Le puissant univers sonore de la chanteuse de Dead Can Dance voyage dans l’espace et le temps, et s’arrête prochainement au Cirque royal, à Bruxelles
De notre envoyé spécial à Paris,
Dans cet hôtel du c£ur de Paris, Lisa Gerrard apparaît pâle, jet-laggée, bavarde. Assez loin de la stature hiératique qu’on imagine en entendant sa voix cérémonieuse, celle qui impressionne si fort sur les disques de Dead Can Dance – en pause-carrière – ou sur ses £uvres solo, récemment propagées par des blockbusters hollywoodiens type Ali ou Gladiator – ce dernier lui valant un Golden Globe. Depuis un quart de siècle, le cocktail rétro-futuriste de Gerrard remporte un étonnant succès international en traquant les chants médiévaux, les évanescences tribales, les digressions musicales du monde actuel et passé, sous couvert d’un précieux organe vocal, » que je ne préserve nullement ! rit l’Australienne de 46 ans. Je bois, je fume et je fais d’autres choses terrifiantes, comme parler énormément « .
Pourtant, la vie civile et musicale de Lisa Gerrard se déroule dans un cadre précis, protégé, dans une petite communauté rurale du Sud-Ouest australien, à trente milles de la ville la plus proche. » J’y vis avec mes enfants et mon assistante. J’habite dans le bush, ce qui me permet de m’éloigner du monde, de me connecter à ce que je désire vraiment, l’absolu. Je me considère d’ailleurs comme une Aborigène, parce que je suis née là-bas et que, comme eux, je suis complètement reliée aux vibrations de la terre et à un langage abstrait, façonné par des millions d’années d’humanité. »
Loin de sa première image – gothique -, Dead Can Dance a nuancé le fuselage new wave du début des années 1980 pour adouber d’autres sons chassés à travers les âges, déployant un sens du grandiose qui n’a pas quitté Lisa. » Avec Brendan Perry, on s’est retrouvé à vivre sans un sou dans le Londres de 1984, à l’île aux Chiens. On ne sortait pas et on passait notre temps à consulter tous les ouvrages possibles et imaginables à la bibliothèque locale, en particulier ceux concernant l’anthropologie et la poésie. On est entré dans un processus de fascination pour le chant médiéval qui, comme nombre de sonorités et d’instruments étrangers au rock, ont pénétré notre musique. C’était notre façon à nous, Australiens, de nous connecter avec le Vieux Monde. » On peut le vérifier dans Lisa Gerrard, titre d’un envoûtant best of ramenant en quinze plages un échantillon de son travail solo, de Dead Can Dance et de son album de 1998 avec Pieter Bourke. Il y a une profonde continuité entre ces musiques glanées sur un quart de siècle, un sens commun du dépaysement, du voyage et du mystère. Particulièrement dans les tours de force composés pour les BO de films, que Lisa accumule : cinq fictions depuis 1999, dont Ali et Révélations, longs-métrages réalisés par le très doué Michael Mann. Pas forcément une partie de plaisir pour cette artiste qui prône la méfiance face à la matérialité de nos habitudes consuméristes : » Ali (biopic de Mohammed Ali) a été une expérience éprouvante : la boxe est un monde incroyablement brutal, et comme la musique de films demande d’intérioriser chaque personnage, j’ai dû avaler beaucoup de tristesse, de douleur, de pauvreté spirituelle. Michael Mann a des idées extrêmement fermes, donc il faut être très fort et très humble pour travailler avec lui. Parfois, le réalisateur vous donne le pouvoir d’être le » sculpteur « , pas Michael. J’ai été déçue, parce qu’énormément de choses importantes ont été enlevées du film. Il aurait fallu qu’il dure quatre ou cinq heures, notamment pour comprendre les implications musulmanes dans la vie du boxeur. Le résultat aurait été incroyablement plus puissant. » La musique de Lisa Gerrard ne l’est pas moins.
CD chez Beggar’s Banquet/V2. En concert le 17 avril, au Cirque royal, à Bruxelles. www.cirque-royal.org
Philippe Cornet