Il y a toujours de la passion au coeur de ces magnifiques albums richement illustrés… A déposer au pied du sapin.
Temples maçonniques de France et de Belgique
par Serge Moati, photos de François Nussbaumer, éd. Le Noyer, 204 p.
C’est un voyage. Pas une encyclopédie. Un périple à travers la France et la Belgique pour transmettre les splendeurs architecturales maçonniques. Qu’importent l’époque, le lieu, le style, la loge, c’est la lumière somptueuse des temples, parfois très nus, parfois très opulents, qui est ici offerte, aux Frères comme aux non-initiés. Magistral et éblouissant. Th. F.
Vie ? ou théâtre ?
par Charlotte Salomon, éd. Le Tripode, 820 p.
Charlotte Salomon a eu un destin hors du commun. Née en 1916, elle descend d’une lignée de suicidées. Alors elle conjure le mauvais sort par le biais de la peinture. Or, Thanatos semble plus fort, lorsqu’elle est déportée, enceinte, à Auschwitz. Longuement oubliée, l’artiste allemande resurgit grâce au romancier David Foenkinos. Voici une anthologie somptueuse reflétant, pour la première fois, l’intégralité de son travail. Tel est le pari d’une petite maison d’édition, Le Tripode, qui nous offre une ode à la multiplicité de son talent. Gouaches et dessins témoignent d’une créativité débordante, teintée de sensibilité, de poésie, d’humour, d’amour, de douleur et d’espoir. Comment ne pas vibrer face à cette autobiographie picturale et graphique ? Alors que l’étau de la guerre se resserre, la jeune femme semble portée par une incroyable liberté. Comme si elle savait que ses jours étaient comptés… Un conte éblouissant et poignant !
K. E.
Angelus & Diabolus
par Maria-Christina Boerner et Achim Bednorz, Citadelles & Mazenod, 808 p.
Cet album monumental, proposé dans une valise, part d’un présupposé : les anges existent. En tous cas, l’art en offre mille et une représentations et ce depuis les célèbres mosaïques byzantines de Cefalu jusqu’aux oeuvres d’Anselm Kiefer. Mais qui sont-ils exactement, ces êtres hybrides dont l’origine paraît remonter jusqu’au zoroastrisme iranien du IIe millénaire ? Pour y répondre, l’équipe scientifique des auteurs limite son champ d’investigation aux anges du christianisme. Ils vont ensuite construire l’ouvrage non pas en fonction d’une histoire de l’art mais d’une avancée progressive qui, pas à pas, clarifie l’ensemble des interrogations. Leur création est, précise saint Augustin au VIe siècle, contemporaine à celle de la lumière. Saint Thomas d’Aquin au XIIIe, les décrit comme des êtres cosmiques assumant des corps d’air, de feu, de lumière et de vent. Ce sont aussi des messagers, intermédiaires entre les hommes et la divinité. Suivant les enseignements de la théologie et à grand renfort d’illustrations, cette somme inédite évoque alors leurs diverses apparences, leur beauté, leur demeure. Ils ont aussi des missions. Se font musiciens, annonciateurs, gardiens, assistants. Ils sont là, enfin, pour emporter les morts et guider leur âme. Une chose est sûre. Ils sont là pour nous protéger du diable qui occupe la seconde partie, tout aussi fournie, du livre. Bref, une initiative qui associe le sérieux des textes (jamais ennuyeux) à celle de l’enquête iconographique brassant plus de quinze siècles d’images.
G. G.
Poésies, Une saison en enfer, Illuminations de Rimbaud à la lumière de la peinture moderne au tournant du XXe siècle
préface : Stéphane Barsacq, annexes : André Guyaux, éd. Diane de Selliers, 432 p.
