La Vénus d’Urbin de Titien déborde de sensualité. Eloignée de l’image des divinités, elle est sans doute – et surtout ! – la première femme nue (comprenez » profane « ) représentée en peinture. Elle ouvre notre série d’été consacrée à ces tableaux qui font débat.
Fruit d’une commande privée, la Vénus d’Urbin ne cesse de diviser. D’entrée, trois hypothèses se confrontent. Certains y voient la représentation de Giulia Varano, très jeune épouse de Guidobaldo Della Rovere, duc d’Urbin. Le tableau devait marquer le changement d’état de cette enfant, mariée à 10 ans, » consommée » à 14. Autre théorie : le tableau ne serait qu’une allégorie matrimoniale censée stimuler le couple dans ses ébats. Objectif ? La procréation. À ce propos, l’historienne Rona Goffen a rappelé la puissance magique attribuée aux images. La femme donnerait naissance à un enfant parfait si elle regardait, au moment de la fécondation, ce type de tableau. Défendant une toute autre position, Daniel Arasse – spécialiste de l’art italien – y observa un » simple » nu. Guidobaldo aurait tout bonnement commandé le portrait, dans le plus simple appareil, d’une jeune femme apparaissant vêtue dans un autre tableau (La Bella du musée Pitti, à Florence).
Mais la véritable transgression concerne la représentation. Chaque détail évoque l’importance de l’érotisme dans le mariage. La belle tient des roses, symbole de sa virginité perdue. Qu’en est-il de l’autre main ? Entreprise de dissimulation du sexe ou geste impudique ? La seconde théorie est parfaitement envisageable. Daniel Arasse évoqua ce tableau en le qualifiant, d’une certaine manière, d’obscène » parce qu’il rend public, il met sur le devant de la scène, un geste qui est admis et même recommandé dans l’intimité du mariage « . Nous avons bien lu le terme » recommandé « … Étonnant ? Pas vraiment. Dans l’un de ses essais, Rona Goffen explique que pratiquer l’onanisme – au XVIe siècle- répondait à des prescriptions médico-religieuses. Il se murmurait que les femmes ne pouvaient être fertilisées qu’au moment de leur jouissance. Elles étaient vivement encouragées, dès lors, à se préparer à l’union sexuelle pour avoir un enfant.
Une oeillade qui promet…
Pourtant, plus que le geste, c’est le regard – franc et direct – qui choque et provoque. La Vénus endormie de Giorgione, tableau dont l’artiste s’est fortement inspiré, n’a pas du tout scandalisé : la femme allongée y a les yeux fermés. Ce détail permet de l’isoler. Ici, sa façon de nous regarder montre qu’elle est consciente de sa nudité et de l’érotisme qu’elle dégage. Ce regard sans fausse pudeur marque l’émancipation de la femme. En outre, Titien place sa protagoniste dans l’intimité d’une chambre à coucher. Giorgione avait installé la sienne dans un décor champêtre. Le contexte change tout : le regard et la chambre permettent de désacraliser la Vénus. D’en faire une femme. Une vraie.
Reste ouverte la question du titre : pourquoi la nommer Vénus ? En réalité, c’est le théoricien Giorgio Vasari qui en fait une déesse. Le Concile de Trente venait de publier un décret insistant sur la responsabilité des artistes quant aux dérives dans les arts figuratifs. En renommant Vénus ce qui fut d’abord Femme endormie, Vasari cherche à couvrir le peintre. Chargée d’impertinence, la Vénus d’Urbin incarne le nu féminin par excellence. Un modèle d’un érotisme ravageur qui imprègnera Goya avec la Maja desnuda mais plus encore Manet et sa sulfureuse Olympia !
Gwennaëlle Gribaumont
Dans notre numéro du 18 juillet : La mort de la Vierge, le Caravage.
Gwennaëlle Gribaumont