La tentation sécuritaire

Ils sont souvent bourgmestres, surtout wallons, toujours socialistes. Ils trouvent leur parti trop mou en matière de sécurité et de justice, en particulier dans la lutte contre le radicalisme religieux. Question de principes, bien sûr. Mais aussi d’intérêt électoral. Enquête auprès d’une droite socialiste qui bande ses muscles.

Il fait frais à Schaerbeek, ce dimanche 11 octobre. Il n’est pas encore 10 heures. Sur le parking d’une grande salle réfrigérée par la clim’, un participant au Congrès de rentrée du Parti socialiste se demande s’il fait bien de laisser un sac de voyage dans sa voiture.  » On ne risque rien ici, on est entre camarades, il n’y a pas d’insécurité « , le rassure l’un d’entre eux. Il a raison : de toute la journée, on ne parlera plus qu’une seule fois de sécurité, lorsque trois belles chanteuses, en prélude aux interventions politiques, réclameront d’une voix claire  » que le voleur rende gorge « , au milieu du deuxième couplet de leur très pure Internationale. Pourtant, au PS, d’autres voix, plus rogues, prennent au pied de la lettre l’immortelle punchline, originellement dédicacée aux délinquants financiers.  » Il y a au PS un lobby sécuritaire « , pose un socialiste bruxellois de l’autre camp. Un lobby informel, même pas vraiment une tendance (reconnue comme telle, selon les statuts du PS, à partir de 20 % des membres du Bureau national, et on est loin du compte). Mais un groupe qui peut peser. Et enquiquiner. Il se mobilise sur les questions chères à la droite classique, celles que les politologues américains rassemblent dans la catégorie de  » Law and Order « , la loi et l’ordre (que le politiste gaulois Reiser traduisait en  » si la gauche en avait, on l’appellerait la droite « ), et élargit le débat, parfois, à une vision restrictive de la laïcité. Soit des camarades enclins à donner du bâton dans une formation plutôt portée sur la carotte : pour les élections de 2014, ont calculé les chercheurs Grégory Piet (ULg) et Régis Dandoy (ULB), les préoccupations de  » Justice et criminalité  » n’arrivaient qu’en 14e place sur 21, ne comptant que pour 2,48 % des près de 500 pages du programme socialiste. C’est peu, et il n’en faut pas moins pour se voir taxer de laxisme. Imputation que combattent, donc, les agents du  » lobby sécuritaire  » socialiste.

Dans leurs rangs, le député fédéral et populaire bourgmestre faisant fonction de Tournai, Paul-Olivier Delannois, dont les succès électoraux se sont forgés à grands clairons de  » tolérance zéro  » et de  » la première des libertés, c’est la sécurité « . Ou le député wallon et président de la plus grande société de logements sociaux de Wallonie, Hicham Imane, inlassable traqueur des fraudes aux compteurs. Ou le bourgmestre de Liège, président de la fédération d’arrondissement et vice-président du PS, Willy Demeyer, qui a stupéfié le Boulevard de l’Empereur en acceptant la proposition du gouvernement fédéral d’envoyer l’armée surveiller les bâtiments liégeois. Ou le député fédéral et bourgmestre de Binche, Laurent Devin. Ou, on le lira plus loin (page 28), le député fédéral et bourgmestre d’Hensies, Eric Thiébaut. Il y en a d’autres. Un point commun :  » Il n’y a aucun idéologue parmi eux, observe Pascal Delwit, politologue à l’ULB, seulement des bourgmestres et mandataires locaux qui se revendiquent d’une expérience de terrain pour justifier ces sorties.  »  » On entend ce que disent les gens que l’on croise, dans la rue, dans les cafés, partout : c’est ça qu’ils demandent, que le Parti le veuille ou non « , déclare l’un d’eux.

