La Semois légendaire

Extraordinairement sinueuse et souvent nimbée de mystères, la Semois ourle le paysage d’un sillon sur près de 200 kilomètres. De sa source en plein c£ur d’Arlon à ses points de vue sauvages et vertigineux, un voyage onirique à travers la Gaume et l’Ardenne

Il était une fois la Semois… L’histoire de cette rivière pourrait commencer ainsi. C’est que le cours d’eau dévoile, dans les recoins de ses innombrables méandres, des histoires du passé à n’en plus finir. Souvenir de l’illustre Godefroid de Bouillon, ricanement de sorcières ou débris de l’âge de la pierre. Un voile de mystère plane sur la tortueuse rivière, souvent nimbée de brumes au petit matin… Tellement tortueuse qu’elle parcourt 198 kilomètres avant de se jeter dans la Meuse, à Monthermé, dans les Ardennes françaises, alors que la distance, à vol d’oiseau, entre la source et l’embouchure n’atteint pas 100 kilomètres. Curieusement, cette rivière sauvage naît en pleine ville. Arlon, chef-lieu de la province de Luxembourg : en contrebas de la rue Sonnetty, dans une petite cour tranquille, le filet d’eau de la Semois siffle et s’écoule dans un bassin en pierre. On raconte que cette source jaillissait autrefois dans les caves d’une villa romaine.

Le ruisseau citadin s’ébroue et rejoint Etalle puis Tintigny, à travers les plaines et marais. Riche en flore et en faune, la zone, classée en de nombreux points, abrite aussi un abondant patrimoine culturel. Des chercheurs y ont débusqué des éclats de silex, témoins de l’époque néolithique, et de nombreux vestiges de la civilisation gallo-romaine, que l’on peut admirer au Musée luxembourgeois d’Arlon. Sur ce tronçon, site d’extraction de la tourbe jusqu’au xixe siècle, le tracé de la rivière a été redressé. Et certains bras morts, comme la réserve des Abattis, présentent des écosystèmes particulièrement intéressants. Ce type de milieu aquatique, à l’abri des remous, est propice à la reproduction des poissons et au développement des végétaux. On y trouve même des plantes carnivores.

Quelques kilomètres plus loin, la Semois reçoit deux de ses principaux affluents : la Rulles et la Vierre.  » L’importance de la Rulles est telle que la Semois aurait, en réalité, pu s’appeler la Rulles. On ne sait pas vraiment quel cours d’eau se jette dans l’autre « , explique Mélanie Tassin, coordinatrice du Contrat de rivière de la Semois. Les ruisseaux qui viennent grossir le débit de la Semois s’emploient aussi à la purifier.  » A la sortie d’Arlon, la qualité de l’eau n’est pas optimale, explique encore Mélanie Tassin. C’est une ville importante et il y a des rejets d’entreprises. Plus loin, la qualité de l’eau s’améliore sensiblement et devient comparable à celle des autres rivières.  »

Diableries

Jamoigne, Izel… La Semois gaumaise s’élargit et passe sous le beau pont Saint-Nicolas, surplombée par l’éperon rocheux des comtes de Chiny. Autrefois, leur forteresse dominait le village. Mais les armées de Louis XIV ont détruit le château dont il ne reste plus, aujourd’hui, qu’un vague souvenir des remparts. A la sortie de ce joli village touristique, c’est une rivière hérissée de kayaks qui s’immisce dans le défilé du Hât vers Lacuisine, bourgade dénommée ainsi parce qu’on y préparait les repas des chasseurs. Le cours d’eau devient de plus en plus sinueux. Florenville et son superbe point de vue depuis l’église qui domine la vallée. Chassepierre et son merveilleux panorama, puis Sainte-Cécile. La Semois se glisse alors vers Herbeumont, où elle fait son entrée en Ardenne.

Changement de décor. Les maisons gaumaises en pierre blonde, mieux connue sous le nom de pierre de France, laissent place au schiste, à l’ardoise. Dominante des gris. La rivière se fait aussi plus sauvage et plus forestière, avec des passages étroits et plus rapides qu’en Gaume. Le paysage se densifie.

