est pas un livre d’histoire «
Israel Finkelstein, 58 ans, professeur d’archéologie à l’université de Tel-Aviv, est réputé pour son franc-parler. En 2002, ce chercheur israélien avait déclenché une polémique mondiale en publiant, avec l’historien Neil Asher Silberman, La Bible dévoilée (1), où il démontrait que le livre sacré ne pouvait avoir été écrit plus tôt que le viie siècle avant Jésus-Christ et remettait en question les événements qu’il relate, à la lumière de fouilles réalisées au Proche-Orient. Il évoque ici l’évolution de l’archéologie biblique, un domaine où la science, l’idéologie et la religion s’entremêlent parfois dangereusement.
Les réactions à votre livre ont dû être explosves. Avez-voureçu des menaces ?MMMM
E Pas le moins du monde. A part quelques lettres indignées venues de milieux conservateurs, juifs ou chrétiens, il a été très bien accueilli en Europe comme aux Etats-Unis. Ici, en Israël, il n’y a pas eu de levée de boucliers. Les orthodoxes l’ont ignoré. Pour eux, la foi est une chose, la science en est une autre, et c’est aussi mon point de vue. En revanche, il n’a pas du tout été apprécié par les » nationalistes religieux « . Plus étonnant, une autre partie de la société israélienne a été très dérangée : les libéraux issus de la révolution sioniste de Ben Gourion, qui voyaient dans la Bible un parallèle symbolique entre la conquête de Josué et celle de l’Israël du début de l’aventure sioniste… Enfin, il y a les libéraux » modernistes » et laïques, qui ont adoré l’ouvrage. Peut-être un peu trop à mon goût…
Pourquoi ?
E J’ai reçu, par exemple, un e-mail d’un lecteur qui me disait : » J’ai toujours su que tout cela n’était qu’un énorme mensonge. » Je n’ai jamais dit ça, et je ne raisonne pas comme ça. Dire que la Bible a été écrite au viie siècle avant notre ère ne signifie pas que tout est faux. L’Ancien Testament n’est pas strictement un livre d’histoire : c’est aussi et surtout un ouvrage de morale, de culture, de philosophie. Les textes entre la Genèse et les Rois ont probablement été écrits à partir de fragments d’événements historiques, pour inciter le peuple d’Israël à l’union, face à la pression de l’empire assyrien qui avait détruit le royaume d’Israël, au nord, et dont le royaume de Juda, au sud, était devenu le vassal.
Vous n’êtes pas le premier à proposer des modifications de la chronologie biblique…
E Ce mouvement a commencé avec Spinoza au xviie siècle et s’est poursuivi au xixe siècle en Allemagne, où des savants protestants affirmaient, par exemple, que la Genèse devait être interprétée non pas au pied de la lettre, mais dans le contexte de la monarchie israélite, à une période beaucoup plus tardive. L’archéologie biblique s’est développée au début du xxe siècle en réaction à ce courant, sous la domination de chercheurs-théologiens affiliés à des universités religieuses américaines très conservatrices, qui voulaient avant tout confirmer les récits de l’Ancien testament.
Beaucoup d’archéologues semblent avoir levé les yeux vers le ciel au lieu de regarder le sol…
E C’est encore pire que ça : certains ont carrément trahi leur profession ! Ils ont reconstruit l’Histoire en se fondant non pas sur les évidences découvertes sur le terrain, mais en fonction du texte biblique. Cette mauvaise foi a parfois atteint des sommets. Dans les années 1940, un certain Nelson Gluck, archéologue et rabbin réformiste américain, est parti fouiller un site dans le golfe d’Aqaba, qu’il a identifié comme Ezion-Geber, un haut lieu de la Bible, relié à l’Exode et au roi Salomon. Il a retrouvé des signes de production de cuivre, identifié avec précision des strates remontant au xe siècle avant Jésus-Christ… Tout était imaginaire : il n’y avait rien sur le site, dont les premiers signes d’occupation datent en fait du viie siècle avant notre ère. On ne s’en est rendu compte que beaucoup plus tard. Ce genre de travers n’a pas tout à fait disparu. Aujourd’hui, vous rencontrez encore des archéologues qui prétendent avoir trouvé à Jérusalem le palais mythique du roi David…
Votre dernier livre (2) porte justement sur David et Salomon, dont vous remettez en question l’importance historique. Pourquoi ?
E Nous avons repris leur histoire à cause de son impact sur le christianisme et sur la civilisation occidentale. Nous essayons d’expliquer comment leur mythologie est née et s’est développée dans l’idéologie judéenne du viie siècle avant notre ère, puis après la destruction du Temple. David n’était probablement qu’un hors-la-loi populaire, une sorte de Robin des bois des hautes terres de Canaan devenu un petit chef de la région avant d’être magnifié par l’eschatologie et le messianisme. Je ne dis pas qu’il n’a jamais existé, mais son influence n’avait probablement rien de comparable à celle des grands royaumes de Damas et d’Israël (le royaume du Nord). Le » grand » David est un mythe…
Comment expliquez-vous le regain d’intérêt du grand public pour la Bible ?
E On assiste régulièrement à ce que j’appelle des » éruptions messianiques » en archéologie biblique. Soudain des chercheurs proclament avoir fait une découverte révolutionnaire qui va tout changer – la tombe de Jésus, l’ossuaire de Jacques, frère du Christ, ou l’inscription évoquant la reconstruction du Temple à l’époque du roi Joash… Mais la connaissance n’avance pas à force de découvertes sensationnelles : elle se construit à partir d’un réseau de petits détails reliés entre eux pour former un tout. De plus, certains ont le sentiment que la pression de la vie moderne étouffe la foi. Ils cherchent donc par ces découvertes à lui donner un nouveau souffle.
Ces » éruptions messianiques » peuvent aussi rapporter grosà
E C’est malheureusement vrai. Le côté sensationnel de l’archéologie biblique, qu’il s’agisse de l’Ancien ou du Nouveau Testament, associe souvent des idéologies ultraconservatrices, d’énormes sommes d’argent, des collectionneurs et les médias. Tout cela alimente le marché noir et la production de fausses antiquités, qui fleurissent dans la région depuis 1967. Une de mes règles d’or est de ne jamais mentionner dans mes recherches des objets archéologiques qui circulent sur le marché tant qu’il n’existe pas de preuves incontestables de leur authenticité. Ce qui est très rare.
Votre vision de la chronologie biblique est-elle encore contestée ?
E Mes contradicteurs font valoir que la compilation finale de la Bible date peut-être du viie siècle avant Jésus-Christ, mais qu’elle a été rédigée à partir de textes plus anciens. Ce à quoi je m’oppose totalement : il n’y a aucune trace d’alphabétisation à Juda avant cette date. Sur le plan archéologique, le débat porte aujourd’hui sur la datation précise des différentes strates étudiées sur les sites. Les couches dans lesquelles on a retrouvé les vestiges qui sont supposés apporter les preuves de la grandeur des royaumes de David et Salomon ont été estimées au xe siècle avant Jésus-Christ. Je pense depuis longtemps qu’elles sont plus récentes, d’à peu près cent ans. Des équipes de l’institut Weissman et de l’université de l’Arizona ont analysé au radiocarbone quelque 400 prélèvements de différents sites en Israël. Ils viennent juste de publier leurs résultats, qui vont pratiquement tous dans mon sens. l
Entretien : Gilbert Charles
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