Le raidissement wallon

On les trouve principalement dans les provinces wallonnes, surtout le Hainaut, généralement sanglés d’une écharpe tricolore. Souvent, dans les débats internes, ils perdent.  » Il y a eu au sein du groupe parlementaire socialiste à la Chambre, autour de la déchéance de nationalité des djihadistes belges, certains discours martiaux, mais ils ont été rapidement calmés, notamment parce que la mesure ne tenait pas juridiquement la route « , précise un membre bruxellois du Bureau du parti, qui ne conteste pas un raidissement, perceptible depuis la tuerie du Musée juif. Depuis l’autre côté de l’hémicycle, le très Law and Order Denis Ducarme (MR) confirme. Il a, lui aussi, remarqué cette tension  » entre des parlementaires qui, dans la lutte contre le radicalisme, ont un peu plus le sens des réalités que leurs collègues. Ils se rendent compte que le gouvernement fait ce que le PS n’a pas fait lorsqu’il était au pouvoir, et qui sont plus proches de notre vision que de la ligne que porte leur parti « .

Si ces divergences s’expriment surtout à la Chambre, c’est à la fois parce que ces questions de Justice et d’Intérieur ressortissent au pouvoir fédéral, mais aussi parce que le groupe parlementaire y est un des derniers endroits où cohabitent Wallons et Bruxellois. Et que, dans une Belgique toujours plus fédérale, avec des sociologies toujours plus distinctes,  » braves bourgmestres wallons  » (sic) et  » parlementaire maroxellois  » (re-sic) ont des parcours, des préoccupations et même des valeurs toujours plus diverses. Leur rapport à l’islam, également, peut différer. Plus encore, leur rapport à l’électorat musulman.  » En Wallonie, ils ne votent pas pour nous « , signale un bourgmestre anonyme.  » Ils « , ce sont les musulmans, proportionnellement moins nombreux en Wallonie qu’à Bruxelles, et qui peuvent ressentir comme stigmatisantes certaines mesures policières et judiciaires visant à lutter contre le radicalisme.  » Ceux qui votent pour nous veulent que l’on soit plus ferme sur le radicalisme, plus ferme sur la sécurité, plus ferme sur la délinquance. A Bruxelles, évidemment, c’est autre chose « , poursuit-il, évoquant la figure tutélaire de Philippe Moureaux.  » Ceux-là croient profiter de l’ambiance raciste où baigne la société, répond le Molenbeekois. Je n’ai jamais été mou sur la sécurité, mais ils me font passer pour un nounours parce que, d’abord, j’ai toujours été très à gauche, et parce qu’ensuite j’ai toujours et indéfectiblement soutenu les populations d’origine étrangère.  »

Du reste, la configuration est trop complexe pour se résumer à un clivage territorial entre faucons wallons et colombes bruxelloises. A Bruxelles, Charles Picqué a longtemps tenu de très virils propos sur la sécurité, sur l’islam et même sur l’immigration. Et Yvan Mayeur, qui a lui aussi accepté la présence de militaires dans les rues, comme, sur certaines questions Emir Kir, notamment parce qu’ils sont tous deux bourgmestres, jouent souvent les gros bras. A la Chambre, même le pourtant Hennuyer, et pourtant ancien bourgmestre, et pourtant fort laïque Eric Massin a, nous dit-on, plusieurs fois sentencieusement sermonné Laurent Devin et Paul-Olivier Delannois à ces sujets.

Et puis, il y a d’autres bourgmestres socialistes en Wallonie. A Charleroi, à Tournai et à Mons notamment. Or, ni Paul Magnette, ni Rudy Demotte ni Elio Di Rupo n’ont jamais incliné vers la loi et l’ordre ailleurs que dans leur rôle de patron de leur police locale. C’est qu’ils représentent, eux, tout le parti. Sont garants de sa doctrine, fût-elle en mutation autour d’un  » Chantier des idées  » qui se terminera l’an prochain. Et ne pensent pas que durcir le ton lui serait profitable.

Ce qui explique, aussi, qu’aucun des membres du  » lobby sécuritaire  » n’avait encore vraiment osé assumer cette appartenance. Jusqu’à aujourd’hui.

Par Nicolas De Decker

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire