Inacceptable ! » tonne le président turc, Abdullah Gül. En adoptant une résolution reconnaissant le génocide des Arméniens de l’Empire ottoman, qui causa la mort de 1,5 million d’innocents au début du xxe siècle, la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants des Etats-Unis a provoqué une secousse tellurique. Le texte devrait être prochainement mis au vote devant la Chambre réunie en assemblée plénière. Sa présidente, la démocrate Nancy Pelosi, sûre d’agir au nom des principes fondamentaux, ne se soucie guère de l’onde de choc. Or la Turquie, qui nie aveuglément toute forme de génocide, brandit une fois de plus la menace. Ankara rappelle son ambassadeur à Washington. La presse turque traite les élus du peuple américain d' » imbéciles « . Le vice-président du parti islamiste au pouvoir, l’AKP, estime que son pays ne devrait plus mettre à la disposition des Américains la base militaire d’Incirlik, par où transitent 70 % du ravitaillement aérien destiné à l’Irak, un tiers des carburants et 95 % des engins blindés.
Catastrophé, George W. Bush considère que l’adoption de ce texte » causerait un tort considérable avec un allié crucial au sein de l’Otan et dans la guerre mondiale contre le terrorisme « . Un » allié crucial » ? Certes, mais comment oublier qu’en 2003, sans qu’il ait une minute été question du génocide arménien, la Turquie avait refusé d’autoriser le passage des unités américaines sur son sol dans le cadre du plan d’invasion du nord de l’Irak ? Comment ignorer que, depuis des années, l’armée turque, aux prises avec la guérilla kurde dans l’est du pays, envisage ouvertement de se livrer à des incursions punitives dans le nord de l’Irak, majoritairement peuplé de Kurdes, seule zone de relative stabilité depuis l’occupation américaine ?
La vérité est que George W. Bush vient d’essuyer un affront personnel d’envergure. En qualifiant dûment de » génocide » l’extermination des Arméniens, les démocrates américains entament une reconquête morale contre un président disqualifié. En appelant ses pairs à un vote de » conscience « , le président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants, Tom Lantos, a remis l’Amérique sur le chemin de ses valeurs. Tom Lantos est le seul survivant de l’Holocauste à avoir jamais été élu au Congrès.
CHRISTIAN MAKARIAN