De Juliette à Lolita et du Cantique des Cantiques à Boris Vian, Nathalie Sarraute et Marguerite Duras, le thème de l’amour remplit l’histoire de la littérature. Il occupe aussi une place de choix dans les musées.
Il y a des couples mythiques. Roméo et Juliette, Orphée et Eurydice, Pelléas et Mélisande. D’autres qui unissent à jamais un poète et sa belle : Dante et Béatrice, Pétrarque et Laura, Aragon et Elsa… Mais si, entre l’imaginaire amoureux d’Homère et celui de Nabokov ou de Cocteau, les rapports à l’amour ont changé de visage, tous ces auteurs ont cherché, par le choix des mots, le rythme des phrases et la sonorité musicale de l’ensemble, à atteindre le coeur des lecteurs. Or, parmi ceux-ci, on doit compter avec de nombreux peintres qui, depuis la Renaissance, ont appris à mettre en image des textes religieux souvent mais de plus en plus profanes au fil des siècles. Et comme dans la littérature, le » si plaisant malheur d’amour « , dixit Ronsard, y occupe une place de choix…
Ainsi, dans cette belle anthologie, ces oeuvres choisies par Daniel Bergez pour accompagner son choix des différents écrits. Certaines compositions appartiennent à la même époque que les textes. Une enluminure de 1470 nous invite à visualiser l’univers de Tristan et Iseut, La Fornarina de Raphaël fait écho à l’éloge des » tétins » écrit au XVIe siècle par Clément Marot, et une toile de l’Ecole de Fontainebleau parfume avec délicatesse un poème de Ronsard. Rien d’étonnant à ce que Jean-Baptiste Greuze accompagne Jean de La Fontaine ou que le romantique Charles-Joseph Vernet traduise les douleurs de Paul et Virginie. Plus près de nous, les femmes enfants de Francis Picabia sont complices d’un extrait d’Arcane17 d’André Breton, deux dessins de Giacometti entourent une lettre envoyée par Jean-Paul Sartre à Simone de Beauvoir…
Parfois, un même auteur, Corneille par exemple, s’attire tout à la fois un peintre de son temps, Charles Le Brun et un autre, le néoclassique David qui, à l’heure de la Révolution française, fait des tragédiens les porte-paroles du nouvel ordre moral. Si le passé antique nourrit l’imagination de Titien, Véronèse ou encore Rubens, il stimule, au XIXe siècle, l’imagination des symbolistes et des préraphaélites comme Gustave Moreau, John William Waterhouse ou Gabriele Rossetti. Enfin, l’auteur s’enhardit parfois lorsque ses choix relèvent d’une interprétation personnelle, voire d’un raccourci audacieux. On songe au lien établi entre la Lolita de Nabokov et les peintures de Balthus ou encore entre un poème de Victor Hugo – Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds – et Le repos de Diane peint par Jean-François Millet. Au total, ce ne sont pas moins de 130 extraits signés par 90 auteurs et une véritable histoire de l’art revisitée qui nous est proposée. Et cela fonctionne. Attiré d’abord par l’image, le désir de la lecture suit. On en savoure que mieux les descriptions, les métaphores, les silences. Puis on repasse aux images. C’est que, entre le désir, la passion, la ruse, le marivaudage et la mystique, la transgression et la gravité, l’amour est aussi affaire de » regard « .
Ecrire l’amour. De l’Antiquité à Marguerite Duras, une anthologie réunie par Daniel Bergez, 350 illustrations, éd. Citadelles & Mazenod, 512 p.
Guy Gilsoul