Arthur Rimbaud n’a que 16 ans en 1870 lorsqu’il écrit le premier des 121 poèmes proposés par Diane de Selliers dans ce nouveau très beau livre de » La grande collection « . L’idée éditoriale est toujours la même : réunir autour d’un texte fabuleux (de l’Iliade et l’Odyssée aux Métamorphoses d’Ovide en passant par L’Apocalypse ou encore La divine comédie) des reproductions d’oeuvres d’art. Parfois, celles-ci sont contemporaines du récit. Parfois, un artiste contemporain assume l’illustration. Cette fois, les tableaux reproduits vont du symbolisme d’Odilon Redon aux oeuvres de Max Ernst et Mondrian. En réalité, le ton du visuel accompagne, selon les poèmes, le visionnaire, l’angoissé, le révolté, l’homme de feu ou le chevalier errant. A 21 ans, Rimbaud a tout dit. Il largue les amarres, abandonne son amant Verlaine, Paris, l’Europe et la poésie. Désormais, le rebelle vit autrement sa rage de vivre. Demeure l’oeuvre et depuis, ses lecteurs. Parmi eux, les artistes qui, comme lui, ne décrivent pas le monde mais le parcourent à travers des éclats de couleurs, de formes ou de phonèmes, de rythmes syncopés et d’abîmes. Il ne s’agit donc pas d’illustrer un texte (Poésies, Une saison en enfer et Illuminations) mais bien de célébrer des connivences et peut-être mieux, d’étranges intimités que la raison ne connaît pas. » Je est un autre « , avait écrit Rimbaud. Le face à face de l’image et des mots écrits exprime le même constat. Une interrogation que reprend alors à son compte celui qui parcourt l’ouvrage. En un mot, plutôt qu’une étude, une exégèse, ce livre est un poème.
G. G.
Découvrir Toutankhamon, de Howard Carter à l’ADN
par Zahi Hawass, éd. du Rocher, 264 p.
» Tut « , comme l’appellent les chercheurs anglo-saxons, est sans nul doute le plus célèbre des pharaons de l’ancienne Egypte. Il reste pourtant un mystère : on ne sait presque rien de lui, 93 ans après la découverte de sa tombe par Howard Carter. Personnellement impliqué dans les recherches autour du » golden boy « , Zahi Hawass, ancien chef des Antiquités du gouvernement d’Hosni Moubarak, présente, dans cet ouvrage, l’état actuel des connaissances sur le sujet. Souvent accusé de comportement autoritaire et de se mettre en avant lors de certaines découvertes, l’homme au Stetson a de nombreux détracteurs. Toutefois, son livre, richement illustré, est une mine d’informations sur le tombeau et d’autres trouvailles plus récentes dans la vallée des Rois. L’auteur revient sur le cambriolage du musée du Caire en janvier 2011 et sur les explorations entreprises notamment sous sa direction.
O. R.
Bottom of the Lake
par Christian Patterson, éd. Koenig Books, 256 p.
Photographe américain repéré pour la série Redheaded Peckerwood, inspirée par la cavale meurtrière de deux adolescents américains en 1958, Christian Patterson revient aujourd’hui avec un projet plus serein. Bottom of the Lake repose tout entier sur un annuaire 1973 de Fond du Lac, une ville du Wisconsin, exhumé par l’artiste chez ses parents. A mi-chemin entre le devoir de mémoire et le livre d’artiste, l’album se découvre comme un fac-similé du fameux bottin sur lequel Patterson a greffé une septantaine d’images empruntées ou réalisées par ses soins. Le tout pour un résultat décalé à rapprocher du célèbre Les habitants de Malmö de Christian Boltanski.
M. V.
Conversations avec les morts
par Danny Lyon, éd. Phaidon, 212 p.
Martin Parr et Gerry Badger en parlent comme d’un » chef-d’oeuvre absolu » dans Le livre de photographies : une histoire, volume II. Originellement publié en 1971, Conversations avec les morts de Danny Lyon a marqué la photographie documentaire en racontant la vie dans six prisons du Texas ainsi que les relations que son auteur a pu tisser avec certains détenus. Pour cerner la réalité carcérale au plus près, ce ne sont pas seulement les images du photographe qui sont convoquées, Danny Lyon rassemble registres d’écrou, photographies de criminels et lettres écrites par des détenus. Bonne nouvelle, ce livre de collection vendu à plus de 1 000 euros en édition originale ressort aujourd’hui sous la forme d’un fac-similé du recueil original. Essentiel.
M. V.
Méditerranées
par Dominique Fernandez, photos de Ferrante Ferranti, éd. Actes Sud, 302 p.
Le pluriel annoncé dans le titre évoque autant la multiplicité des points de vue que la subjectivité des lieux choisis. On feuillette d’abord l’ouvrage à la découverte des photographies de Ferrante Ferranti. Superbes prises de vue, jamais systématiques, rarement attendues. Et puis, il y a la composition des doubles pages qui propose des connexités et des associations parfois surprenantes. Par exemple, le lien établi entre les harmonies de couleurs des colonnettes spiralées qui soutiennent les tribunes du choeur dans le duomo de Ravello et celles de filets de pêche ou de grappes d’oignons et de poivrons séchés photographiés sur la côte amalfitaine, en Italie. Puis, on passe à la lecture qu’on ne lâchera plus avant la dernière ligne. La raison : la qualité de l’écrit (cristallin) et le contenu (nourri). L’approche des sites relève du vécu concret et intérieur. Elle est appuyée par une érudition exceptionnelle qui brasse autant la mythologie que la littérature et l’histoire. Cela relève tout à la fois du carnet de voyage (mais Stendhal n’est pas loin) qui entrecroise les divers points de vue et renvoie à la diversité des Méditerranées. Un livre qui est aussi un plaidoyer pour la beauté.
