Une déferlante sociale s’annonce contre le gouvernement Michel Ier. Avec la conviction qu’il se trompe de modèle et la volonté cachée de le faire tomber. Certains, comme la FGTB et le PTB, en profitent aussi pour recruter…
La colère sociale gronde. Pour protester face au programme de la suédoise, le monde de la gauche, majoritaire du côté francophone, se mobilise, annonce un automne chaud et multiplie les attaques politiques contre ce qu’il nomme » le gouvernement MR/N-VA « . » Une opération de déstabilisation « , affirme-t-on au sein de la majorité. » Une protestation à la hauteur de la violence de la rupture sociale « , répondent les syndicats, au PS ou au PTB.
Cette confrontation annoncée est nourrie par une indignation réelle, la conviction que ce gouvernement » se trompe de modèle » sur toute la ligne. En toile de fond, des stratégies moins avouables sont toutefois en place. Les syndicats mobilisent dans la perspective des élections sociales de 2016. Le PTB profite de ce climat » pré-insurrectionnel » pour recruter de nouveaux adhérents. Quant au PS, encore sous le choc de se retrouver dans l’opposition fédérale, il se recrée dans la douleur une image radicale, pour tenter de récupérer les électeurs partis à la gauche de la gauche. Avec l’espoir à peine caché de faire tomber rapidement Michel Ier pour revenir au pouvoir et sauver la sécurité sociale.
Chacun se positionne dans un pays sous haute tension, où l’on évoque déjà la mémoire des heures les plus sombres de notre histoire comme les grèves de 1960. Un bras de fer violent.
» Une lame de fond syndicale »
Dans les rangs syndicaux, l’heure est à la mobilisation générale, sans concessions. Le calendrier est serré : arrêts de travail le 3 novembre, manifestation nationale le 6, suivie de grèves tournantes avant une grève nationale le 15 décembre. Une réaction » impulsive « , dénonce le gouvernement. » Je ne suis pas d’accord quand on dit que l’on réagit trop vite, s’indigne Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC. Nous avons prévenu, averti à plusieurs reprises en disant que le gouvernement allait dans le mur, que les logiciels économiques sur lesquels il se base ne fonctionnent plus… On le sait ! C’est tout ce qui a été mis en place en Allemagne il y a dix ans et dont on paie le prix aujourd’hui là-bas avec 2,9 millions de travailleurs dans des contrats précaires. Cette mobilisation est une lame de fond contre une société dans laquelle il n’y a plus que l’individu qui compte, si possible s’il réussit tout seul. Si les syndicats ont mis en place un tel calendrier, c’est parce que la grogne de la base était à ce point pressante qu’elle devait être canalisée. »
Le catalogue de revendications du front commun, en quatre points, réclame une révision en profondeur du projet de la suédoise, rebaptisée pour l’occasion » coalition Monaco « . Un : renforcer le pouvoir d’achat, ce qui implique notamment la suppression du saut d’index. Deux : maintenir la sécurité sociale, soit une remise en question des 5,7 milliards d’économies prévues dans le secteur. Trois, investir dans une relance durable et créer véritablement de l’emploi. » D’expérience, je peux vous dire que les réductions linéaires de charges sociales n’ont jamais créé un seul emploi, déclare Marc Goblet, secrétaire général de la FGTB. Cela augmente, par contre, les hautes rémunérations et les dividendes des actionnaires ! » Quatre, imposer davantage de justice fiscale. » Ce que le CD&V a obtenu en matière de taxation du capital ou des banques, c’est peanuts ! »
Le cahier des charges est à ce point lourd qu’il revient, de facto, à demander un changement de majorité politique. » Ce n’est pas notre propos ! tonne Marc Goblet. Je veux être clair, parce que j’en ai marre de ce doute : nous sommes dans des actions syndicales décidées en front commun, face à un gouvernement auquel on demande une vraie concertation, faute de quoi il créerait lui-même l’agitation et le chaos social. Point. Il ne faut pas renverser les rôles ! Nous aurions préféré être dans la situation où l’on discuterait d’abord avec les employeurs, avant de se concerter avec le gouvernement. Ils en ont voulu autrement. Un syndicat est un contre-pouvoir. Soit le gouvernement prend conscience et change d’orientation, soit nous serons, nous, dans l’action. Après cette première phase, nous déciderons s’il y a lieu de continuer ou pas. » Les militants, prévient-il, sont prêts à passer l’hiver dans les rues.
