L’écrivain sud-africain André Brink imbrique la réalité de son pays dans une quête identitaire. Une esclave lumineuse se bat contre vents et marées pour pouvoir exister.
« Les lâches sont ceux qui n’ont pas le courage de résister. » Tel n’est pas le cas de Philida, l’héroïne du nouveau roman d’André Brink. Le grand écrivain (il a obtenu le Prix Medicis étranger, en 1980, pour Une saison blanche et sèche) se double d’un homme engagé qui lutte pour l’égalité au sein d’une société scindée. Il ravive ici l’histoire de l’esclave qui a eu quatre enfants avec l’un de ses ancêtres. Mais » sans liberté réelle, on ne peut pas aimer librement « . Aussi cette guerrière a-t-elle la volonté de s’affranchir, malgré sa condition précaire. Un magnifique portrait de femme, qui transcende ses drames pour imposer son droit à la liberté. Interview exclusive.
Le Vif/L’Express : » Chacun a sa propre histoire. » En quoi la vôtre est-elle inspirante ?
André Brink : L’histoire est la clé qui permet d’accéder à la compréhension de la vie. Comme on ne peut pas tout inventer, j’interroge mes souvenirs d’enfance sur l’avenir possible. Le récit des adultes qui m’entouraient m’a éclairé sur le passé de ma famille, ma nation et mon peuple. Au centre de mes livres se trouve la différence accablante entre Noirs et Blancs, maîtres et esclaves. Cette collection d’histoires, tombées du ciel, a suscité l’inspiration.
Qu’est-ce qui vous touche chez Philida, cette esclave qui se sert de la loi pour contrer son sort ?
Son désir de s’affranchir. Indomptable, Philida s’oppose à tout ce qui se dresse contre elle. Cette femme croit en la vie, qu’elle ose imaginer différente, voire meilleure. Grâce à ce personnage, je m’ouvre au rêve… Il est nécessaire de s’inventer une existence pour pouvoir l’accomplir. Or, Philida est encerclée par des lois, des interdictions et des privations. Sa philosophie lui permet de dépasser sa réalité quotidienne. C’est dans l’acte de révolte qu’on se trouve et se retrouve. Tout être humain peut aller plus loin, en luttant contre les restrictions de liberté. En Afrique du Sud, on vit en des temps turbulents et inspirants qui imposent de profonds changements. Les oppressés parviennent de plus en plus à se réaliser, à s’exprimer et à dire non. C’est leur façon de dire oui à la vie. Philida se moque du monde en s’imposant comme femme et être libre. Tant qu’on n’est pas libre dans sa tête, il n’y a pas de progrès.
Comment trouver sa place : est-ce finalement le thème de tous vos livres ?
Mon héroïne doit dépasser ce qu’elle est : une femme et une esclave. Sa richesse ? Se définir en tant qu’être humain grâce à ses enfants qui l’obligent à se réinventer constamment. La religion est sa seule issue pour imaginer un autre univers. Plus qu’un lieu, la place de chacun comprend une dimension spirituelle, celle où l’on se réalise pleinement, celle où le monde commence. Trouver sa place est peut-être la question centrale de la vie. A près de 80 ans, je vois que ce processus évolutif est infini ! L’amour aussi est un éternel recommencement. On doit garder la foi en la lumière car cet espoir rend la vie possible.
Etes-vous confiant dans l’avenir de l’Afrique du Sud ?
L’Afrique est un continent très ancien, renfermant tant de potentialités. Je me sens Africain car je me retrouve dans ce continent, historique et mythologique, incarnant le berceau du monde. J’espérais que mon pays allait avancer, mais il semble misérable depuis l’élection de Zuma. Ce président autoritaire va à contre-sens de la nouvelle expérience africaine. C’est un homme politique du passé, trop borné pour saisir les possibilités qui sont à sa portée. Le pouvoir d’un écrivain consiste à inventer, en se glissant dans la peau d’un autre. Une manière de garder les fenêtres ouvertes sur le monde et sur sa propre lumière intérieure.
Philida, par André Brink, éd. Actes Sud, 373 p.
Entretien : Kerenn Elkaïm