G. G.
Kandinsky, Klänge (Résonances)
par Philippe Sers, éd. Hazan, 236 p. Deux volumes sous étui.
Livre rare, superbe et indispensable. D’abord pour tous ceux que l’oeuvre de Wassily Kandinsky intéresse. Ensuite pour les bibliophiles. Explication. Depuis 1907, le peintre russe, alors âgé de 41 ans, a entamé loin de chez lui (il vit à Murnau, près de Munich) un lent, progressif et inéluctable passage de l’art figuratif à l’abstrait. Son premier ouvrage Du spirituel dans l’art (1912) sera souvent considéré comme son manifeste. Mais un an plus tard, avec Regards sur le passé, il explicite rationnellement l’histoire de cette aventure. Au même moment, il publie en 300 exemplaires un recueil de poèmes accompagnés par un ensemble de bois gravés. Le titre Klänge évoque la question centrale de son oeuvre : la résonance produite par un objet ou un texte, un mot, un son sur ce qu’il nomme l’âme de l’artiste (puis sur celle de l’amateur). Soit, un voyage intérieur qui peu à peu transforme le monde et dont les images comme les poèmes (traduits ici par le poète Philippe Soupault) sont l’expression en mouvement. Or, Klänge n’avait jamais été réédité. D’où l’importance de ce fac-similé réalisé avec un soin extraordinaire. L’ouvrage vaut aussi par un second volume joint au premier dont le texte, signé Philippe Sers, revisite et avec quel brio, les oeuvres peintes à la manière très explicite des gravures et des mots du peintre. Vous l’aurez compris : c’est notre coup de coeur.
G. G.
Berlin
par Godehard Janzing, éd. Citadelles & Mazenod, 496 p.
150 musées, 140 bibliothèques, plus de 60 théâtres et des bâtiments contemporains, signés Norman Foster, Frank Gehry, Daniel Libeskind ou encore Richard Rodgers. Depuis la chute du Mur, Berlin a joué la carte de l’audace et de la créativité. Mais qu’en est-il du passé plus ancien, de ses origines ? A ce niveau, la ville tient de l’archipel et le travail de mémoire se cherche entre les cicatrices imposées par les différents pouvoirs depuis le XVIIIe siècle. Parfois, demeurent quelques fragments aussitôt intégrés. Une salle d’hôtel ancien dans le Sony Center, un portail de l’institut d’architecture dans un restaurant, çà et là d’autres ruines déplacées, remontées, insolites. Il reste bien quelques châteaux et d’autres sont en passe d’être remontés. Méthodiquement, l’auteur trace une histoire de cette ville peu ordinaire devenue, ces dernières années, un foyer essentiel de la création contemporaine.
G. G.
105 oeuvres décisives de la peinture occidentale
montrées par Michel Butor, éd. Flammarion, 256 p.
Le talent de l’écrivain se met ici au service d’une invitation. A chaque page du livre correspond une peinture. Le choix de celle-ci est subjectif mais sort rarement de l’attendu. Les chefs-d’oeuvre sont là, des Ménines de Velásquez au Déjeuner sur l’herbe de Manet. Parfois, pour un peintre célèbre, Michel Butor opte en faveur d’une pièce moins représentative. La fontaine de jouvence de Cranach, La corbeille de fruits du Caravage ou encore Le cheval au galop de Munch. Logique. La qualité des descriptions mène toujours le lecteur, mais sans jamais s’appesantir, au coeur de l’oeuvre. Par petits blocs de mots choisis autant que simples, l’auteur rappelle le contexte, s’interroge sur le sujet, la présence de tel ou tel personnage, tel élément du décor ou sur un aspect technique. Pour Giotto, il fait appel à Proust. Il compare Mondrian et Rothko, relève l’une ou l’autre énigme chez Uccello ou Giorgione… Puis tout s’arrête déjà, à la 105e peinture, signée Basquiat.
G. G.