» Les élections, ce n’est jamais qu’un moment dans la démocratie, prolonge Marie-Hélène Ska. On ne peut pas dire, certainement pas en 2014, que l’on vote une fois tous les cinq ans et après, que la majorité a carte blanche pour avancer. La démocratie est malade de ce manque de dialogue avec les acteurs de la société. Le message que l’on essaie de donner au gouvernement, c’est : osez faire confiance ! Plutôt de croire que vous avez découvert la lumière… »
Objectif du PTB : recruter !
Au PTB, qui a le vent en poupe en Wallonie, cette stratégie de la tension syndicale est un don du ciel, d’autant que le parti d’extrême gauche entend poursuivre son infiltration des milieux syndicaux entamée lors de conflits emblématiques comme ceux des Forges de Clabecq dans les années 1990 ou d’Arcelor-Mittal plus récemment. » Nous sommes en synergie avec la rythmique de la mobilisation, sourit Raoul Hedebouw, député et porte-parole national du PTB. Une bonne partie du monde syndical a, il est vrai, une sympathie pour le PTB… »
Selon lui, l’heure de » la résistance » est arrivée. » Le réveil des travailleurs est positif, clame-t-il en usant des rhétoriques marxistes. Je le vois dans une perspective historique. Je ne vais pas commencer à stresser s’il y a une vitre qui casse. Un choix binaire s’impose à l’Europe entre l’austérité, les thérapies de choc ou une autre voie. Il y a une colère profonde qui bout depuis trois ou quatre ans, une frustration étouffée par la présence du PS au gouvernement, qui n’est pas non plus mon modèle de gauche. Elle se libère désormais face à un gouvernement qui assume complètement sa thérapie de choc de droite. Charles Michel sous-estime la vague qui arrive. Il faut établir un rapport de force en guise d’exutoire ! Je ne crois pas que la N-VA ou la FEB vont reculer uniquement parce qu’on leur a posé une question en commission. C’est la limite de notre travail parlementaire. » Un de ses alliés radicaux, la LCR, a d’ailleurs ouvert un compte Facebook dont le message est clair : » Michel dégage ! » La subversion n’est pas absente des tensions actuelles…
Pour le PTB, l’objectif n’est autre que d’élargir sa base militante. La » protest parade « , organisée en guise d’apéritif aux mobilisations syndicales, a déjà rassemblé quelque 7 000 personnes à Bruxelles le 19 octobre. » Derrière l’objectif officiel, qui est de mener une campagne politique contre un gouvernement, il y a un objectif non avoué : recruter le plus de militants possible pour en faire les cadres de demain, souligne Manu Abramowicz, coordinateur du site Resistances.be et spécialiste des mouvements radicaux. A ce titre, un gouvernement des droites, l’ennemi juré, c’est une aubaine pour le PTB ! »
Le PS et sa » vision morale « .