C’est un pays de légendes.  » Les Ardennais sont plus fortiches que les Gaumais pour raconter des histoires. C’est une question de mentalité « , s’amuse Mélanie Tassin. Le monde des fées habite également le paysage de la vallée et donne à la rivière les accents païens du terroir… La Roche du Chat près d’Herbeumont, le Tombeau du Chevalier, dont la forme fait penser à une sépulture médiévale. Ou, encore, le Saut des Sorcières, une crête rocheuse séparant la Semois du ruisseau des Alleines, à Cugnon… Autre curiosité de ce village : la réhabilitation d’un ancien barrage ébréché. Pour éviter de bétonner l’ouvrage, les restaurateurs ont opté pour une technique ancestrale avec des blocs de schiste placés verticalement.

La Semois creuse profondément la vallée ardennaise, où son cours est plus rapide que dans le paisible paysage gaumais. Long bandeau d’argent serpentant dans le tapis forestier, où les résineux alternent avec les feuillus. Presque inaccessible parfois, elle offre de superbes points de vue, comme près de Renauvanne.

Un célèbre tombeau

La végétation enveloppe l’eau de mystère, puis la libère d’un coup à l’entrée de Bouillon. La sauvage fait son entrée en ville et ceinture le site d’un méandre serré. C’est là qu’en 1096, guidé par un appel divin, Godefroid de Bouillon quitta ses terres pour aller délivrer le tombeau du Christ, à Jérusalem. Pour financer sa croisade, il vendit son château aux princes-évêques de Liège. Aujourd’hui, la grande forteresse médiévale domine toujours la ville et attire de nombreux touristes. La Semois quitte la petite cité, entame un nouveau virage et replonge en pleine nature.

Direction : le célèbre Tombeau du Géant, lové dans une énorme boucle de la rivière, en contrebas du hameau de Botassart. Ce site magnifique, paysage de carte postale figurant dans tous les guides touristiques, est le symbole par excellence de la Semois. Et pourtant nul géant n’y a sa sépulture ! Blottie dans une boucle très serrée du cours d’eau, la langue de terre ressemble à une peinture abstraite. Une couronne boisée de vert foncé coiffe un anneau d’herbe d’un vert intense. Il y a quelques années pourtant, la butte n’offrait pas cette allure très graphique. Les résineux avaient envahi le dôme et étouffaient le panorama. Les zones inondables faisaient défaut et le biotope de la rivière était détérioré. Depuis dix ans, la Région wallonne et la ville de Bouillon mènent sur le site une expérience pilote de remembrement paysager pour rendre au lieu sa physionomie d’antan. Objectif : remplacer les conifères par des feuillus et des prés. La Région propose aux propriétaires des parcelles un échange à l’amiable. Ils cèdent leur  » morceau  » du Tombeau pour un terrain en dehors de la zone. Le projet a déjà permis d’améliorer sensiblement la qualité paysagère.

D’un monde à l’autre

Plus loin, la Semois enserre le hameau de Frahan, un îlot villageois préservé du tourisme de masse. En surplomb de la vallée, le village de Rochehaut, perché comme son nom l’indique, offre un panorama exceptionnel sur la nature environnante.

Poupehan, Laforêt. Sur les berges, d’étranges constructions en bois se multiplient. Squelettes usés par le temps et toitures de tôle en lambeaux, servant parfois d’abris pour caravanes ou de réserve pour le bois de chauffage. Ce sont les séchoirs à tabac. Au xixe siècle, un ancien instituteur a introduit la culture du tabac à Poupehan, contribuant ainsi à redresser l’économie du village. Le commerce fleurit et, en 1905, on comptait plus d’un million et demi de plants sur le site. Les amateurs de fumée bleue apprécient l’arôme de ces plants élevés sur un sol schisteux. Mais, dans les années 1960, à cause d’une maladie fongique et de la concurrence du tabac importé, l’activité des planteurs s’est essoufflée. Et seuls, de nos jours, quelques acharnés perpétuent la tradition. Les séchoirs du bord de la Semois restent les seules traces de cette activité en voie d’extinction.

A Vresse, la rivière entre dans la province de Namur. Et à Bohan, jadis haut lieu du tabac… et de la contrebande, la Semois fait ses adieux à la Belgique. Quelques méandres plus loin, elle troque son  » i  » pour un  » y « . La Semoy poursuit sa route sinueuse en France. Et s’offre, à Monthermé, un dernier caprice. La mystérieuse rivière se divise en plusieurs bras, avant de revenir, docilement, dans son lit principal. Juste à temps pour se marier à la Meuse et lui confier son destin. lFanny Bouvry

Photos : Marc Fasol

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