Pressé sur sa gauche, le PS fait feu de tout bois pour relayer ou allumer ce malaise social, avec un ton quasiment révolutionnaire, à l’image de sa campagne virale » injuste.be « . Son statut de principal parti francophone et le bilan de l’ère Di Rupo lui confèrent toutefois une responsabilité particulière. » Le PS a la volonté manifeste de développer un sentiment de haine à l’égard de « l’axe du mal » MR/N-VA, analyse Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’Ihecs. C’est préoccupant sur le plan démocratique. Elio Di Rupo s’érige en défenseur d’une vision morale dont lui seul serait le garant. Il tente d’imposer une vision manichéenne de la société et d’augmenter la fracture entre le gouvernement fédéral et les corps intermédiaires, les syndicats, le monde associatif… Le message, c’est : il y a quelqu’un, au 16, qui vous veut du mal. C’est une forme de guérilla permanente, laissant penser que tous les moyens sont bons pour faire tomber la majorité. C’est un message extrêmement destructeur pour la politique dans son ensemble. »
» Les Flamands ont été marqués par la façon très dure dont Laurette Onkelinx a mené l’opposition à la Chambre, prolonge Nicolas Bouteca, politologue à l’université de Gand. Cela donne l’image d’une opposition strictement communautaire, même si je peux entendre Elio Di Rupo quand il assure que ce n’est pas son intention. Les actions syndicales sauvages donnent par ailleurs l’impression que seuls les syndicats wallons font grève, même si ce n’est pas la réalité. Cela nourrit l’idée défendue par la N-VA selon laquelle nous vivons dans deux démocraties séparées. » » Le fédéral devient un terrain d’affrontement entre les deux communautés, acquiesce Nicolas Baygert. Ce que font les leaders francophones, c’est jouer la partition voulue par Bart De Wever. On mine le terrain sur lequel on peut s’entendre. »
Nicolas Bouteca constate d’ailleurs une attitude beaucoup plus nuancée au nord du pays : » En Flandre aussi, la gauche essaie de se faire entendre pour dénoncer les politiques de la majorité. Mais la grande majorité silencieuse approuve cette coalition pour laquelle elle a d’ailleurs voté et est consciente de la nécessité des économies annoncées, sans être forcément contente du saut d’index. La majorité des gens sont convaincus que quelque chose doit se passer pour maintenir le système à flot. »
» Les libertés menacées »
Ce climat délétère nourrit les velléités de riposte souhaitée au sein de certains partis de la majorité, N-VA en tête mais avec des relais sincères au MR : tout doit être fait pour couper durablement le PS du pouvoir fédéral, voire pour limiter à l’avenir la » capacité de nuisance » des syndicats.
Non sans arrogance, le parti nationaliste flamand entend d’ailleurs capitaliser sur le mécontentement suscité au sein de la population par cette agitation sociale. » Les actions syndicales ne peuvent pas se faire au détriment des contribuables « , commentait à la Chambre une de ses nouvelles députées, Inez De Coninck, suite aux grèves sauvages à la SNCB. » Si la FGTB utilise la violence comme moyen d’action, alors je dis qu’il faut lui donner la personnalité juridique « , souligne la députée Zuhal Demir. La remise en cause du statut des syndicats est une longue croisade de la droite décomplexée et pourrait davantage encore mettre le feu aux poudres. » Dès lors que les syndicats se mettent à briser des vitres au quartier général du MR, cela témoigne d’une irresponsabilité qui mène à ce genre de discussions « , constate le vice-Premier ministre Open VLD Alexander De Croo dans l’entretien qu’il a accordé au Vif/L’Express (lire pages 20 et 21).
Marc Goblet (FGTB) s’étrangle quand on lui en parle : » Si le gouvernement ajoute cette provocation en plus, il doit s’attendre à autre chose que de l’agitation sociale, menace-t-il. De même, s’il s’attaque au service minimum dans les services publics, il y aura une réaction de l’ensemble des secteurs. Ce faisant, il baissera le masque et on verra clairement que c’est un gouvernement qui remet en cause les libertés, dans une logique sécuritaire. Il faut d’ailleurs s’inquiéter quand on voit que la N-VA est à la tête d’un ministère de la Sécurité et de l’Intérieur. »
La lutte finale est-elle entamée ? » L’épreuve de vérité aura lieu au moment où le mouvement s’interrogera sur la nécessité de se prolonger tout l’hiver, comme la FGTB l’a déjà laissé entendre, indique Nicolas Bouteca. Je ne suis pas sûr qu’en Flandre, il y ait le même jusqu’au-boutisme. Mais ne perdons pas de vue une chose : derrière cette agitation sociale, on trouve aussi la volonté du syndicat socialiste de manger la CSC aux élections sociales de 2016 ! »
Et si, au fond, cette grogne sociale était cyniquement utilisée par tous pour se profiler ?
Par Olivier Mouton
» C’est une forme de guérilla permanente, laissant penser que tous les moyens sont bons pour faire tomber la majorité »